Chapitre 15

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 À peine debout, Mamé relança le sujet.

Alors, tu as réfléchi pour la librairie ?

Qui avait dit qu’elle perdait la boule ?

Mais Mamé, je ne peux pas racheter cette librairie !

Et pourquoi pas ?

Un énorme bout de croissant dans la bouche m’empêchant de parler, j’écartais les bras en signe d’évidence.

L’argent, finis-je par répondre en postillonnant.

Ah ça !

Bah oui Mamé, j’ai pas gagné au loto.

Moi j’ai un petit pécule… Ce sera une avance sur ton héritage, me lança-t-elle dans un clin d’œil sans se départir de son sourire.

Je ne veux pas.

Mais pourquoi ? s’exclama-t-elle comme une adolescente capricieuse.

Peut-être bien qu’elle perdait vraiment la tête !

J’ai pas envie d’être accusée d’extorsion de fonds.

Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre. On fera un conseil de famille si tu y tiens. M’est avis que tout le monde sera d’accord.

Tout le monde ? Même Ben ?

Qu’est-ce qu’il a encore fait Ben ? me coupa mon cousin, visiblement agacé d’être au centre de notre discussion lorsqu’il nous fit enfin l’honneur de nous rejoindre.

Rien !

Je proposais à Lili une petite avance sur son héritage pour reprendre la librairie…

La librairie Farot ?

Oui. Qu’est-ce que tu en penses mon chéri ?

Ouais, c’est une bonne idée. Coco a toujours aimé cet endroit.

J’observai mon cousin, incrédule. C’était quoi l’arnaque ?

Tu pourrais faire les travaux de rafraîchissement, n’est-ce pas ?

Il haussa les sourcils avant de répondre.

Ouais, peut-être.

Oh oh ! intervins-je. C’est peut-être à moi de décider, non ?

Mon cousin me toisa.

En fait, tu te mêles des histoires des autres parce que tu sais quoi foutre de la tienne !

**

Le bruit de la porte qui claque résonnait encore dans mes tympans. Furieuse, j’avançais contre le vent, espérant que ses rafales se fracassent aux quatre coins de mes pensées. Mais, comble de malchance, la brise était légère, tiède même, annonçant un début d’été prometteur.

Ben n’était rien d’autre qu’un sale con ! Pour qui il se prenait à juger ma vie comme ça ? Qu’est-ce qu’il savait de moi ?

Instinctivement, je nouai mes mains autour de mon ventre, consciente du vide qui l’emplissait. Mes tripes étaient emmêlées à m’en donner la nausée, ma gorge serrée. J’avais envie de hurler ! Je hurlai !

Coraline ?

Jenny me faisait face. Choquée, apeurée, un mélange des deux, sûrement.

Ça ne va pas ?

Si, si ! Tout va bien, je…

Je haussai les épaules. Jenny hocha la tête d’un air entendu.

J’étais en route pour venir te voir.

Ah ?

J’ai pas bien compris pourquoi tu voulais qu’on se voit…

On marche un peu ?

OK !

Côte à côte, nous avancions sans oser nous parler. Le sable avait ce mélange parfait, à la fois tiède et frais, que j’aimais sentir sous mes pieds. Le soleil chauffait nos visages. Ça aurait pu être une belle journée si Ben ne s’était pas montré si con !

Jenny et moi nous étions liées d’amitié au détour d’un match de volley-ball improvisé. Je lisais, étendue sur une serviette, quand elle s’était approchée de moi. « Hey ! Moi c’est Jenny, on fait un match contre les gars. Il nous manque une fille. T’es partante ? »

Je l’avais dévisagée comme s’il s’agissait d’une extra-terrestre. Moi ? Faire un match de volley ? Si j’étais plutôt douée à l’école pour les maths et le français, je n’avais absolument aucune compétence en sport. Je m’emmêlais les pieds sitôt que je courais et j’envoyais systématiquement le ballon dans la face de quelqu’un – moi y compris. « Allez ! Ben est persuadé de nous filer une raclée ! » Ben, mon Ben ? m’étais-je demandé. J’avais envie de creuser un trou dans le sable et de m’y enfouir toute entière ! « Le sport c’est pas… J’suis pas... » Je ne savais même plus aligner trois mots. Jenny m’impressionnait. Elle était tout le contraire de moi. Une peau bronzée qui faisait ressortir le vert de ses yeux et l’éclat de ses dents parfaitement alignées. Un corps élancé avec juste ce qu’il faut de formes pour prétendre à être reine du lycée ou – Miss Normandie. Et, en plus de tout ça, une assurance à toute épreuve.

Alors tu as repris le café de ton père ? demandai-je au bout d’un moment, surprise de la tournure de sa destinée.

Ouais.

Et ça marche bien ?

Ça marche pas trop mal.

Je t’imaginais pas rester à Étretat…

Moi non plus, m’avoua-t-elle. I

Les réponses laconiques de Jenny témoignaient de son malaise.

Il y a la vie dont on rêve et les choix qu’on fait, reprit-elle d’un ton amer.

Il n’est pas trop tard pour les rêves, tu sais.

Elle ricana.

Ah ouais ? Et c’est quoi mes rêves aujourd’hui, à ton avis ?

Je serrai les dents, tentant de garder pour moi ce que je pensais mais je n’étais pas douée pour l’hypocrisie et, sans pouvoir les retenir plus longtemps, les mots franchirent la barrière de mes lèvres.

Quitter ton mari ?

Elle s’arrêta net et me toisa d’un air mauvais.

Écoute… relançai-je pour apaiser la discussion.

Non, toi, écoutes ! Tu sais rien ni de ma vie, ni de mes rêves ! Alors, je ne sais pas ce que tu me veux, mais tu vas rester bien tranquille à ta place.

Sinon, quoi ?

Jenny serra les dents.

Je sais que tu as peur…

Mais t’as cru quoi ? Qu’on était copines ?

On l’était dans le temps…

C’était il y a un siècle ! Je suis plus une gamine ! J’ai des responsabilités, un commerce à faire tourner…

Des coups à encaisser…

Je ne vis pas la gifle arriver, et c’est avec la main sur ma joue brûlante que je regardais Jenny s’éloigner.

J’avais encore tout fait foirer !

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