Le petit Samuel
Après mon entretien avec mon soi-disant père, je montai me réfugier dans ma chambre, il n'était plus question d'aller voir Andrew. Ce que j’éprouvais, n’appartenait plus à ce monde. Bien qu’il fût difficile pour moi de pleurer, les larmes me couvraient déjà le visage. Mon problème affectif avec ma véritable mère et la culpabilité que j’éprouvais envers Sarah me submergeait.
Jadis, il était hors de question pour moi de me laisser aller. J’étais, tout de même, un homme. Et les hommes, d’après ma mère, ne pleuraient pas. Etrangement, sa remarque restait gravée dans mon esprit alors que je n’avais aucune considération à son égard.
Une fois la crise passée, je décidai d’abandonner toute tentative de retrouver Andrew et d'aller me promener. Celui-ci allait bien finir par repasser. Seulement, en sortant pour la troisième fois, j’aperçus un jeune garçon en pleine discussion avec le jardinier. L’air du jeune homme m'était familier. En me voyant, ce dernier vint aussitôt dans ma direction, et s’exclama : « Monsieur, je venais justement vous voir ! »
Il s'agissait de l’aîné des deux garçons du marché. Il me tendit un vêtement plié et continua : « Je voulais vous remercier, monsieur pour tout ce que vous avez fait pour nous ! Voici votre veste. Elle est nettoyée et repassée.
– Cette veste vous appartient, rétorquai-je en repoussant gentiment son offrande, je croyais avoir été assez clair, l'autre jour.
– Mon frère tenait absolument à vous la rendre.
– Dites-lui que c'est un cadeau et que si elle est trop grande, il n’a qu'à attendre quelques années.
– Malheureusement, monsieur… ça ne sera plus possible ! Il nous a quitté hier soir... emporté par une fièvre !
Surprit par la nouvelle, je restai pendant un moment sans réagir. Puis, je finis par m’exprimer.
: « Toutes mes condoléances, je suis désolé pour votre frère... comment s’appelait-il déjà ?
– Samuel.
– Et vous ?
– Matthew, monsieur.
– Dites-moi ce que je peux faire pour vous, Matthew ? J'imagine que vous traversez une dure épreuve ! »
A force d’avoir vécu répétitivement la même chose, il semblait accepter la situation comme si c’était tout à fait naturelle de perdre quelqu’un. Il m’expliqua d’une manière très sobre, qu’il était déjà passé par là, en enterrant son père, sa mère, son beau-père et sa petite sœur de trois ans.
Je l’accompagnai à l’auberge pour rendre une dernière visite à son défunt frère. Il était hors de question, pour moi, de le laisser rentrer seul à des moments pareils. Il essaya de m’en dissuader en me disant que cela ne nécessitait pas un tel dérangement. Mais, j’insistais pour le faire.
Une fois arrivés, l’aubergiste nous conduisit dans la cave du sous-sol. Le corps bien propre du petit Samuel se trouvait allongé sur une longue table. C'était ma première rencontre avec une dépouille aussi jeune. On aurait dit qu'il dormait. Son teint était pâle mais à aucun moment on n’aurait cru qu'il était mort. Je m'assis sur une chaise près de cet enfant que j'avais à peine connu, et je récitai doucement une prière avec mes propres mots. Matthew s'était assis non loin de moi. Pendant un moment, il continuait à s'excuser du dérangement qu'il croyait causer puis en voyant que je ne répondais pas, il avait fini par se taire. La cave était humide et froide, si bien que je demandais au jeune garçon de mettre la veste car désormais, elle était la sienne. Il se couvrit aussitôt sans rien dire.
Au premier abord, je trouvais l’endroit très glauque. Et le fait que nous étions sous terre, me donnait l’impression d’être dans une tombe. Avoir déposé le petit sur une table, me paraissait irrespectueux. Je voulais me plaindre en réclamant une chambre. Mais, je compris bien vite que c’était à cause de la fraicheur de l’endroit, qu’il avait été placé ici. Petit à petit, la pièce ne me paraissait plus aussi effrayante qu’au tout début. Je commençai à m’habituer à cette ambiance macabre.
L'aubergiste passa pour nous demander si nous avions besoin de quelque chose. Afin de se réchauffer, Je commandai une bouteille de Brandy. Je continuai à regarder cette dépouille immobile en imaginant qu'elle vie, il avait bien pu mener pendant neuf années.
– Comment était-il Samuel de son vivant ? Demandai-je, soudainement.
Etonné par ma question, Matthew me scruta longuement en cherchant ses mots, puis balaya du regard la dépouille du petit frère et répondit : « Discret... il ne sait jamais plein... pensant d'abord aux autres. Ses dernières paroles étaient de vous rendre la veste. »
Il était, tout de même, surprenant de constater qu’un petit garçon de cet âge, pouvait penser à une telle chose dans les dernières minutes de sa vie ? S’il avait insisté sur le fait que son grand frère vienne lui rendre visite sur sa tombe, j'aurais certainement compris. Mais de là me rendre la veste me surpris. Il s’était comporté comme un adulte responsable qui chercherait à rembourser ses dettes dans le but de partir en paix.
Nous bûmes tout l’alcool qui nous avait été servis sans trop se parler. Malgré son jeune âge, je l’avais laissé se resservir autant qu’il voulait.
Je ne savais pas sur quoi discuter, la peine qu’il vivait m’était étrangère. Pour mieux comprendre cette dernière, j’essayais de me mettre à sa place en imaginant perdre mon propre frère.
Soudain, ce jeune garçon qui paraissait si courageux, explosa en sanglot. L’effet de l’alcool le rendait plus émotif. Ses larmes parlaient d’elle-même : « Comment pourrais-je continuer à vivre sans toi petit frère ? Désormais, je n’entendrais plus le murmure de ta voix ni l’éclat de ton rire. Tout cela fait déjà partie du passé ! À mon réveil, ton absence me rappellera combien la vie est cruelle. A la tombée de la nuit ton absence veillera sur mes peines. La douleur sera mienne jusqu’au jour où elle fera seulement partie d’un mauvais souvenir. Mais d’ici là, je prierai mon seigneur pour retrouver ma joie de vivre. »
Je me levai de mon siège et alla vers lui pour le consoler. Je ne savais pas trop comment m’y prendre mais, je finis par l’apaiser en l’entourant de mes bras.
Je lui promis de m’occuper, moi-même, de l’enterrement. Quant à lui, il avait seulement l’obligation de prévenir ses proches, si bien sûr il en avait. Il m’informa l’existence d’une grande sœur. Elle habitait, Belfast.
Le soir même, je l’expédiai avec l’un des cochers pour aller cherchez sa sœur. J’avais dû attendre au moins deux jours avant de le voir réapparaitre.
Annotations