Partie 4/5

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Plusieurs jours furent nécessaires pour que les larmes disparussent pour de bon. Grynith se para alors d’un visage radieux, avec lequel elle guida sa sauveuse à Pherac. Vynora était désormais familière avec le village et ses habitants. Elle les saluait avec le même enthousiasme que la maire, toujours prompte à l’idée d’écouter leurs derniers ragots. Si parfois le quotidien s’avérait répétitif, il y avait toujours une histoire, un événement apte à briser la monotonie.

Vynora se surprit à s’éterniser au sein des limites de Pherac. Des semaines se succédèrent lors desquelles des amitiés se renforcèrent. Du lever au coucher du soleil, et parfois même au-delà, elle partageait repas et pintes avec les villageois, riait avec eux, écoutait leurs chants populaires. Et lorsque le temps s’y prêtait, que le sommeil ne les emportait pas, tous contemplaient la beauté de la voûte céleste.

Nonobstant ces instants inoubliables, le devoir appelait souvent Vynora, ce qu’elle ne pouvait repousser indéfiniment. Elle débattait parfois des heures entières avec Grynith sur le sujet des vampires. Fusaient leur question sur leur sort, et sur le rôle que la chasseuse avait joué. Tantôt la maire se montrait évasive, tantôt elle insistait sur la dangerosité des créatures, inaptes à coexister avec les humains. Vynora insistait malgré tout et se heurtait à un mur, les conversations se répétant sans désemparer.

Une soirée enchanta alors Vynora davantage que les autres. Des festivités annuelles étaient organisées à Pherac, auxquelles l’ensemble du village participait. Des lanternes illuminaient le cœur de la bourgade tandis que bouillons, fricassées et rôtis ravissaient les papilles de tout un chacun. La dégustation fut à peine terminée que de galvanisantes notes cadencèrent les heures suivantes. Femmes et hommes dansèrent sans s’épuiser, et de graciles pas se rythmèrent à la musique. S’estimant piètre dans ce domaine, Vynora hésita d’abord à joindre la ronde. Grynith l’entraîna contre son gré, fendue d’un rire amusé.

La chasseuse et la vampire dansèrent ensemble dans la nuit claire, lentement mais agréablement. Se fondirent dans ce moment où seuls les gestes s’exprimaient. Plus rien n’importait durant ce laps de temps. Vynora oublia ses objectifs, ses ambitions. Elle se perdit plutôt dans une succession de mouvements délicats sous un air avenant. Un moment qui s’étira longtemps, puis se transforma une farandole. Par dizaines les villageois tournèrent autour du puits, bondirent au rythme des scintillations des lanternes. Et nombreux furent-ils à rester jusqu’à l’aube.

Vynora passa d’autres plaisantes nuits au manoir. Emmitouflée dans de douces couvertures, elle consacrait parfois des minutes entières à fixer le plafond, retardant l’instant où elle renoncerait à la commodité. Ce matin-là, cependant, ses yeux s’orientèrent vers sa table de nuit, où trônait son pieu et son arbalète.

La convocation suivit moins d’une heure après. Vynora et Grynith se retrouvèrent autour d’une tasse de thé, installées l’une à côté de l’autre dans la salle à manger. Toutes deux sirotaient leur boisson sans déplaisir, toutefois la vampire plissa les lèvres en avisant l’expression de son amie.

— Je suis plus que reconnaissante pour cet accueil grandiose, fit Vynora. Mais voici déjà trois mois que je séjourne à Pherac. Je ne peux m’attarder ici éternellement.

De sa main, Grynith frôla celle de Vynora, des sillons creusant ses joues.

— Tu seras toujours la bienvenue ici, dit-elle. Une question me brûle les lèvres, par contre. Où souhaites-tu te rendre ?

— Nous avons beaucoup cogité là-dessus, rappela Vynora. Jusqu’à atteindre une impasse. Puis-je seulement prétendre être quelqu’un d’autre qu’une chasseuse de vampires ?

— Toi seule connais la réponse, Vynora.

— J’ai été formée pour cela. Et si vous-même êtes persuadée que la rédemption est impossible pour la plupart des vampires, mes responsabilités m’obligent.

— Tu vas repartir sur les routes ? Malgré les dangers qui y rôdent ?

— Combien de villageois tels que celles et ceux de Pherac vivent actuellement dans la peur ? Je suis consciente de mettre ma vie en danger, mais je n’ai pas le choix.

— Tu en as un autre, si mes conseils sont sollicités.

— Vos suggestions sont toujours les bienvenues, Grynith.

— Change de métier. Laisse ta profession de chasseuse de vampire derrière toi.

Vynora faillit basculer de sa chaise mais se rattrapa à temps. Une onde de confusion la frappa, et demeura telle quelle comme elle perçut le sérieux de son interlocutrice. Laquelle, mains jointes, s’était adossée sur son siège. Vynora se redressa après une lampée de thé, et sa pencha vers la vampire.

— Ne serait-ce pas de l’abandon ? s’alarma-t-elle.

— Tu formules mal la question, rétorqua Grynith. Tu peux renoncer à cette carrière, mais est-ce que tu le souhaites ?

— Je l’ignore… Je n’y ai jamais songé, même après tout ce temps ici. Mais maintenant que j’y pense, ce serait sûrement de la lâcheté.

— Alors chaque personne qui n’affronte pas les vampires est lâche ?

— Ce n’est pas pareil ! Elles n’ont pas été formées pour les traquer, contrairement à moi !

— Vynora… Je sens d’ici ton cœur battre à vive allure. Crois-tu que changer de voie reviendrait à trahir tes principes ? Mais n’ont-ils pas été chamboulés au cours de ces dernières semaines ?

— Par vous ! Vous qui m’avez répété combien les vampires sont délétères ! Vous devriez m’encourager à poursuivre cette lutte, non ?

— J’aurais dû développer ma position. Ce que je dis risque de sonner comme un message de désespoir, mais je pense qu’il s’agit d’un combat perdu d’avance.

— Pardon ?

Grynith observa un silence rythmé par sa propre dégustation. Chaque fois qu’elle avalait une gorgée de thé, Vynora s’évertua à lui arracher une réponse, seulement pour se heurter à un acquiescement. Quand l’impatience la tirailla trop, et que la tasse fut vidée, la vampire s’exprima enfin :

— Combien de vampires as-tu tués, jusqu’à présent ? demanda-t-elle.

— Huit, répondit Vynora. Dont deux vampires supérieurs, si c’est ce qui vous intéresse.

— Donc cela fait un vampire tous les deux mois maximum.

— Parce qu’ils sont isolés, difficiles à trouver. Aussi, l’empire est vaste, je dois beaucoup voyager entre chaque destination !

— Loin de moi l’idée de te jeter le blâme ! Tu es très compétente, Vynora. Hélas, pendant que tu fends les routes, les vampires restent actifs.

— Où voulez-vous en venir, Grynith ?

— Qu’ils se multiplient plus vite que tu ne les tues. En considérant l’existence d’autres chasseuses et chasseurs de vampires, bien entendu.

Vynora enfonça son visage sur le creux de sa paume, et de la transpiration dégoulina de son front. Grynith eut beau affleurer son avant-bras, elle ne put rien y changer.

— Vous affirmez donc que les vampires ont gagné ? désespéra Vynora. Que les humains resteront leur proie pour l’éternité ?

— Je ne serais pas si défaitiste, modéra Grynith, mais c’est l’idée. Les vampires ont des siècles d’avance. La ruse est préconisée contre eux, hélas, même dans ce cas, le risque est trop grand.

— Grynith, je suis fière d’être devenue votre amie. Mais tout ce discours n’est-il pas une façon détournée de dire que vous avez peur pour ma vie ?

— Peut-être qu’il y a de cela…

— Quand l’injustice frappe à nos portes, que des citoyens apeurés appellent à l’aide, qui suis-je pour m’en détourner ? Ma vie vaut-elle davantage que la leur ? Néanmoins, maintenant que j’y pense, vous m’avez appris autre chose, Grynith.

— Quoi donc ?

— Les vampires peuvent révéler des facettes insoupçonnées. Au fond de moi, je suis peut-être trop novice. Je ne suis peut-être à les affronter. Même si je ne suis pas couarde, je risque de trop tergiverser ! Que préconisez-vous, Grynith ?

— Tu es libre de prendre tes propres décisions, Vynora. Et je m’excuse si j’ai pu paraître égoïste. Ma suggestion sera simple : encore une fois, tu es la bienvenue aussi autant que tu la souhaites.

Vynora libéra sa figure de ses mains, sur laquelle émergea un sourire.

— Je vais retarder mon départ, décida-t-elle, le temps de réflexion à la question. Et si nous allions siffler quelques pintes à la taverne ce soir, pour se détendre un peu ?

— Volontiers ! s’exclama Grynith.

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