« Bonjour mon ami, figurez-vous que, vous aviez raison.

–Bonjour Andrew, répondis-je bien vite, mais à propos de quoi ? »

Il était venu me rendre visite un matin, me trouvant en train de m’exercer avec Anna sur un piano que je venais tout juste de changer. Elle se trouvait assise à mes côtés comme tous les matins à cette heure-là pour m'observer jouer et apprendre à son tour. Je lui fis signe du regard de me laisser seul avec mon visiteur. Il attendit que la servante sorte pour continuer : « Nous somme le 10 juillet et j'ai appris, ce matin, qu'hier, les Provinces Unies de l’Amérique du sud ont signé l'indépendance à l'issue du congrès de Tucuman.

– Dois-je conclure que vous avez fini par me croire ?

– Je ne sais pas, dit-il aussitôt puis en souriant sournoisement il ajouta : auriez-vous un autre événement en tête qui ne tarderait pas à se produire ?

Je réfléchi pendant quelques instants puis répondis : « Non, pas pour le moment. En revanche j'ai d'autres événements, j'ai bien peur que vous ne seriez plus là pour les voir se concrétiser.

Surprit par ma dernière remarque, il resta pendant un moment sans parler comme s’il venait de prendre conscience que la vie allait continuer malgré sa mort, puis déclara : « Quel dommage que je ne puisse pas vivre aussi longtemps, je compte, bien entendu, sur la réincarnation pour connaître votre époque.

– Croyez-vous en la réincarnation ? Demandais-je tout étonné.

– La preuve se trouve peut-être devant moi.

– Ce qui m'arrive n'a rien à voir avec ça !

– Vraiment ! dit-il d’un air faussement étonné, expliquez-moi donc ce que c'est ?

– C'est une erreur, voilà tout. »

Comme il me regardait d'un air peu convaincu, je continuai : « Se réincarner…c'est renaître à nouveau après sa mort, prendre un nouveau corps. Or, ce qu'il nous arrive Sarah et moi n'est pas la même chose. Nous avons certainement pris un autre corps sans être morts, et l'étrangeté dans tout cela c'est que nous sommes revenus en arrière.

– Peut-être vous êtes-vous réincarnés dans l'une de vos vies antérieures.

– Vous voulez dire que Kerwan Driscoll était une précédente vie pour moi ? »

Il acquiesça de la tête avec un sourire mi sérieux mi moqueur. Je passai mes mains sur le visage comme pour mieux comprendre cette dernière remarque puis je rajoutai : « J'ai exactement la même physionomie que Kerwan et de même Sarah avec Élisabeth, ce qui veut dire que nos gènes sont les mêmes. Ça ne peut être la réincarnation.

– Pardonnez-moi, je ne vous suis plus.

– Mon cher Andrew, les gènes ce sont des petites choses qui se trouvent dans nos cellules et chacune d’entre elle, a pour fonction de déterminer une caractéristique spéciale de l'individu.

– Vous m'avez l'air de connaître bien des choses, dit-il de façon détachée en jouant quelques notes sur le piano. »

Depuis plus d'un mois qu'on se fréquentait Andrew et moi, il ne m'avait encore jamais posé de question sur mon époque. Ce n'était pas par manque de curiosité mais plutôt, par incrédulité. Poser des questions justes pour faire semblant n'était pas non plus son genre. Il respectait profondément Kerwan Driscall et plus encore il respectait ce que celui-ci affirmait. Donc s’il allait dans mon sens jusqu’ici, c'était uniquement parce que moi j'y croyais, et un tel respect ne pouvait qu'augmenter mon estime envers lui. Je tenais à répondre sans autant le troubler, toute donnée venant de mon époque pouvait soit l'extasier ou, tout au contraire le perturber.

« Je connais des tas d'autres choses Andrew, poursuivis-je, d'ailleurs je viens de me rappeler d'un événement qui ne tardera pas à se produire. Le 27 août prochain, 27 navires des Royaumes de Grande-Bretagne et des Pays-Bas, bombarderont le port d'Alger. La bataille se terminera en faveur des vôtres puisque 12 milles esclaves chrétiens seront libérés et un traité sera signé. »

Il s’arrêta aussitôt de jouer et me regarda avec des yeux grandement ouverts puis il répondit : « Si ce que vous me dites s’avère vrai, alors je n'aurai plus aucun doute en ce qui concerne l’existence de dieu.

–Est-elle une preuve suffisante pour prouver son existence ?

–En quelques sorte…oui, dit-il en reprenant son jeu. »

Je le regardais s’extasier sur ce qui risquait de faire basculer ses croyances, et cela en faveur d'un dieu qui se voyait toujours obligé, depuis que la science l'avait banni, d'aller à l'encontre des lois de la nature pour prouver sa propre existence. Ce raisonnement existait entre autres dans la religion de mes ancêtres, les prophètes devaient toujours se débrouiller en ayant en poche un miracle pour prouver leur véracité. Je disposais moi aussi de quelque chose de la sorte et qui me permettait de connaître une partie de l'avenir. Cela me faisait passer pour un prophète ce qui ne me déplaisait guère. Je regardai à nouveau mon ami et je lui demandai : « Laissons ce débat de côté et dites-moi où je pourrais trouver une librairie car j'aurais besoin d'approfondir sur le sujet de la réincarnation ?

– Je ne suis pas sûr que vous trouviez de tels livres…certains sujets sont censurés. Je peux toujours vous en procurer par quelques connaissances. »

Cette piste de réincarnation n'allait sûrement pas nous mener bien loin mais pour soulager ma conscience il fallait bien explorer toutes les possibilités. Ne rien laisser au hasard c'était ma devise pour avancer jadis dans mes enquêtes.

En explorant le passé de Kerwan Driscall, je ne trouvai rien d’intéressant. Certains témoins l’avaient vu charger son arme, ce qui voulait dire qu'il avait bien l'intention de l'utiliser contre quelqu'un mais rien ne prouvait que ses intentions étaient de tirer sur Élisabeth Collins.

Peut-être que Kerwan regrettait son acte au même moment que moi, à deux siècles d’écart. Certaines théories énonceraient que le passé, présent et future cohabite ensemble et la notion du temps qui s’écoulerait, n'est qu'une illusion. Conclusion, cette époque n'est pas encore passée.

Est-ce à cause de la prière que j'ai faite après avoir tiré sur elle que, les choses se sont soudainement chamboulées ? Et que je me suis retrouvé propulsé à travers l'espace-temps ? S’il n'y avait pas eu cette forte odeur de verdure à Jérusalem je pourrais sans aucun doute croire que mon vœu avait été exaucé. Cette odeur présageait déjà le pré irlandais ou je m'étais retrouvé quelque heure après. Donc je n'étais pour rien. L'espace-temps à courbé le trajet de la balle si non elle ne l'aurait jamais reçu à l’épaule, c'était le pied qui avait été visé. Voilà une bonne manière de me décharger de l’affaire, accuser l'espace-temps de tous mes problèmes.

« Voulez-vous que je vous les procure ? s’exclama-t-il en s’arrêtant de jouer, me sortant de mes pensées.

– Quoi donc ? dis-je car j'avais déjà oublié de quoi nous parlions.

– Des livres sur la réincarnation.

– Oui…oui pourquoi pas.

– J'ai oublié de vous prévenir ; Fiona passera demain pour nous prévenir de ce qui se passe chez Collins.

– Vous a-t-elle écrit ?

– Non elle me l’a dit hier.

– Êtes-vous allez chez les Collins, Andrew ?

– Oui, hier, pour voir Cole leur aîné et l'un de vos meilleurs amis ! Il travaille pour vous, l'avez- vous déjà oublié ?

– Non… je me souviens encore de cette histoire. Est-il informé de ce qui s'est passé entre moi et sa sœur ?

– C'est bien pour ça que je suis allé le voir, pour être sûr qu'il n’ait pas une version erronée de l'histoire. J'ai pris l'initiative de lui écrire et comme il ne m'avait toujours pas répondu, j'ai décidé d'aller le voir en personne. Cependant, je n'ai pas eu l’occasion de m'entretenir seul avec lui. Pendant tout le temps, Élisabeth, Ambrose et la mère le collèrent comme s’il allait leur échapper.

– Craignaient-il que vous soyez seul avec lui ?

– Peut-être bien, je vais essayer de le voir en dehors de chez lui…Je dois vous laisser.

– Une dernière chose Andrew, croyez-vous encore que ce soit Élisabeth ?

– Pour être franc avec vous je ne suis pas encore sûr que vous ne soyez pas Kerwan. Quant à douter de l'identité d’Élisabeth, excusez-moi de vous décevoir, l'idée ne m’a pas encore traversé l'esprit.