Chapitre 19

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 Devant ma tasse de café, je pensais à Jenny et Ben. Je ne comprenais pas qu’il ne soit pas encore allé la chercher. « Il faut qu’on s’organise », m’avait-il dit. Je ne voyais pas ce qu’il y avait à organiser. Si Jenny était en danger auprès de son mari, la priorité pour moi était de la sortir de ses griffes et de la mettre à l’abri. Tout ce qui relevait de leur mariage et de leurs finances pouvaient bien attendre.

Je trépignai quand on sonna à la porte. J’ouvris et me maudis en voyant Henry face à moi. Je n’avais pas fait attention à l’heure et n’étais guère plus présentable que la dernière fois. Mes cheveux détachés étaient emmêlés, mon pyjama – un pantalon pour ne pas choquer mon cousin – était bariolé de cœurs et comble de tout, je portais toujours ces affreux chaussons aux pieds. Henry me sourit et s’avança jusqu’à la chambre de Mamé.

Un coup d’œil à mon horloge m’informa que j’avais une petite demie-heure pour me doucher. J’ espérais montrer au kiné que je pouvais me montrer plus… moins… Je levai les yeux au ciel en me questionnant sur cette envie soudaine de lui plaire. Je n’avais bien entendu aucune envie de me jeter dans les bras d’un nouveau prétendant. C’était avant tout une question d’égo. Déjà que toute ma famille me considérait comme une gamine. Il était plus que temps que je montre à tout le monde ce dont j’étais capable.

Je passai sous la douche et lavai vigoureusement mes cheveux que je rinçai ensuite avant d’enduire la moitié d’un pot de soin sur mes racines et mes pointes. Pour gagner du temps, je me lavai les dents sous le jet et me rasai les demi-jambes puis sans attendre la durée intégrale de pose de mon après-shampoing, je rinçai le tout et coupai l’eau. J’avisai l’heure. Plus le temps de sécher mes cheveux ni même de me maquiller. J’optai tout de même pour un peu de crème contre les rougeurs et du baume sur mes lèvres. En redescendant à la cuisine, je débarrassai la table et passai un coup d’éponge. Puis je m’adossai contre l’évier. La demie-heure était passée depuis dix minutes mais Henry n’était toujours pas ressorti. Je passai la main sur la table pour en chasser des miettes imaginaires – d’où me venait cette soudaine obsession pour la propreté ? – et me servis un verre d’eau au robinet. Enfin, la porte de la chambre de Mamé s’ouvrit.

— À vendredi Fanette !

Il passa devant moi en arborant un nouveau sourire poli.

— Je… peux vous poser une question ? lui demandai-je.

Il s’arrêta et m’observa très sérieusement avant de me questionner en retour.

— Vous n’avez plus vos canards ?

Je mis quelques secondes avant de comprendre.

— Ce sont des mouettes, pas des canards, répondis-je, lasse que tout le monde se méprenne sur mes chaussons.

Il sourit plus largement cette fois, provoquant une petite décharge au creux de mon ventre. Si j’avais bien sûr noté le charme qu’il dégageait lors de sa dernière visite, je ne pus que confirmer mon impression en voyant ses yeux s’étirer comme des amandes.

— J’aime beaucoup les amandes...

Il fronça légèrement les sourcils en signe d’incompréhension sans se départir de son sourire et, à le voir ainsi, je compris que j’avais parlé tout haut.

Lili/Coco : Mariée à son chat/son chien. Célibataire.

Tu m’étonnes !

Je secouai la tête pour revenir à la réalité et lui demandai en lui emboîtant le pas :

— Comment vous trouvez Mamé ?

— En forme.

— Mais est-ce qu’il lui arrive d’être incohérente ?

— Euh, non. Pas que je sache. Qu’est-ce qui vous inquiète ?

Nous étions à présent devant sa voiture. Il ouvrit le coffre pour y déposer son sac.

— Mes parents disent qu’elle oublie parfois des trucs… Mais je n’ai pas eu l’occasion de m’en rendre compte depuis mon arrivée alors, comme vous la voyez régulièrement…

— Je ne la vois qu’une demie-heure à chaque séance mais en effet à chaque fois elle est...cohérente. En y repensant c’est bien de mouettes et pas de canards dont elle m’avait parlé.

Je restai interdite devant son énième allusion à mes chaussons tandis qu’il s’installait au volant de sa voiture en souriant.

Saletés d’amandes !

**

Je pensai encore à Henry quand Mamé me demanda :

— T’as pas vu mes lunettes, Bibine ?

— Non. Dis, est-ce que tu as parlé de moi à ton kiné ?

Ma grand-mère s’arrêta en plein milieu du salon et je feins d’ignorer son sourire quand elle vint s’asseoir près de moi.

— Il se peut que je lui ai parlé de…

— Ce sont des mouettes Mamé !

— Bien sûr que ce sont des mouettes ! s’offusqua-t-elle. C’est moi qui te les ai offertes !

Depuis mon plus jeune âge, Mamé et moi allions chaque matin sur la plage les nourrir. Je ne l’avais jamais questionnée sur ce rituel, me contentant de suivre les empreintes que ses pas laissaient dans le sable, puis de jouer à écrire des mots que les vagues venaient ensuite embrasser lentement. J’aimais cette idée que ces mots – mes secrets – soient avalés par la mer et, tandis que Mamé envoyait ses propres secrets valser dans le vent, moi, je gardais cet espoir fou et totalement impossible que les miens atteignent les profondeurs – ou mieux – d’autres rivages.

— Il te plaît ?

La question de Mamé me ramena au présent.

— Qui ça ?

— Le bel Henry…

— Quoi ? Bien sûr que non !

— Oh ma Lili Divine, t’as jamais été douée pour mentir.

Et elle rit avant de se relever et de se remettre en marche.

— Qu’est-ce que tu cherches, Mamé ?

— Mes lunettes.

Une douleur me transperça le cœur lorsque mes yeux sur le pull rose de ma grand-mère. Sa paire de lunettes pendaient au bout de son collier de perles.

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