La métamorphose (3/3)
Comme tous ces évènements me dépassaient, je demandai bien vite à Andrew de m’accompagner chez moi. Il fallait que je réfléchisse sérieusement à ce qui m’arrivait.
« Non Kerwan, vous ne devriez pas partir, me dit-il en me tenant le bras, Il faut que vous lui parliez ! »
–Je suis dans l'incapacité de le faire…je repasserai demain la voir…S'il vous plaît accompagnez-moi chez moi ! »
Il me regarda quelques instants, comme pour se convaincre de ma détermination. Ensuite, en prenant une grande bouffée d’air, il s’exclama : « Je ne pense pas que cela soit la meilleure chose à faire mais si vous insistez…allon-y tout de suite ».
Quelques minutes plus tard, nous étions dans la voiture Andrew et moi, assis l'un en face de l'autre. Il se demandait certainement pourquoi j’avais réagi de la sorte. C'était un homme doté d'une grande patience ; à aucun moment, il n'avait laissé sa curiosité perturber ma tranquillité. Il m'avait défendu sans hésitation, comme l'aurait fait un père avec son enfant seulement celui-ci aurait demandé des comptes à son fils après coup, alors qu'Andrew m'avait protégé en me laissant libre d'aborder le sujet ou pas. Cet homme était digne de confiance. Je pouvais lui poser ma question. Il n'oserait pas douter de moi, en me prenant pour un fou. Mais je devais quand même faire attention à ce que j’allais dire. Il y a des limites à tout.Je lui dis que toute cette histoire m’avait tant bouleversé que je ne savais plus quel jour nous étions. Il me répondit calmement qu'on était le trois juin. Son étonnement fut encore plus grand quand je lui demandai de me préciser l'année, il me répondit encore : « Votre état est plus altéré que je ne le pensais ! Nous sommes le trois juin 1816 »
« Mon dieu, je me trouve à deux siècles de mon époque ! Pensais-je. Que suis-je venu faire ici ? » J'avais une certaine connaissance du vingtième siècle mais pas de celui d'avant, mis à part quelques événements en tête. Je sentis des frissons dans tout mon corps. Ma température augmentait.
Andrew paraissait de plus en plus inquiet comme s’il pressentait quelque chose qui effectivement ne tarda pas à se produire.
« Êtes-vous sûr de bien vous porter ? » Demanda-t-il. En entendant cette question je ne pus me sentir que très mal. L'air me manquait. Je n’arrivais plus à respirer si bien que je m’écriai : « Faites arrêter la voiture...je vous en prie, arrêtez là !
Je sortis bien vite à la recherche d'air frais pour calmer mon désarroi. Mes oreilles bourdonnaient ; mon cœur battait si fort que je ne pouvais plus entendre ce qu’Andrew me disait. Il faisait de son mieux pour me calmer. Je le regardai droit dans les yeux et lui demandai : « Dites-moi seulement où je me trouve ?
–Nous sommes sur le chemin qui mène vers votre demeure. Dit-il en croyant comprendre ma question.
–Dans quel pays ? Répondez-moi s'il vous plaît et cessez de me regarder comme si j'étais fou !
–Nous sommes à Bangor dans le comté de Down... en Irlande ! dit-il avec étonnement. Devrais-je, Kerwan, aller chercher un médecin ? »
« C'est trop tard, ce gentleman me prend déjà pour un fou, pensai-je paniqué, et puis...je m'en moque éperdument de ce que ces gens-là peuvent croire. En quelque sorte, ils sont tous mort… au diable tout le monde ! Je veux seulement rentrer chez moi...Que suis-je venu faire en Irlande ? » Des questionnements agitèrent ma pauvre petite tête, provoquant ainsi une montée de fièvre. Malgré que cette panique gagnait de plus en plus du terrain, je réussis quand même à me maitriser.
Il était quatorze heures passées quand nous arrivâmes dans la demeure des Driscoll. En dépit de la beauté du château qui était face à moi, à aucun moment je ne prêtai attention à cette bâtisse. Était-ce à cause de ma fièvre que je ne pus remarquer le décor ou, étais-je assommé par ce flux d'informations qui me tombait dessus depuis que j'avais pénétré la vieille ville de Jérusalem ? À vrai dire, je ne voulais plus donner d’importance à tout cela. Quand une situation vous dépasse, il est préférable de l’ignorer, au risque d'en perdre la tête. Et à ce moment-là, je voulais seulement qu'on me serve à manger. La soupe avait bon goût la viande froide aussi. Elle était un peu dure mais dans l'état au j'étais, elle faisait très bien l'affaire. Après ça, j’avais demandé à rester seul. Malgré son insistance pour être à mes côtés, je réussis à convaincre Andrew de partir. Il voulait veiller sur moi, jusqu'à l’arrivée des parents.
Une fois seul dans la chambre de Kerwan, mon attention se porta sur un seul objet, tout le reste du décor paraissait inintéressant, ce n’est que bien plus tard, que je me mis à observer les moindres détails. L’objet en question était un miroir. Il était accroché au fond de la pièce, recouvrant une partie du mur ; ce qui le rendait assez remarquable. Son cadre était sculpté à la main dans un bois massif. Ses motifs représentaient des arbres de tous genres. Seul le feuillage avait été peint en dégradé de vert, tout le reste avait été recouvert d'un vernis mat. En l'observant de loin, je m’aperçus dès lors que, je n'avais pas encore croisé mon reflet. La soif de me découvrir à nouveau me fit diriger sur le champ vers lui. Quelle importance avait joué mon apparence dans ma propre vie ? Je me regardais dans le miroir bien souvent avant de sortir pour m'assurer que j’étais présentable. D'autrefois pour admirer ma beauté. Bien qu'on m’ait fait assez rarement de remarques sur ce point, j’avais fait un choix conscient d’avoir toujours une bonne opinion de mon apparence. Cependant, l’idée ne m'était jamais venue jusque-là de vérifier que j'étais toujours le même. En m’approchant de ce miroir, mon cœur se mit à battre de plus en plus fort.
« Et si le miroir me trahit en me renvoyant un reflet qui n'est pas le mien ! pensai-je. Ai-je encore du courage pour affronter une épreuve de plus ? Au diable ce que j'y verrais! ...De toute façon, cette histoire ne durera pas bien longtemps ; tôt ou tard, on finit toujours par se réveiller ».
Je me jetai dans la gueule du loup en imaginant voir le pire, heureusement que c’était toujours mon image que le miroir avait choisi. Bien sûr, à quelques détails près. Qui aurait cru, que j'aurais été autant heureux de me revoir.
Mes cheveux passèrent de la couleur noir corbeau vers un brun foncé. Ils avaient un peu éclairci comme si le changement d'époque se résumait à ça. Mes yeux étaient toujours aussi grands de la même couleur marron que d'habitude ! Mon nez, toujours aussi long, ma bouche toujours aussi banale. Quant à ma peau, elle avait perdu de son éclat. Sa couleur bronzée qui avait fait d'elle sa réputation, avait disparu, en cédant la place à un blanc pâle délavé. Ce n'était pas bien grave, il suffisait que je m'expose un peu plus au soleil et le tour était joué. Encore un détail qui avait changé. Heureusement que ce changement s'opéra en ma faveur car, j’avais rajeuni au moins d'une dizaine d'années. Voilà, enfin, une bonne nouvelle
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