Maria Dominguez
Dallas, Texas
Vendredi 1er juillet
L’alarme du téléphone de Melinda se déclencha à huit heures, après de trop courtes heures de sommeil. Il était temps de devenir Maria Dominguez pour la deuxième partie de l’opération. Après une longue douche pour retrouver ses esprits et une séance à la salle de fitness de l’hôtel, elle entreprit de transformer son apparence physique avant de se rendre au rendez-vous chez Holmes Petroleum Texas.
Après un maquillage minimal, elle commença par mettre en place des lentilles de contact colorées, vert jade. Une paire de lunettes à monture épaisse accentua l’austérité de son visage, en combinaison avec ses cheveux sombres coiffés en chignon serré.
Sa poitrine généreuse contenue par une brassière serrée, Melinda choisit un chemisier blanc qu’elle boutonna entièrement avant d’enfiler un tailleur gris souris dont la jupe descendait au-dessous des genoux. Une paire de mocassins plats acheva de transformer sa silhouette.
Melinda contempla le reflet de Maria Dominguez dans le miroir du dressing. Elle était méconnaissable. Elle descendit dans le hall de l’hôtel et demanda au concierge de lui appeler un taxi. Trente minutes plus tard, elle se présentait à l’accueil de l’entreprise dirigée par Marvin Holmes. La réceptionniste la fit patienter quelques minutes le temps de prévenir l’assistante du directeur général. Une jeune femme au physique avenant vint la chercher rapidement. La visiteuse considéra rapidement la tenue de l’assistante et se dit que Marvin Holmes devait faire régulièrement appel à ses services pour des missions ne figurant pas sur son contrat de travail.
— Bonjour, je suis Monica Constanza, l’assistante personnelle de Monsieur Holmes. Si vous voulez bien me suivre, Monsieur Holmes vous attend en salle de réunion. Frank Petersen, notre directeur des opérations sera également présent.
Les bureaux de HPT étaient classiquement décorés de photos de chantiers et d’attestations d’organismes certificateurs. La plupart des locaux étaient organisés en larges open-spaces où tables à dessin et écrans d’ordinateurs se partageaient l’espace. La salle de réunion était meublée d’une longue table de conférence pouvant accueillir une douzaine de personnes. Marvin Holmes était assis à une extrémité, face à la porte. Un autre homme, qui se présenta comme Frank Petersen, était à sa droite. Holmes accueillit la visiteuse en lui offrant un siège à sa gauche, face à Petersen.
— Mademoiselle Dominguez, je suis heureux de vous rencontrer, désirez-vous un café ou une boisson ?
— C’est Madame Dominguez, et oui, j’accepterai un café, un expresso si possible.
— Monica, pouvez-vous préparer un expresso pour Madame Dominguez ? demanda Holmes.
— Je vous l’apporte tout de suite. Avec du sucre ou du lait ?
— Non merci, noir.
Sans attendre le retour de la jeune femme, l’entrepreneur engagea la conversation, directement sur le sujet principal.
— Madame Dominguez, je ne vous cacherai pas que j’ai été très surpris par le courrier que vous nous avez envoyé. Notre entreprise mène de nombreuses opérations dans le domaine des travaux publics et comme vous avez sans doute pu le constater en parcourant les couloirs, nous avons obtenu les meilleurs résultats lors des différents audits auxquels nous avons été soumis. J’ai demandé à Frank, notre directeur des opérations, qui supervise tous nos projets, de participer à cet entretien. Il m’a d’ores et déjà garanti qu’il n’était informé d’aucun des faits que vous avez mentionnés.
— Messieurs, l’organisation que je représente a collecté de nombreux témoignages auprès de différentes associations et les documents sont accablants. Nous avons des photos et des vidéos montrant des véhicules de votre entreprise déversant des effluents dans des plans d’eaux et rivières en divers endroits de l’Etat. Nous avons également des échantillons de remblais pollués déposés dans les soubassements de bâtiments publics, une école en particulier.
Le directeur des opérations prit la parole.
— La totalité des déchets que nous collectons sur nos différents chantiers font l’objet de déclarations enregistrées auprès des autorités. Nous pouvons vous en fournir les copies. Il est très facile de falsifier des photos et vidéos. Nous connaissons les méthodes des activistes environnementaux. Ils n’ont qu’un objectif, obtenir la cessation de nos activités, mais ils oublient que nous employons des milliers de personnes dans cet Etat.
— Calme-toi Frank, intervint Holmes, inutile de t’emporter. Je pense que nous pouvons répondre point par point aux accusations de Madame Dominguez.
— Je ne vous demande pas une réponse immédiate, mais comprenez bien que nous ne sommes pas un petit groupe d’anarchistes, comme votre directeur semble le penser, mais une ONG internationale qui dialogue avec les principales agences gouvernementales. Nous avons l’intention de demander réparation pour les dommages environnementaux résultant de vos négligences.
— Vous ne trouverez rien, s’emporta l’homme des opérations, parce qu’il n’y a rien à découvrir. Tous nos chantiers sont inspectés par les autorités du comté et de l’Etat. Nous n’avons rien à nous reprocher.
— Ça suffit Frank, coupa le directeur général. Je vais traiter cette affaire personnellement avec Madame Dominguez. Laisse-nous je te prie !
Le directeur congédié quitta la pièce sans un mot.
— Je vous en prie Madame Dominguez, m’autorisez-vous à vous appeler Maria ? Continuons cette conversation sur un mode plus apaisé. Frank est habitué à la conduite des hommes sur les chantiers, ce n’est pas un diplomate. Maintenant, je ne peux pas lui donner tort, nous disposons de toutes les autorisations requises pour le transport des matériaux issus de nos constructions ou démolitions. Je suis sûr que nous allons trouver un terrain d’entente afin de régler ce malentendu et mettre un terme à cette affaire qui pourrait gravement nuire à notre réputation. Je suis prêt à considérer les demandes de vos mandants et vous proposer le cas échéant des indemnisations conséquentes. Il va sans dire que je saurai également récompenser votre bienveillance à notre égard.
— Très bien, je vais rapporter cette conversation aux personnes que je représente. Je vous ferai part très rapidement de leurs réponses. Comprenez bien que je ne suis que la porte-parole, je n’ai aucune part dans leurs décisions.
— Je ne doute pas que vous puissiez avoir une certaine influence, ne serait-ce que par la façon dont vous ferez le compte-rendu de cette réunion. Connaissez-vous bien le Texas, Maria ? Si vous le souhaitez, lors de votre prochaine visite, car je ne doute pas qu’il y en aura une, je pourrais vous en faire découvrir des aspects méconnus. Nous ne sommes plus les cow-boys incultes, tels qu’on nous présente encore à New York ou en Californie.
— Je réfléchirai à votre proposition le moment venu, mais n’y comptez tout de même pas trop.
Monica Constanza raccompagna la visiteuse jusqu’au pied de l’immeuble. Dès qu’elle fut dehors, Melinda sortit son mobile et vérifia la qualité de l’enregistrement qu’elle venait d’effectuer puis elle lança une application et inséra les écouteurs dans ses oreilles. Deux minutes plus tard, l’écran s’anima. Un numéro de téléphone s’afficha, ainsi que la localisation du correspondant, Montgomery Alabama.
Sitôt revenu à son bureau, Marvin Holmes appela Elisabeth Stanton sur son mobile. L’avocate décrocha aussitôt.
— Elisabeth, j’espère que je ne te dérange pas, mais j’ai besoin de te parler.
— Salut Marvin, non, tu ne me déranges pas, je suppose que c’est important.
— Oui, je le crains. Je viens d’avoir un entretien plutôt déplaisant avec une certaine Maria Dominguez, qui représente une ONG environnementale. Elle nous accuse d’avoir trafiqué des documents relatifs à l’élimination de déchets polluants provenant de nos chantiers. Tu te souviens que c’est ton cabinet qui avait négocié avec ce type à Austin ?
— Oui, en effet, il vous a obtenu toutes les autorisations nécessaires, ainsi que les certificats de bon achèvement.
— Est-ce que ce type est vraiment fiable ? Comment réagira-il au tribunal s’ils montrent les photos de nos camions en train de décharger dans la nature ?
— Pourquoi faudrait-il aller au tribunal ?
— Tu sais bien que ces écolos ne lâchent jamais le morceau. J’ai proposé des indemnisations, mais ils n’ont rien à faire de l’argent. Ils voudront ma tête sur une pique.
— C’est pas faux.
— Tu crois qu’on peut faire en sorte que le type du bureau de l’environnement la boucle ?
— Tu veux dire définitivement ?
— S’il faut en arriver là. Si on perd un procès, l’entreprise est foutue et moi avec.
— On n’en est pas encore là, il y a d’autres moyens un peu moins radicaux. Laisse-moi un peu de temps pour y réfléchir.
Black Widow sourit. Tout marchait comme sur des roulettes. C’était la panique dans le panier de crabes. Elle appela Ironman.
— Hello, je ne te réveille pas ?
— Je ne dors pas beaucoup, ça me permet d’avoir plusieurs vies.
— Tu as raison d’en profiter. Tout a fonctionné comme prévu au Texas. Le poisson a avalé l’appât, l’hameçon et une partie de la ligne. Je t’ai envoyé l’enregistrement de notre réunion et tu as aussi le coup de fil qu’il a passé juste après à une certaine Elisabeth Stanton en Alabama.
— C’est parfait, je vais examiner ça tout de suite. Qu’est-ce que tu as prévu pour le 4 juillet ?
— Rien de spécial, tu veux m’inviter à un barbecue sur la plage ?
— Non, désolé, mais si tu pouvais passer le week-end à Boston, ça m’arrangerait bien, le Sonder Magnolia, un très bel hôtel.
— Ça doit pouvoir se faire, qui faut-il séduire ? Un homme ou une femme ?
— Ce sera à toi de voir. Je t’envoie tous les détails dans la journée.
Louis raccrocha. Chelsea avait raison, il y avait bien quelque chose de pourri en Alabama et pour le moment, les évènements s’enchainaient parfaitement. Toutes les cibles se précipitaient dans la nasse et à grande vitesse.
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