Voyage dans l'angle mort
Bon, et justement, c'est là que le rêve dépasse vraiment les proportions du réel. Comme je disais, autant, je peux pas m'arrêter de courir, autant, je vais vraiment où je veux. C'est-à-dire que je change de décor comme en claquant des doigts. Et dans mon rêve, il y a cette drôle de régularité... en fait, pour modifier le paysage, faut tourner dans un angle mort. Faut le temps que l'environnement se dessine, on dirait. Même si c'est en une fraction de seconde... je sais pas pourquoi... mais, littéralement, tourner la tête me fait changer de tableau. Ça commence souvent au même endroit : un jardin de la taille d'un quartier, couvert de soleil et de pelouse fraîchement tondue. C'est tout quadrillé de cordes à linge et de buissons verts sombres, difformes. Et le voisinage, qui fait sa vie dehors, m'induit volontairement en erreur quand je leur demande où est la sortie, et je me tape des boucles infernales, à cause d'eux, au début. D'habitude, c'est là que je regarde ma montre, et quand j'ai réalisé que je suis pris au piège dans mon rêve, je me précipite quelque part, dans une maison ou dans une piscine gonflable et, l'instant d'après, je sors des rives d'un lac de montagne. Je dis ça c'est pour l'exemple, hein. Et, comme ça, je passe par des tas d'endroits... la forêt, il y a toujours, à un moment donné, une forêt, qu'elle soit britannique ou cambodgienne, amazonienne... je passe par des champs de seigle blonds de mistral... je monte quelques dalles d'écume et je roule par-dessus des marais d'algues rouges... quand en pleine mer, j'ai le vertige, je me retrouve dans des canyons, et là je vois tout bleu tellement le ciel me tape dessus... je dévale des rizières... je dépasse des abricotiers errants... et c'est comme ça pendant cinq minutes avant mon réveil! T'imagines?
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