La balance
Austin, Texas
Mardi 12 juillet
L’agent spécial Phyllis Harper, en charge des affaires de corruption publique pour le bureau d’Austin, interpela son collègue, de l’autre côté de la cloison séparant leurs postes de travail.
— Steve, est-ce que le nom de Martin Coleman évoque quelque chose pour toi ?
— Comme ça, non, mais je vais regarder si nous avons quelque chose sur lui, répondit l’homme en face d’elle. Pourquoi est-ce que tu me demandes ça ?
— Nous venons de recevoir un mail accompagné d’éléments très convaincants, dénonçant des faits de corruption s’étendant sur plusieurs années.
— Martin Coleman, Commission de la Qualité de l’Environnement du Texas. Il a été repéré par les services fiscaux pour une discordance entre son train de vie et ses revenus déclarés. Il n’y a pas eu d’enquête sérieuse sur lui. Il n’a jamais été entendu.
— Et bien, c’est peut-être le moment de corriger cela ! déclara Harper. Tu m’accompagnes ?
— Avec plaisir, ça me fera du bien de prendre un peu l’air. Je prends ses coordonnées. À cette heure-ci, il doit être à son travail. Si on prend par la 183, c’est à une vingtaine de minutes.
Arrivés sur le parking, Harper lança les clés de la Ford Fusion.
— Prends le volant, tu as repéré l’itinéraire et j’ai un truc à vérifier.
— Comme tu veux !
Après quelques minutes, Steve s’adressa à sa collègue.
— Comment est-ce que tu comptes t’y prendre ? On l’embarque devant ses collègues ou on la joue un peu plus cool ?
— On va commencer par lui poser quelques questions anodines sur l’origine de ses revenus et son mode de vie et ensuite, selon ses réponses on le secouera un peu. Ce n’est pas lui qui m’intéresse au premier chef, mais ceux qui bénéficient de ses indulgences.
Phyllis et Steve se présentèrent à l’accueil de l’immeuble et demandèrent à parler à Martin Coleman.
— Je ne sais pas s’il est disponible, répondit la réceptionniste. Vous avez rendez-vous ?
— Agents Harper et Furlong, FBI, répondit Phyllis en montrant son badge. Je crois qu’il pourra trouver un petit moment pour nous.
— Oui, bien sûr, je vais le prévenir.
— Pourriez-vous nous indiquer une petite salle de réunion, je vous prie ? demanda Phyllis.
— Bien entendu, tout droit, au bout du couloir.
Coleman se présenta très vite, finissant de boutonner sa veste en franchissant la porte de la pièce où attendaient les deux agents.
— Monsieur Coleman, interrogea Harper, nous sommes désolés d’avoir perturbé votre emploi du temps, mais nous aurions besoin que vous répondiez à quelques questions.
— Moi ? Mais à quel sujet ?
— À propos de vous, Monsieur Coleman, intervint Furlong. Vous semblez mener une vie très agréable, une jolie maison, une jeune épouse élégante, des vacances sous les cocotiers...
— Euh, oui… bredouilla le fonctionnaire, j’essaie de prendre du bon temps quand je le peux.
— Le problème, c’est que cette vie doit coûter pas mal d’argent, et ce n’est pas avec votre salaire de fonctionnaire que vous pouvez la financer.
Les deux agents laissèrent un blanc pour laisser cette dernière phrase faire son effet.
— D’où proviennent vos revenus Monsieur Coleman, nous savons que vous n’avez pas de fortune personnelle, et votre épouse non plus.
— Je… je joue au poker. Je ne suis pas trop mauvais, alors j’arrive à arrondir les fins de mois.
— Allons Monsieur Coleman, vous pouvez peut-être essayer ça avec les flics du quartier, mais pas avec nous. Croyez-vous que le FBI s’intéresserait à vous si nous n’avions pas déjà quelques éléments ?
L’homme commença à se décomposer. La conversation qu’il avait eu quelques jours plus tôt avec l’avocate de Montgomery venait de prendre un nouveau sens. Peut-être y avait-il quelque chose à négocier.
— Il m’arrive de rendre de petits services, l’administration est parfois complexe et on peut faciliter la résolution de certains problèmes.
— Vous travaillez pour l’Environnement, n’est-ce pas ?
— Oui, je gère les autorisations de transport et de décharge des produits dangereux.
— Et donc, il vous arrive de faciliter le transport desdits produits et ainsi de rendre service à des entreprises qui ne veulent pas trop se compliquer la vie.
— Non, non, ce n’est pas ça… enfin il n’y a rien de vraiment dangereux.
— Est-ce que Holmes Petroleum Texas fait partie de ces entreprises qui ont besoin d’une petite aide occasionnelle ?
— Holmes Petroleum Texas ? ça ne me dit rien, non.
— Ecoutez bien Coleman, notre patience à des limites et vous les avez atteintes, affirma l’agent Harper en haussant légèrement le ton. Si vous cherchez à nous enfumer, nous vous faisons faire le tour de tous les bureaux menotté. C’est à vous de choisir.
— Il m’est peut-être arrivé une ou deux fois de signer un certificat sans aller vérifier sur place.
— Monsieur Coleman, reprit Furlong plus doucement, je vais vous montrer une petite vidéo et ensuite nous verrons si la mémoire vous revient.
L’agent sortit son smartphone et lança l’enregistrement réalisé quelques jours plus tôt par Black Widow.
— Alors, vous êtes toujours certain de ne pas connaître Holmes Petroleum Texas ?
— Ecoutez, répondit le fonctionnaire d’une voix brisée, j’ai reçu des menaces. Au cas où je parlerais de ces transports.
— Des menaces, voilà qui est intéressant, et de qui venaient ces menaces, monsieur Coleman ?
— Une avocate, l’avocate de la compagnie Holmes. Je ne me souviens pas de son nom.
— Nous pouvons vous protéger monsieur Coleman, vous et votre charmante épouse, mais pour ça, il va falloir tout nous raconter.
— D’accord, je vais tout vous dire, mais je veux un accord avec le procureur.
— Qu’est-ce que tu en penses, Steve ? Tu crois que cet homme a vraiment tant de choses à nous dire ? Le procureur n’aime pas être sollicité pour rien.
— Je vous assure que je peux vous donner beaucoup de précisions.
— Bon, on peut tenter le coup. On va vous emmener avec nous au Bureau, et vous commencerez à nous raconter. Si ç’est aussi gros que ce que vous pensez, on appellera le bureau du procureur.
— Vous allez me passer les menottes ?
— C’est la procédure, répondit Furlong, mais pour vous mettre en confiance et prouver qu’on ne cherche pas à vous piéger, on peut faire une exception, n’est-ce pas agent Harper ?
— Considérons pour le moment que monsieur Coleman est un simple témoin. Si vous avez dans votre bureau des documents ou des fichiers qui pourraient nous être utiles, je vous propose que nous passions les chercher ensemble, ce sera moins gênant pour vous que si nous avions à revenir avec un mandat.
Trois heures plus tard, Paul Desmond, un assistant de l’attorney fédéral, avait rejoint les deux agents au siège du FBI. Phyllie Harper avait exposé la situation et listé les entreprises ayant usé des services du fonctionnaire corrompu. Le plus gros morceau était Holmes, dont les pratiques duraient depuis près de dix ans, mettant en jeu la santé de nombreux habitants de l’Etat, dont les enfants de plusieurs écoles construites sur des terrains pollués.
— Il y a aussi ce cabinet d’avocats de Montgomery, remarqua Desmond. Je ne crois pas que le barreau d’Alabama veuille laisser passer ça. À combien estimez-vous les sommes que ce Coleman aurait touchées durant toutes ces années ?
— Nous n’avons pas encore obtenu de relevé précis, il nous faudra un peu de temps, mais en première approche, on parle d’au moins un million de dollars.
— Le procureur ne pourra pas passer l’éponge sur une si grosse somme. On pourra proposer une peine aménagée, mais votre homme devra quand même faire un peu de prison, pour le principe.
— Nous allons voir s’il accepte le deal. De toute façon, avec ou sans son témoignage, nous avons déjà assez d’éléments pour faire tomber Holmes.
— On n’a jamais trop de témoignages dans ce genre d’affaires. Mettons toutes les cartes dans notre jeu.
— Si vous êtes d’accord, proposa Harper, nous entendrons Marvin Holmes demain. Il nous faudrait un mandat pour perquisitionner les locaux de la compagnie HPT. Pouvez-vous vous en charger ?
— Pas de problème, le juge Hampton vous l’enverras dès ce soir.
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