Chapitre 6
NDLA : je tente un format plus court de chapitre à raison de poster un peu plus souvent ! Dites-moi si ça vous convient.
Bonne lecture !
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Il n’était pas loin de dix-neuf heures quand Dap éteignit son ordinateur portable. Une idée merveilleuse lui était apparue dans un de ces rares éclairs de génie que sa mère vantait sans cesse. Il avait passé la moitié de l'après midi après la réunion à compulser dans un document toutes les questions à poser à Aysha et Linus pour demain. Les deux développeurs s'étaient à nouveau enfermés dans un bureau juste après que Lydia ait sonné la fin de la réunion mensuelle, non sans avoir d'abord fourni à Dap les différentes tâches qu'il devait maintenant accomplir à la place d'Aysha. Dap avait souri, assuré qu'il ne retiendrait pas la moindre interrogation et s'était claquemuré entre son écran et le dossier de sa chaise pendant trois heures. Même la pause café de seize heures n'interrompit ses réflexions, Dap était bien décidé à faire son maximum.
Lydia lui avait parlé d'une réserve de fournitures et Dap s'y rendit, son ordinateur portable dans une main, sa veste dans l'autre. Sa nuque était raide et quand il entra dans le bureau de stockage, la différence de température avec les bureaux le frappa d'autant plus. Il étira ses muscles glacées par la clim avant d'attraper sur une des étagères, une sacoche pour ordinateur.
Dans l'ascenseur, dans les métros et durant la longue côte jusqu'à chez lui, Dap calcula. S'il travaillait deux bonnes heures ce soir, il aurait largement vu et revu toutes les tâches importantes et serait prêt à abattre ces chefs de questions pertinentes. Il passa à la supérette pour un plat à réchauffer au micro-onde et dévora le tout sur la table basse de son salon, l'écran de l'ordinateur à bonne distance de tout jet de nourriture, scrollant la page de documentation avec la souris sur le canapé.
A minuit, la conscience de Dap le tira des affres des formules de comptabilité, de librairies à implémenter, de code « legacy » pour lui signaler les vibrations incessantes de son téléphone portable.
— M'man ? marmonna Dap d'une voix pâteuse en décrochant. Tu dors pas ?
Le minuscule filet de voix d’Anne lui répondit, toujours aussi guillerette et en meilleur forme que lui malgré l'heure indécente.
— Je regarde Rémi. Tu verrais la famille qu'il interviewe, c'est à pleurer de rire. Ils sont persuadés que le parquet est hanté.
— Encore une chaudière capricieuse ?
— Non, non, le parquet ! Je te dis, ils ont tracé un chemin en collant des semelles par terre, tu verrais cette pauvre dame, elle doit avoir quatre vingt ans, en train de se contorsionner pendant que son mari lui gueule que son petit doigt dépasse !
Elle s’étrangla de rire sur ces derniers mots, ce qui permit à Dap de capter la musique du générique de l'émission de Rémi, le petit ami de sa mère. Son show passait en direct sur une chaîne YouTube, durant laquelle le sexagénaire se rendait dans des supposés maisons hantés et prouvait à ses habitants, avec un luxe de patience et de bienveillance cartésienne, que la totalité de ces phénomènes paranormaux s'expliquait par une tuyauterie qui fuyait, un rat dans les murs ou un empoisonnement au CO2. Dap trouvait l'émission un poil ennuyante mais sa mère en faisait son plaisir coupable.
— Je croyais que tu attendais Rémi pour regarder, dit Dap tout en ouvrant et fermant des fichiers de code.
— Non, il m'a fait promettre de ne plus voir avec lui, marmonna Anne. Il ne supporte pas que je me moque de ces pauvres gens. Je n'ai pourtant pas ri quand cette famille a découvert que leur lave-ligne possédé aurait pu à tout moment les électrocuter.
— Il est trop bon pour toi.
— Sans doute, susurra sa mère avec une pointe de sarcasme. Pourquoi tu ne m'as pas appelé ?
Dap grimaça et se répandit en excuses, noyés très vite par un bâillement.
— Ce n'est pas grave mon chéri. Tout se passe bien là-bas ? Tu es sûr que c'est une bonne chose de rester encore debout à cette heure-ici, tu vas être épuisé demain.
— J'aimerais m'avancer sur quelques trucs. C'est... plus compliqué que prévu.
— Quoi de plus normal, tu as découvert le métier il y a six mois à peine. Je suis certaine qu'avec tes capacités, tu ne tarderas pas... ah la vieille dame vient d'avouer qu'elle a fait appel à un exorciste ! Rémi essaie de le contacter, attends une seconde.
Dap écouta à travail son portable, la tonalité d'une sonnerie et retint son souffle en même temps que sa mère. L'exorciste ne répondit pas et Anne poussa un soupir de déception.
— Qu'est-ce que je disais ?
— De croire en moi. Je le sais m'man, ne t'en fais pas. Il y a juste beaucoup à apprendre.
— Ca va aller, dit Anne et Dap détacha enfin son regard de l'écran de son ordinateur, soulagé à la simple mention de ces trois mots. Tes collègues sont gentils ?
Dap lui assura que oui, ravi que l'attention de sa mère soit dirigé sur l'émission de son petit-ami pour capter l'hésitation dans la voix de Dap. Il lui parla du parc, de la machine à café, de Lydia et Aysha, esquiva la disposition ridicule de son bureau, l'humour sexiste de certains et surtout le fait qu'il avait déjà couché avec son patron.
— C'est super mon chéri, dit Anne. Tu veux qu'on passe à la maison ce week-end ?
— Pourquoi p...
— Oh, au fait ! Tu as vu la dernière photo de Flo ?
Dap se rejeta avec le minimum de délicatesse sur son canapé. Il ferma les yeux.
— Non, m'man. Je ne suis plus Flo sur les réseaux, on s'est dit que c'était mieux comme ça.
— Même sur son compte professionnel ? Elle a posté une photo des montagnes néo-zélandaises, c'était à couper le souffle.
— Je n'en doute pas.
Il regretta aussitôt sa réponse, le souffle de sa mère se fit soudain plus rapide, toute son attention concentrée sur son fils.
— Ça te gêne que je la suive ? Je... j'ai aimé sa photo mais si tu veux, je peux...
— Mais non voyons.
— Tu veux que je ne t'en parle pas ?
— Ce n'est pas... tiens, je vais la regarder la photo. Pour te prouver que tout va bien, ajouta-t-il entre ses dents en éloignant le téléphone de sa figure.
Il retrouva le compte professionnel de son ex-copine et tomba aussitôt sur la photo dont parlait sa mère. Même sur son minuscule écran, le relief abrupt et verdoyant de la Nouvelle-Zélande parvenait à faire reculer les murs du studio de Dap. Il esquissa un sourire en lisant la description accompagnant la photo.
"Me suis jamais autant sentie comme un hobbit".
— Très sympa, dit-il puis d'un ton plus assuré : elle gère toujours autant.
— Oui, s'exclama sa mère son enthousiasme retrouvé. Tu l'as appelé récemment ?
— Pas depuis la fois où son vol avait du retard.
— Oh très bien.
Dap se redressa, refermant l'écran de son ordinateur portable assez fort pour couper court à la conversation.
— Je vais me coucher, m'man. Tu passeras le bonjour à Rémi quand il rentrera.
— On se voit ce week-end ?
Dap lui répéta son assurance que rien ni personne ne les empêcherait de se retrouver cette fin de semaine. Sa mère ne capta pas le sarcasme dans sa phrase, de nouveau concentré sur le show de son Rémi, et il raccrocha en riant. Son portable était resté sur la photo des montagnes de Nouvelle-Zélande. Anne avait toujours beaucoup aimé Florence, et l'amitié était réciproque. Il savait que dans la rupture, sa mère faisait partie de ceux qui avait le plus souffert. Dap se dit qu'il n'était pas encore temps de lui parler du petit-ami australien que Flo s'était fait là-bas.
Il laissa ce problème plus tard, ralluma son ordinateur et se replongea une dernière fois dans ses notes.
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