Quelques statistiques.. 

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Germaine

— Allô Violette ? C'est Germaine à l'appareil, dis-moi, tu es libre cet après-midi ? Je voudrais te parler de quelque chose qui me préoccupe.


Violette

— Oui, je n'ai rien de prévu. On se retrouve « au Marly » comme d'habitude, disons seize heures ?


Un peu plus tard, nos deux mamies installées à la terrasse du café devant un thé bien chaud.


Violette

— Alors, de quoi voulais-tu me parler ? Tu avais l'air tout excitée.


Germaine

— Figure-toi qu'hier soir je suis tombée sur un reportage du magazine " Complément d'enquête », intitulé « La guerre des sexes, la vie sans les hommes » et ça m'a chamboulée.


Violette

— Pour quelles raisons ? À ton âge, j'espère que tu n'y penses plus !


Germaine

— Mais non, bien sûr que non ! C'est juste que je ne m'étais pas rendue compte à quel point être une femme aujourd'hui était une chose compliquée, bien plus qu'à notre époque.


Violette

— Mais enfin, Germaine, même lorsque nous étions jeunes, ce n'était pas simple ! Rappelle-toi que s'il nous prenait l'envie de vouloir travailler, il fallait au préalable avoir l'accord de notre mari, comme il nous était impossible d'avoir un compte en banque sans sa signature. Nous dépendions quotidiennement de son bon vouloir et il fallait sagement accepter de s'occuper des tâches domestiques et des enfants, même si nous rêvions d'autre chose. Tu as déjà oublié ?


Germaine

— Non, je m'en souviens très bien ! Comme de la vague féministe qui a déferlé ensuite, dans les années cinquante, avec en tête Simone de Beauvoir et son slogan : « On ne naît pas femme, on le devient ».


Violette

— Ce en quoi elle n'avait pas tout à fait tort, les femmes ne sont pas plus génétiquement programmées à passer le chiffon ou l'aspirateur que leurs homologues masculins ! Et pourtant on continuait de les éduquer en vue d'effectuer les tâches domestiques de leur futur intérieur. Comme s'il s'agissait d'une fin en soi. D'ailleurs, à l'époque, tu avais lu « Le deuxième sexe » ?


Germaine

— Tu plaisantes ! Je n'aurais même jamais osé l'acheter en librairie. Tu ne te rappelles pas du scandale qu'il avait suscité à sa sortie ? Quand elle accusait les femmes de passivité, de soumission et de manque d'ambition et les hommes de sexisme, de lâcheté et parfois de cruauté ? J'ai bien des amies qui l'ont lu en cachette, elles n'ont pas changé de vie pour autant... Difficile de s'émanciper de la tutelle masculine, quand on n'a pas ou peu fait d'études... Aujourd'hui, les choses ont bien changé. Les femmes ont pris enfin leur destin en main, mais les rapports avec les hommes semblent visiblement s'être détériorés dans la foulée. Il semble que cette recherche d'égalité n'ait pas été comprise par tous.


Violette

— Tu sais, moi aussi j'ai l'impression que cette situation en indispose plus d'un. Ceux par exemple qui ne sont pas prêts à revenir sur des siècles de suprématie masculine. Et ils ont l'air nombreux !


Germaine

Il semble que tu aies raison, sinon comment expliquer cette explosion de violence envers les femmes... De plus en plus d'hommes se montrent agressifs et violents, surtout dans les lieux publics. Alors que moi, jamais de toute ma vie je ne me suis fait insulter ou maltraiter par des inconnus dans la rue, même pas « tripoter» comme dit ta petite fille.


Violette, ironique

— On dirait presque que tu le regrettes...


Germaine, haussant les épaules

— Il n'y a pas de quoi plaisanter ! Tu te rends compte que neuf femmes sur dix avouent aujourd'hui avoir été victimes de harcèlement dans les transports ! Ce constat est alarmant, tu ne trouves pas ? Et après on s'étonne...


Violette

— Bien sûr qu'il est inquiétant, mais comment y remédier ?


Germaine

— Ben justement, c'est un peu la question que pose le reportage. Pour l'instant, il n'y a pas vraiment de solution. Seul un homme sensible à la détresse féminine et quelque peu opportuniste surfe sur la vague en créant des salles de fitness exclusivement réservées aux filles. Inutile de te dire que cette idée marche du tonnerre, il paraît que c'est plein en permanence. Je ne suis jamais allée dans ce genre d'endroit, mais le reportage disait que la plupart des salles de gymnastique aujourd'hui se trouvent presque toujours à côté des salles de musculation. Parfois juste séparées par une simple paroi en verre.


Violette

— Et alors, où est le problème ?


Germaine

— Je te trouve bien naïve tout à coup. Tu me diras, moi non plus je n'avais pas bien saisi au début. Il faut dire que c'est assez tordu. Heureusement, mon fils a su m'expliquer. C'est pour attirer une plus grande clientèle masculine, pardi. Voyons, à ton âge, je ne vais pas t'apprendre que les hommes gardent rarement les yeux dans leur poche, surtout quand il y a des femmes dans les parages. Disons qu'en plus de se rincer l'œil, cela leur donne une motivation supplémentaire pour s'entretenir et s'abonner au club de sport.


Violette, amusée

— Ah oui, pas bête, et celui qui est à l'origine de ce nouveau concept de salle « réservée aux filles » est aussi le seul à pouvoir zieuter... En plus, j'imagine que si dans les autres clubs de sport habituels, le professeur de gymnastique est un homme, il va vouloir contenter « ses copains » tétanisés sur leurs machines à faire de gros bras, en faisant prendre à ces femmes des positions bien suggestives...


Germaine

— Voilà, tu as tout compris. Du coup, certaines se trouvent gênées et ne font pas tous les exercices. Louis II dit que ces boîtes ne font rien au hasard et que c'est avant tout une question de marketing, mais je n'ai pas tout saisi. Tu sais, mes connaissances en anglais sont très limitées. Sinon, la SNCF a également eu l'idée de créer des compartiments « dames seules » dans les trains de nuit.


Violette

— Comment cela ? Des couchettes exclusivement réservées aux femmes ? Ça m'intéresse, on pourrait aller passer quelques jours à Menton toutes les deux, sans pour autant perdre notre journée dans le train ? Tu sais que c'est LA ville des seniors par excellence, on sera chouchouté comme jamais, tu vas adorer.


Germaine, toute excitée

— Oui, oui oui ! Il faut quand même que je vérifie que ces compartiments existent bien sur cette ligne, c'est pas évident, tu sais. Il y a cent soixante mille femmes qui voyagent de cette façon, chaque année. Non seulement elles se sentent plus en sécurité, mais surtout elles ne sont plus importunées par les ronflements intempestifs de ces messieurs.


Violette

— Parce que tu crois que ce genre de bruits reste l'apanage des hommes ? Je t'assure que pour avoir dormi en ta compagnie, tu ronfles comme un sonneur.


Germaine

— Merci du compliment. De toute façon, je sais que tu ne te sépares jamais de tes boules Quies, dans ces conditions je ne vois pas comment j'aurais pu t'empêcher de dormir !


Violette, moqueuse

— Mais tout simplement parce que ton ronflement ressemblait plus à un vrombissement de moteur d'avion, qu'à une simple respiration ! Je t'entendais très bien, je t'assure ! Surtout que tu avais bu quelques verres de vin et mangé comme deux.


Germaine, contrite puis virulente

— Mon mari me disait la même chose, mais je ne l'ai jamais cru. En plus, dans son cas, c'était vraiment l'hôpital qui se moquait de la charité !

Enfin bref, pour en revenir à ce que je te disais sur la violence faite aux femmes, j'ai été affolée par les chiffres qu'ils ont énoncés. Figure-toi que deux cent vingt mille sont victimes de violence conjugale par an, qu'un viol a lieu toutes les sept minutes en France et qu'une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son compagnon ou ex-compagnon !


Violette, très contrariée

— Tu as décidé de me gâcher la journée avec tes statistiques ?


Germaine, désolée

— Mais pas du tout ! Je voulais juste que tu sois au courant.


Violette, énervée

— Tu sais, à mon âge, je ne risque plus grand-chose !


Germaine, outrée

— Il faut toujours que tu fasses de l'humour ! Comment peux-tu être aussi désinvolte ? En Allemagne, ils ont déjà commencé à séparer les hommes des femmes, en créant des places de parking réservées exclusivement au sexe faible.


Violette

— Ah oui ? Et où se trouvent-elles ?


Germaine

— À côté de celles des handicapés, proches de l'entrée. Et elles sont plus larges que celles réservées aux hommes.


Violette, narquoise

— Sympa, le rapprochement. Là, pour le coup, ils devront changer leur slogan « Si tu veux ma place, prends mon handicap ! » Et puis d'ailleurs, pourquoi des places plus grandes ? Parce que les Allemandes sont plus grosses ? Je parle bien évidemment des voitures... Ou alors, c'est parce qu'elles ne savent pas faire un créneau qu'il leur faut plus de place pour se garer ?


Germaine, irritée

— Mais pas du tout ! Parce qu'elles font majoritairement les courses, ont souvent de gros caddies et sont en général accompagnées de leurs enfants, voilà tout ! Qu'est-ce que tu vas chercher ! Ils sont également revenus à des établissements scolaires comme nous les connaissions, où il n'y a aucune mixité.


Violette

— Quelle avancée, c'est ça le progrès ! Pourtant je trouve la confrontation entre filles et garçons plutôt stimulante. Moi j'aurais bien aimé qu'il y ait des représentants du sexe masculin dans mon école. Il n'y a pas pire que les filles entre elles !


Germaine

— Sauf que des études ont montré que certaines filles se faisaient systématiquement « étouffer » par les garçons, plus autoritaires. Ils leur apprennent donc à se défendre face à d'éventuelles attaques masculines, à avoir de l'assurance et enfin à acquérir une certaine confiance en elles de manière à pouvoir dire non si un jour certains garçons se montraient trop entreprenants. Le reportage disait qu'elles pouvaient alors s'épanouir loin du regard et des conflits de ceux qui recherchaient perpétuellement la compétition pour montrer qu'ils étaient les meilleurs. Le Directeur de l'établissement semblait aux anges, car depuis qu'il ne s'occupe que de filles, il n'y a plus jamais de problème de discipline, elles ne se battent pas et ne jouent même pas avec la nourriture à la cantine !


Violette

— Des anges... Sauf quand elles se crêpent le chignon ! Et alors là, pour les séparer, il vaut mieux être deux. Je te signale quand même qu'on ne nous a jamais appris tout ça à l'école et pourtant je n'ai pas l'impression que nous ayons été incapables de dire non par le passé !


Germaine, ironique puis sérieuse

— Surtout toi, avec ton fichu caractère ! Sérieusement, tu comprends bien que c'est avant tout une question de tempérament et d'époque. Tu te souviens comme nous avions peur des surveillantes ? Aujourd'hui les élèves ne craignent même plus leurs professeurs, quant à leurs parents... Et le respect, il est où ?


Violette

— Tu as raison, les choses ont changé. Mais il n'en reste pas moins que les conversations des filles étaient d'un ennui mortel à cette époque ! Je me souviens que la plupart d'entre elles passaient leur temps à parler chiffons. En plus, cela ne les empêchait pas de penser aux garçons, bien au contraire ! C'était même fatigant. Il y en a une par exemple, qui n'arrêtait pas de me parler du clin d'œil que lui avait fait le fils de l'instituteur. Pendant un trimestre entier, elle m'a seriné les oreilles avec son amoureux. Jusqu'à ce que, heureusement, il s'intéresse à une autre fille. Après, il a fallu un nouveau trimestre pour la consoler. Tu parles d'un programme !


Germaine

— La pauvre, tu n'es vraiment pas charitable. Tu imagines sa déception ? Je pense qu'aujourd'hui les filles attendent un peu plus qu'un simple clin d'œil, heureusement pour ceux qui ont une poussière dans l'œil ! Mais laisse-moi te parler de la situation aux Etats-Unis, elle est bien pire.


Violette

— Je ne suis pas étonnée, tout est multiplié par dix là-bas. Leurs voitures sont gigantesques, tout comme leurs villes, alors pourquoi leurs rapports à l'autre ne seraient-ils pas exacerbés comme le reste ?


Germaine

— Il n'y a pas de quoi faire de l'humour, Violette. Depuis « l'avènement » de Trump à la Maison Blanche, la parole misogyne est en train de se libérer. « Make America great again », voilà le slogan de certains de ces hommes. Ils ont voté pour Trump, uniquement pour que les femmes cessent enfin de bénéficier d'un traitement de faveur. Tu te rends compte ! Ils trouvent que le sexe féminin a été largement privilégié sous la présidence d'Obama. En bons machos, ils disent qu'il faut « tenir » sa femme, quitte à la frapper !


Violette

— Mon Dieu ! Nous revenons aux heures les plus noires de la condition féminine !


Germaine

— Ils ont montré un homme, Roy, qui ne cache plus ses idées sexistes depuis qu'il se reconnaît en son président. Il a soixante-dix ans et se prend pour un shérif. Il n'hésite pas à provoquer et à se battre avec tous ceux dont les idées sont opposées aux siennes. Avec Trump à la Maison-Blanche, c'est pour lui la promesse de quatre ans de testostérone. Tu verrais, un mâle dans toute sa splendeur. Les femmes sont pour lui de belles créatures qui doivent rester à leur place. Des objets de plaisir bien dociles. Le pire, c'est qu'il n'est pas le seul, de plus en plus d'hommes assument leur sexisme. On les appelle les « angry white men » ou « les hommes blancs en colère ». Avant ils se cachaient derrière leur ordinateur, aujourd'hui leur parole se libère.


Violette, énervée

— Tu tiens vraiment à me gâcher ma journée ? Tu veux que je finisse moi aussi en « angry white female ? »


Germaine, toujours sur sa lancée

— Mais arrête de plaisanter ! En plus, tu sais très bien que je ne comprends rien avec ton accent ! Tu te souviens de cette manifestation qui a eu lieu à l'arrivée de Trump à la Maison Blanche ? Un million de femmes étaient venues défiler pour rappeler que personne n'avait le droit de décider à leur place, de remettre en question leurs acquis, obtenus après des décennies de lutte ?


Violette, du bout des lèvres

— Oui, il me semble avoir vu des images à la télé.


Germaine, emportée par son élan

— Elles étaient venues du Colorado, de Californie, du Canada...


Violette, un peu dépassée par l'exaltation de Germaine

— Oui, je te dis que je m'en souviens, et après ?


Germaine, tapant du poing sur la table

— Et bien, il s'agissait d'une démonstration de force du sexe faible !


Violette, inquiète

— Calme-toi, je ne te reconnais plus !


Germaine, dans le même état d'esprit

— Tu sais que dans ce pays, ils ont donné la parole à un journaliste, Gavin Mc Innes, censé représenter les hommes blancs en colère ? Il a même un show quotidien dans lequel il dit mot pour mot : « Mesdames, vous avez le droit de vote, mais pitié, ne votez pas, vous êtes nulles en vote ».


Violette

— C'est sûrement pour cette raison que nous avons attendu le droit de vote aussi longtemps en France, les hommes ne devaient pas nous faire confiance.


Germaine

— Oui, mais aujourd'hui c'est un fait entériné. Figure-toi que son fonds de commerce c'est aussi l'amour de la patrie et des armes à feu.


Violette

— En même temps, il ne serait pas le premier américain à se croire au Far West...


Germaine

— Mais c'est un vrai problème, il aura bientôt sa propre chaîne de radio. En plus, il s'est entouré d'une équipe surnommée « les proud boys » ou « les garçons fiers ». Une sorte de confrérie dont on ne peut faire partie qu'après avoir passé brillamment les rites de passage. Il a édicté des règles de vie comme les dix commandements : il faut posséder une arme, les femmes doivent avoir des enfants avant trente-cinq ans et rester au foyer, etc. Lui-même exerce son pouvoir sur toute sa famille. Un modèle digne des années cinquante !


Violette, exaspérée

— Écoute Germaine, tout ceci est très intéressant, mais là, vois-tu, je n'en peux plus. Tous ces chiffres et ces mauvaises nouvelles m'ont mis la tête à l'envers. Tu dois être épuisée toi aussi et déshydratée. Tu n'as pas la langue qui colle au palais ? Avec tout ça, tu n'as même pas bu ton thé. C'est malin, maintenant il est gelé !


Germaine, exténuée

— Tu as raison, je crois que j'ai présumé de mes forces. Dis, tu veux bien me raccompagner à la maison de retraite ?


Violette, contrariée

— Tu vois dans quel état tu te mets ? Tu te fais vraiment bouillir la rate pour rien, je t'assure. Le monde continuera sa marche inexorable avec ou sans nous, de toute façon.

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