Chapitre 2
Une heure plus tard, nous nous arrêtions pour manger. Nous nous postâmes au sommet d’une dune, et nous commençâmes à manger notre ration, chacun regardant d’un côté différent, dos à dos. Au bout d’un moment, Cléa demanda :
- Quand est-ce que tu vas nous raconter ton histoire ?
- Jamais, répliquai-je. Comme je l’ai dit, je garde un avantage sur vous et...
- Arrête ! dit sèchement Corentin. De une, tu ne risques en rien en nous racontant ton passé, de deux, je pense qu’on est devenu amis, pas vrai ?
- De toute façon, je n’ai rien à vous dire, répondis-je.
- Tu nous disais il y a une heure que tu avais marché plus que nous et que tu avais vécu plus de choses, me détrompa Corentin.
Je me tus un instant, puis déclarai :
- D’accord. Mais attendons d’être reparti. Lorsque l’on parle en marchant, le temps passe plus vite. Et de toute façon, ne vous attendez pas à grand chose.
- Si tu veux, on te racontera aussi notre enfance, proposa Corentin. Une sorte d’échange.
- Si vous voulez, acquiesçai-je.
Nous finîmes notre repas en silence, puis nous nous remîmes en marche. Les deux autres me regardant avec insistance, je soupirai et dis :
- Bon je commence : Je m’appelle Matt Misouran. J’ai 15 ans. J’ai une soeur, Élise. Mon père est mort au Moyen-Orient alors que j’avais 5 ans, et ma sœur venait à peine de naître. Ma mère s’est vite remariée avec Arthur, un homme tout à fait détestable et que j’ai l’envie de tuer à peu près toutes les minutes de ma vie.
- Et tu tiens quand même à le retrouver ?
- Comme je l’ai dit, ce n’est sûrement pas pour lui que je retourne vers Dubbo. C’est pour ma mère et ma soeur. Pendant dix ans, on a vécu relativement en paix. Mais il est arrivé les trois événements que vous connaissez...
- C’est un peu pour ça que nous sommes tous ici, ironisa Corentin.
- Mon beau-père a perdu son travail, et notre relation s’est pour ainsi dire dégradée. A tel point que j’ai failli utiliser une carte contre lui.
- Qu’est-ce qu’il t’avait fait ?
- En fait, c’est plutôt de ma faute. J’ai dit quelque chose que je pensais mais que je ne voulais pas dire.
- Et il a réagi comment ?
- Il m’a plaqué contre un mur et m’a promis de me donner une bonne correction. Il l’aurait fait si ma mère n’était pas intervenue. Pour prévenir ce genre de choses, elle m’a envoyé chez mes grands-parents, durant les vacances. J’ai dû y aller une deuxième fois il y a une semaine, et il y a eu le tsunami.
- Il y a eu un tsunami ? demanda Corentin.
- Oui, pour ceux qui sont près de la côte comme moi. J’ai eu beaucoup de chance d’y réchapper, car j’étais dans la cave. J’ai quand même été blessé, et lorsque je me suis réveillé, mes grands-parents étaient morts.
- Je suis...
- Pas la peine de me plaindre ! l’interrompis-je sèchement. Je n’ai pas envie d’en parler, ça me ferait plus de mal que de bien. Ensuite, j’ai rencontré quelqu’un qui m’a menacé, je m’en suis sorti et je lui ai pris le revolver.
- Le revolver que j’ai ? demanda Cléa.
- Oui. A ce sujet, il ne doit plus avoir beaucoup de balles dans le revolver. Je suis allé dans une première ville, j’ai failli me faire tuer plusieurs fois, je me suis échappé avec beaucoup de chance.
- Comment ?
- Je me suis caché dans une voiture, et deux hommes ont pris la voiture et se sont éloignés. Au bout d’un moment, je les ai menacés et je m’en suis sorti.
- Comment ?
- Je les ai tués. Après, repris-je tout de suite, je suis allé dans une deuxième ville. C’était beaucoup plus risqué, et j’ai dû empoisonner toute une foule.
- Quoi ? Combien de personnes ?
- Je n’ai pas envie d’en parler. Je ne sais pas combien de personnes j’ai tué, mais cela doit sûrement dépasser la cinquantaine. J’ai honte de moi-même.
- C’était pour te défendre ! protesta Corentin.
- Sauf que les autres personnes se défendaient aussi, répliquai-je en me souvenant de ma discussion avec moi-même. Ils voulaient de la nourriture, et ils m’ont attaqué. C’est normal, c’est humain. Mais je les ai tués, alors qu’ils étaient parfaitement dans leur droit.
- A t’entendre, on croirait que tu aurais préféré de faire tuer ! ironisa Corentin.
- Je n’ai pas dit ça. Je relativise, c’est tout. Bon, après ce passage dans cette ville, je me suis fait poursuivre par une foule et des vélos. Heureusement, j’en avais pris un, et j’ai pu m’enfuir. Je vous passe les détails, mais je suis arrivé jusqu’à votre ville tant bien que mal.
- Et qu’est-ce que tu faisais dans la boulangerie ? demanda Corentin.
- Avant qu’on arrive ? ajouta Cléa.
- Je faisais semblant d’acheter de la nourriture. Vous m’avez simplifié la tâche, sauf pour le vélo.
- En fait, on l’a utilisé au début pour briser la vitrine, dit en grimaçant Corentin. Comme il marchait toujours, je l’ai donné à Cléa. Mais le chef l’a arrêté un peu plus loin.
- Bref, la suite, vous la connaissez. A vous, maintenant.
- Comparé à toi, on n’a rien à dire, dit Cléa en haussant les épaules. J’ai 15 ans, comme toi. Avec Corentin, on se connaît depuis l’âge de 3 ans. On a toujours été à peu près dans la même classe.
- Lorsqu’il y a eu les deux premiers cataclysmes, ça n’a rien changé pour nous, dit Corentin. Au troisième cataclysme, nos parents sont morts, à cause du tremblement de terre. Celui-ci a été particulièrement violent ici. On a eu de la chance, car on était dehors à ce moment.
- On n’a pas pu retrouver les corps de nos parents, enchaîna Cléa. On a pu retrouver certains objets, mais ça n’a pas suffi.
- On a survécu comme on pouvait. On a volé certaines choses, jusqu’au moment où on a craqué.
- On t’a vu arriver, discuter avec le chef du village. On voulait au début te prendre tout ce que tu avais, mais on a compris que tu n’avais rien lorsque tu t’es dirigé vers la boulangerie. On n’en a juste profité pour voler de la nourriture dans la boutique.
- Ça ne vous a pas réussi, ironisai-je.
- Au contraire, puisqu’on t’a rencontré, dit Cléa.
- C’est plus bénéfique pour vous que pour moi, répliquai-je.
- On ne pourrait pas s’arrêter, dit Corentin, à bout de souffle. En plus, il fait bientôt nuit.
- Quoi ?
Pendant que nous discutions, la nuit avait commencé à tomber, et tout devenait sombre autour de nous. Je m’exclamai :
- Mais on n’a pas marché autant !
- Lorsque l’on discute, le temps passe plus vite, dit Corentin. C’est toi-même qui nous l’a dit. On peut s’arrêter ? J’ai mal aux jambes.
- Si tu veux, flemmard ! ironisai-je. C’est donc le moment de définir les tours de garde.
- Je prends le dernier, annonça Corentin en s’effondrant sur le sable. Je préfère me réveiller plus tôt.
- Je prends le premier, répliqua Cléa. Je préfère m’endormir plus tard, comme ça je suis plus fatiguée.
- Je n’ai pas trop le choix, soupirai-je. Je prends donc le milieu. Voyons, il est 20h, et disons que nous ne nous couchons que dans une heure. Cléa, tu gardes jusqu’à minuit, moi jusqu’à 3h du mat, et Corentin jusqu’à six heures.
- Et après ?
- Après on se réveille, dis-je.
- Mais ! protesta Corentin.
- Je t’ai dit que l’on fera une sieste vers midi pour compenser !
- Je préfère ça, acquiesça Cléa. Sinon, on va être crevé.
J’installai rapidement le campement puis distribuai les rations. Nous eûmes le droit aux protestations habituelles de Corentin, puis nous nous couchâmes. Alors que je contemplai le ciel, je vis des traînées lumineuses dans le ciel.
Corentin dormant déjà, j’avertis Cléa :
- Cléa ! Tu as vu le ciel ?
Je vis la silhouette de Cléa regarder le ciel, et elle étouffa une exclamation surprise. Je me levai doucement et me rapprochai d’elle. Cléa demanda :
- Qu’est-ce que ça peut être ?
- Des étoiles filantes ? hasardai-je.
- Trop nombreuses, contra Cléa. Regarde ! Il y en a au moins une vingtaine !
En effet, le ciel se colorait de plus en plus de ces traînées. Je dis :
- Ce n’est pas normal. J’espère que nous sommes assez à couvert. Je ne sais vraiment pas ce que ça peut être.
- Un nouveau phénomène spatial ?
- Après les trois cataclysmes, la 9ème planète, et maintenant ça ?
- Pourquoi pas ? Ce ne serait qu’une chose incroyable de plus. J’espère que ce n’est pas dangereux. On a déjà assez de boulot comme ça pour survivre !
- Quelque chose de plus ou de moins, dit Cléa en haussant les épaules, qu’est-ce que ça change ?
- Tu parles ! Ça fera une menace en plus. Bon, on verra demain, décidai-je. D’ici-là, je vais essayer de dormir.
- Je vais aussi surveiller le ciel, si tu veux, proposa Cléa, avec un peu d’ironie. Vu que j’ai déjà à surveiller les alentours, je...
- C’est bon, ça va aller, dis-je en me glissant dans mon sac de couchage. Bonne nuit.
- Bonne nuit, répondit Cléa.
Je n’eus pas longtemps à attendre avant de m’endormir, malgré les traînées lumineuses dans le ciel.
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