Chapitre 13
L’histoire de Mamé Fanette (2)
Le village était en deuil. Le docteur Brivard s’en était allé quatre jours plus tôt, laissant ses fidèles patients dans un chagrin incommensurable. Très ami avec son père, Fanette les voyait souvent tous deux, attablés au café autour d’une bouteille d’eau de vie. Elle ne le côtoyait elle-même que très peu, n’étant pas souvent malade, mais ne pouvait nier ni ses compétences ni sa renommée.
Alors qu’une partie du village se pressait pour se rendre à l’église, Fanette aperçut une jeune femme, à peine plus âgée qu’elle, extraire des sacs du coffre d’une voiture. Intriguée, elle l’observait faire des aller-retours entre le véhicule et la maison d’en face. Elle s’approcha.
— Salut… Besoin d’aide ?
La nouvelle arrivante posa sur elle un regard incrédule. Elle possédait de grands yeux aussi sombres qu’étaient clairs ceux de Fanette, et de longs cils bruns. Sans laisser le temps à sa voisine de répondre, Fanette prit le dernier sac et intimidée, engagea malgré tout la conversation.
— Je m’appelle Françoise mais tout le monde m’appelle Fanette.
— Moi c’est Augustine.
Elle lui fit signe de la suivre avant d’ajouter :
— Mon père est le nouveau docteur… On vient d’arriver, il a tenu à assister aux obsèques.
— C’est délicat de sa part.
Puis ne sachant pas trop quoi dire de plus, Fanette l’avait saluée.
— J’habite là-bas, en face, l’informa-t-elle en désignant sa maison du doigt. Si tu as besoin de quoi que ce soit…
La main tendue de Fanette ne fut pas tout de suite imitée par les autres habitants. Très attachés au Docteur Brivard, ils accueillirent Augustine et son père avec beaucoup de réserve. Laisser entrer un inconnu dans leur foyer et leur confier leur vie avait été compliqué pour eux. Ils s’étaient montrés revêches au début mais Monsieur Klein, fort de patience et de bienveillance les avait apprivoisés doucement. Il en fut de même pour Augustine qui secondait son père le soir après les cours qu’elle suivait au lycée. Elle mettait à jour le registre des visites, accompagnait le docteur en déplacement et offrait parfois les quelques soins que lui permettait son père.
Fanette apprit davantage à les connaître lorsqu’une nuit, elle les appela au chevet de son père. Celui-ci était rentré – une fois n’est pas coutume – aussi soul qu’un cochon. Passé les remarques qu’il lui servait à toutes les sauces et qu’il lui crachait ce soir là entre deux quintes de toux, il s’était effondré au beau milieu de la cuisine. Dans sa chute, il s’était cogné la tête contre le coin de table et une mare de sang auréola bientôt son visage. Augustine et son père accoururent aussi vite qu’ils le purent. Dans un accord tacite et des gestes complémentaires, le docteur et sa fille œuvrèrent autour du père de Fanette. Augustine tendait des compresses et des bandages que le médecin appliquait sur la tête du bonhomme. Il l’ausculta ensuite avant de donner les recommandations nécessaires. « Il souffre d’une commotion. Je reviendrai demain faire le bandage. Ce qui m’inquiète davantage c’est l’état de ses poumons. Veillez à lui faire avaler ces comprimés, et si la fièvre ne retombe pas, rappelez-moi. »
Cette nuit là, Fanette veilla son père. Augustine, quant à elle, resta près d’elle. Elle lui montra comment dompter la fièvre en appliquant régulièrement des linges humides sur le front de l'homme endormi. Et c’est ainsi que débuta une belle amitié entre les deux jeunes filles qui se confièrent à mi-voix une partie de leur vie.
Augustine avait elle aussi perdu sa mère. De maladie. C’est ce qui l’avait amenée à vouloir embrasser la même carrière que son père. Si le docteur Klein souhaitait s’implanter dans un village pour prodiguer ses soins à une patientèle avec laquelle il voulait tisser un lien de confiance durable, Augustine rêvait plus loin. Elle voulait faire le tour du monde, soigner les plus démunis, et pourquoi pas se lancer dans la recherche. Elle fascinait Fanette par ses connaissances et la puissance de ses rêves.
— Apprends-moi ! lui avait-elle demandé en repensant à ces enfants auprès desquels elle avait grandi chez sa tante. Apprends-moi, je veux moi aussi sauver des gens.
Augustine apprit à Fanette les gestes qui sauvent, les remèdes à concocter et dans quel cas les administrer et puis, bien vite le docteur Klein lui aussi lui enseigna ce qu’il savait. C’était un brave homme, bon et bienveillant qui, à lui seul, rachetait le comportement des autres et les erreurs de son père. Fanette passa de plus en plus de temps avec la famille Klein, nourrissant le dessein de devenir infirmière ou médecin, peut-être même puéricultrice. Elle avait l’impression de trouver auprès d’eux la famille qui lui manquait et aspirait le soir en s’endormant, de rêver que Monsieur Klein soit son père et Augustine sa sœur.
Les deux jeunes filles développèrent un lien très fort l’une pour l’autre, si bien que Fanette fut chamboulée lorsque Augustine posa la première fois ses lèvres sur les siennes. Leur amitié ne s’en trouva pas affaiblie et Fanette se laissa porter par ses premiers émois. Augustine était pour elle, la partie complémentaire à son être. Elle la ressentait dans chaque cellule de son corps. Les deux complices se mirent à rêver ensemble d’un avenir commun, des pays où elles iraient et des populations qu’elles découvriraient. Allongées dans l’herbe, les cheveux bruns d’Augustine mêlés aux mèches blondes de Fanette, elles parlaient en fixant les étoiles, témoins secrets de leurs promesses soufflées entre deux baisers.
Après sa convalescence, le père de Fanette reprit bien vite ses vieilles habitudes et dénigra les projets de sa fille.
— Ne l’écoute pas Fanette ! Tu seras qui tu voudras ! lui assura Augustine.
Puis elle lui parla d’une mission humanitaire dont lui avait parlé son père.
— Viens avec moi ! Allons sauver des vies !
Lasse des remarques de son père et portée par l’enthousiasme d’Augustine, Fanette accepta la proposition. Cependant, le jour prévu, l'homme fit une rechute. Fanette appela le docteur Klein qui arriva seul, Augustine devant déjà l’attendre à leur point de rendez-vous. Le médecin lui annonça que le pronostic, cette fois-ci, était engagé mais qu’il ne pouvait pas se prononcer sur une quelconque durée. Il assura à la jeune fille pouvoir s’occuper de son père et l’encouragea à rejoindre Augustine et à exaucer ses rêves. Fanette empoigna le sac qu’elle avait préparé et quitta la maison. Mais, meurtrie par une culpabilité qui enflait en elle, elle rebroussa chemin et prit la place du docteur. Elle remplaça les linges brûlants par des plus frais et veilla son père des jours durant. Lorsque vint le jour où la mort se décida à cueillir l’homme, celui-ci ouvrit quelques instants les yeux pour fixer sa fille. Il ne dit rien laissant à Fanette le soin d’imaginer des paroles réconfortantes ou bien ces regrets qu’il n’avait jamais su lui témoigner.
A près la mort de son père, Fanette proposa son aide au docteur Klein qui accepta volontiers d’être secondé.
— Augustine vous a-t-elle appelé ? lui demandait-elle régulièrement.
Malheureusement, le médecin n’avait aucune nouvelle de sa fille. Alors Fanette se mit à lui écrire. Des lettres dans lesquelles elle lui expliquait ses sentiments, les raisons de son retour en arrière et les vœux qu’elle nourrissait avec toujours autant de ferveur qu’auparavant. Des lettres, remplies d’éclats d’aurore, qu’à défaut de pouvoir envoyer, elle relisait chaque soir en fixant les étoiles.
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