XXIX - Protecteur - Matteo
- Papa?
- Mmh?
La voix de son plus jeune fils le ramena au présent.
- Ça va, Papa ?
- Oui, Mauro, ça va. Je… réfléchissais.
- Sans déconner !
- Langage, figlio mio. Je pensais aux frères.
- Aux frè… Ah, eux.
- Oui, ça va bientôt faire deux ans…
- Plutôt un an et demi…
- Ça fera deux ans en février, Mauricio.
- C’est vrai, Papa. Et quel tour ont pris tes pensées ?
- C’est bientôt Noël, et je voulais leur envoyer des cadeaux.
- Pourquoi ? tu ne l’as pas fait, l’an dernier…
- Je sais. Mais après ce qui est arrivé cet été, je… Je pense qu’ils ont besoin d’un peu de douceur, et… Je veux les couvrir de cadeaux, comme un père gâteux…
- Dio Santo ! J’espère que non ! Je ne peux pas considérer Kris comme mon frère, pas après…
- Ah, oui, j’avais presque oublié ta manière créative de le sortir de la chambre de son frère, pour… se reposer. Eh bien… J’imagine qu’il s’est reposé après que tu t’es occupé de lui.
Mauricio, grand, cheveux noirs et yeux gris, tiré à quatre épingles dans un costume trois-pièces qui faisait la renommée de Milan, rougit comme une pucelle. Son père lui fit un sourire ironique et il haussa les épaules, détournant le regard.
- Sofia a aussi été séduite par lui, tu sais.
- J’en suis certain, c'est elle qui choisit tes amants, après tout.
Père et fils se turent là-dessus, réfléchissant au personnage qu'était Sofia. Jeune fille de bonne famille très protégée, élevée en bonne catholique, elle avait surpris tout le monde dans sa famille à elle lorsqu'elle s'était mise à courtiser son plus jeune fils, Mauricio. Ce jeune homme, connu pour sa sexualité ambivalente, avait succombé aux charmes de la ravissante et pétillante brune et l'avait demandée en mariage en moins d'un an.
Elle savait tout de ses penchants et elle avait mis en place quelques règles. Elle était d'accord pour qu'il ait d’autres partenaires, mais ce ne serait que des hommes, qu’elle choisirait et qui devraient être prêts à le partager avec elle.
Après dix ans de mariage et quelques amants, ils étaient toujours très amoureux et avaient donné au patriarche deux petits-enfants, le choix du roi, un garçon, une fille, tous deux aptes à hériter de l'entreprise familiale, la Famiglia.
Elle avait une bonne compréhension de ce que sous-entendait son rôle d’épouse de l'héritier d'un parrain de la mafia et elle avait toujours été le faire-valoir parfait pour Mauricio. Elle avait le don de retourner les journalistes, même les plus farouchement opposés à la Famiglia, et ils lui mangeaient dans la main. Elle était une puissance avec laquelle il fallait compter et chaque jour que Dieu faisait, Matteo était heureux de l’avoir dans sa famille.
Mauricio toussa légèrement, interrompant à nouveau ses pensées.
- Qu'y a-t-il, figlio mio ?
- Que veux-tu leur offrir ?
- Eh bien… comme Kris parle couramment l'italien, je pensais à une belle édition imprimée d'un auteur classique italien, Boccacce, peut-être.
- Je pense qu'il apprécierait davantage Dante.
- Tu as raison, La Divina Commedia lui conviendrait mieux. Il faut demander à Giuseppe Bartoldi de trouver une bonne édition. De préférence ancienne.
- Je le lui demanderai.
- Tu n'es pas mon secrétaire, figlio mio, tu n'as pas à…
- Papa, il a été mon amant et, même si ce cadeau vient de toi, j'ai l'impression qu'il sera aussi un peu de moi si je fais la recherche.
Matteo considéra son fils.
- L'aimes-tu toujours?
- Je ne saurais dire, à moins de nous revoir. Mais à Côme, quand nous les avons installés l'été dernier, je n'ai ressenti que de l'horreur. Peut-être parce qu'Erik était…
Mauricio haussa les épaules, impuissant.
- En parlant de ça, qu'est-ce que tu veux lui offrir ?
- Je n'en ai aucune idée, Mauro, sauf peut-être quelque chose de sucré. Je sais qu'il aime les liqueurs fines, alors peut-être un peu de grappa…
- Tu sais, si c'est pour Noël, le prosecco serait adéquat, et le panettone. Et s'il est bec sucré, je penserai à quelque chose… d'approprié.
- Merci, figlio mio. Pourrais-tu dire à ta mère que j'aimerais dîner dans la cuisine, à huit heures, juste nous six ?
Mauricio dit qu'il le ferait et s’en alla et Matteo était maintenant seul dans son bureau, assis sur le vieux canapé en cuir où il avait eu toutes ses réflexions et ses intrigues. Il prononça la commande vocale qui allumerait les lumières de son bureau, à mi-puissance, un éclairage propice à la méditation.
Il ferma les yeux, se souvenant de leur première rencontre.
* *
Il marchait seul dans les rues, voulant dîner loin de sa vie normale de parrain de la mafia. Sa femme était en Sardaigne, avec sa famille, pour trois jours encore. Il se rendait à pied dans une petite trattoria qu'il aimait beaucoup. Il n'était pas très tard mais, comme on était en février, il faisait déjà nuit. Le temps était assez beau aussi, pour une fin d'hiver.
Ce soir, il voulait dîner comme un homme ordinaire, sans gardes du corps, sans sécurité, juste ses pensées et lui-même, partageant une bonne bouteille de Lambrusco, rouge, sucré, avec osso buco et tagliatelles. Le restaurant de Mario – dont le propriétaire actuel ne s'appelait pas Mario mais était l'arrière-petit-fils du premier Mario – était une toute petite trattoria, pouvant accueillir à peine quinze personnes et il savait que le propriétaire et les clients prétendraient qu'il était un homme ordinaire, comme eux.
La trattoria de Mario n'était pas dans la partie la plus touristique de Milan, elle n'était même pas proche du centre. Le quartier avait été mal famé à un moment donné, et les milanais durs-à-cuire y étaient restés malgré les risques et les trafics (d'êtres humains, d'armes et de drogue, surtout), jusqu'à ce que Matteo prenne les rênes de la mafia lombarde. Les gens de cet endroit savaient qui il était mais prétendaient ne pas le savoir, l'appelant Teo et c'était bien comme ça.
Il marchait seul dans les rues, essayant de mettre ses soucis de côté pour pouvoir profiter de son dîner avant de reprendre les affaires de la Famiglia. Il était tellement concentré qu'il n'entendit pas les pas derrière lui jusqu'à ce qu'il soit trop tard et que quelqu'un l'attrape, le tire et le pousse face contre le mur d'une ruelle latérale.
- Donne-moi ton téléphone, ta montre et ton argent, le vieux, et vite.
L'homme parlait italien avec un accent étranger, mais ça n’avait pas d’importance car Matteo sentit la pointe d'un couteau sous son oreille droite. Si l'homme appuyait ici de la bonne - ou mauvaise, c'était une question de point de vue, après tout - manière, il pouvait le tuer ou le mutiler grièvement, et le chef de la mafia n'était pas encore prêt à quitter son enveloppe mortelle. Il voulait voir ses petits-enfants grandir et devenir de beaux adultes, et passer de nombreuses soirées avec sa douce épouse, et comploter encore avec son cher fils Mauricio.
L’aîné, Gennaro, avait décidé qu'il voulait être médecin, n'avoir aucun lien avec la Famiglia et ça convenait aussi à Matteo. Il s'est assuré que son fils recevait une allocation mensuelle jusqu'à ce qu'il obtienne son diplôme, l'avait aidé quand il le fallait et laissé se débrouiller pendant ses années de faculté. Il avait commencé à l'Université de Pavie, puis était parti à Paris pour ses deux dernières années. Il était toujours en France, ayant trouvé une gentille fille avec qui commencer à faire des bébés. Il échangeait des mails avec son père et son jeune frère, avec sa mère, mais ne voulait pas quitter la France. Peut-être qu'un jour sa femme parviendrait à le faire changer d’avis et venir à Milan, montrer les petits-enfants. Ces futurs petits-enfants, comme leur père, n'auraient jamais rien à voir avec l'entreprise familiale, comme convenu entre le père et le fils.
Tout cela traversa l'esprit de Matteo lorsqu'il sentit la piqûre de la lame.
Il avait un tour ou deux dans son sac, mais il avait besoin que son attaquant se détende un peu pour pouvoir riposter. Il n'avait plus vingt ans et, eh bien...
- D'accord, dit-il en faisant un peu trembler sa voix, laissez-moi prendre mon portefeuille…
L'homme tressauta soudainement, déplaçant sa main dans le mauvais sens, coupant la peau de Matteo et faisant couler le sang. Il y eut un juron étouffé, une bagarre, un coup de poing suivi d'un grognement puis d'un silence bien venu. Et une voix très douce demandant s'il allait bien. Il se tourna lentement, sa main pressée contre la coupure. Immédiatement, une grande main chaude retira sa main et une autre grande main chaude toucha la petite coupure. Il sentit encore plus de chaleur, un picotement puis une voix profonde dit que c’était fait. Ce n'était pas la douce voix du début. Cela signifiait qu'il y avait deux personnes, deux sauveurs.
Puis il les vit enfin. Jeunes tous les deux, grands tous les deux, l'un un vrai géant. La première voix demanda à nouveau s'il allait bien. Elle appartenait au plus petit des deux devant lui.
- Oui, je pense que ça va, maintenant. Merci d'être venu en aide à un vieil homme.
- Je vous en prie, c'était la chose à faire, dit le plus petit, puis il se tourna vers le plus grand alors que ce dernier disait quelque chose dans une autre langue.
- Mon frère dit que vous devriez vous asseoir et vous reposer, peut-être manger quelque chose. Il dit que vous avez l'air plutôt choqué.
- Je suis sous le choc, il a raison. Et j'allais dîner dans une petite trattoria... Voulez-vous vous joindre à moi ?
- Oh, euh, eh bien... je ne suis pas sûr...
- Votre frère semble d'accord...
Il se tourna vers le géant, qui hochait la tête, le visage fendu par l'un des sourires les plus éblouissants que Matteo ait jamais vus. Le géant tendit la main et Matteo la prit par réflexe, toujours sous le charme du beau jeune homme en face de lui. Un reniflement goguenard le libéra du charme jeté par le sourire du géant. Le plus petit des deux hommes, les mains sur les hanches, secouait la tête avec une expression faussement triste.
- Ne laissez pas les sourires de mon frère vous tourner la tête. Je suis Kris, au fait, et ce géant est Erik.
Il tendit la main à Matteo et Erik le lâcha pour qu'il puisse rendre la poignée de main.
- Nous acceptons votre offre, car vous avez besoin de manger et le coin ne semble pas très sûr pour se promener, par ici.
- Je suis... Téo. J'allais dire que ce serait pire pour deux touristes mais vous venez de prouver que vous êtes capables de vous débrouiller, ajouta-t-il pour couvrir son hésitation.
Sa remarque fut accueillie par deux sourires prédateurs et il gloussa. Kris demanda ce qu’il fallait faire de l'agresseur inconscient. Matteo réfléchit rapidement. Il pouvait appeler la police, mais cela prendrait du temps et il était affamé et avait besoin de s'asseoir. Il décida de le faire à la manière de la mafia. Ou plutôt, à sa manière. Suivant ses instructions, le géant ramassa l'homme tandis que Matteo défit son pantalon et le baissa, ainsi que ses sous-vêtements, autour de ses chevilles, laissant tout pendre. Le géant fit une grimace dégoûtée. Puis il assit le voyou inconscient contre le mur.
Matteo demanda au géant de casser la lame du couteau, ce qu'il fit en donnant un fort coup de talon dessus. L'Italien ramassa alors les deux morceaux et les posa par terre entre les jambes nues de son agresseur, la pointe de la lame cassée près de ses bijoux de famille.
Puis il se redressa en se frottant les mains et, sans un regard en arrière, se dirigea vers la trattoria de Mario. Après un moment d'hésitation, échangeant probablement des regards perplexes, les deux hommes suivirent, Kris se portant à sa hauteur, le géant fermant la marche.
- C'était très... spécial, la façon dont vous l’avez mis en scène. Presque comme une signature... remarqua Kris.
- Ah vraiment? Je ne saurais dire, répondit Matteo avec désinvolture.
Kris souffla, secoua la tête et changea de sujet. Le reste de la courte promenade se passa à bavarder amicalement avec les deux frères. Le... Kris parlait très couramment l'italien, au point de pouvoir faire des blagues, Erik s'excusa, disant en mauvais italien qu'il comprenait la langue mais ne la parlait pas très bien. Il avait tendance à utiliser des mots espagnols plutôt qu’italiens, et Matteo devina qu'il parlait plus couramment l'espagnol.
Ils arrivèrent à la trattoria de Mario et Mario – c'était le nom que l'on donnait traditionnellement au propriétaire, même si ce n'était pas son vrai nom – le regarda avec de grands yeux de chouette, surpris de le voir accompagné, et de deux jeunes hommes, surtout. Puis il remarqua le sang et le chaos éclata dans le petit restaurant.
Le chaos était principalement vocal, les clients criant leur indignation face à cette attaque et promettant des représailles. Matteo les calma en disant qu'il s'en était déjà occupé.
- Tu t'en es occupé comme il faut, Teo ? a demandé l'un.
L’interpellé glissa un regard vers ses sauveteurs et dit rapidement, en utilisant le dialecte milanais qui était, malheureusement pour sa tentative de discrétion, assez proche du français : "Je m'en suis occupé à ma façon". Kris sembla saisir le sens, haussant un sourcil et lui lançant un regard soupçonneux, tandis que les clients murmuraient, satisfaits de la réponse. Il sourit mais Kris semblait immunisé à son sourire, surement à cause des sourires éblouissants de son géant de frère.
Mario les fit asseoir à une table plus grande que d'habitude, les autres clients reprirent leurs places et leurs activités et le propriétaire apporta un chiffon humide pour nettoyer le sang. Il poussa une exclamation de surprise lorsque, sous le sang, il ne trouva aucune marque et le dit. Matteo fixa son regard sur le géant qui sourit à nouveau.
- Vous m'avez Soigné, dit-il, et c'était une affirmation, pas une question.
Erik haussa les épaules avec un autre de ses sourires. A son mouvement, la chaise grinça sous son poids et son expression se transforma en une grimace d’appréhension qui fit soudain rire Matteo de tout son cœur, la tension s'évanouissant alors qu'il imaginait le géant sur ses fesses au milieu des morceaux de la chaise.
Dans un italien rapide, Matteo demanda un siège plus solide pour son nouvel ami une fois son rire calmé et la cause de son hilarité expliquée.
Au fil du dîner, dégustant osso buco, tagliatelles et Lambrusco, il découvrit deux personnages très intéressants, ainsi que deux très beaux hommes. Kris était un grand type aux cheveux blonds et aux yeux gris-bleu, Erik, beau comme un jeune dieu grec, bien que de la mauvaise couleur, avec ses yeux bleu vif et ses cheveux dorés coulant librement jusqu’au bas de son dos, écartés de ses yeux par une demi-queue de cheval. La coiffure lui allait très bien. Et il semblait que c'était ce que pensait aussi l'un des clients, si les regards qu'il jeta au géant blond en étaient une bonne indication. Mais Matteo était un bon juge de caractère et, si Kris émettait les mêmes vibrations sexuelles que son plus jeune fils, ce n'était pas le cas d'Erik. Sofia l'apprécierait, et vice-versa, mais il n'apprécierait pas son mari.
Après le dîner, un petit caffè et un tout petit verre d'une très bonne grappa, les jeunes gens proposèrent de le raccompagner chez lui. Il hésita, puis se souvint d'une adresse avec une deuxième sortie et accepta.
Quand ils y arrivèrent, Kris dit :
- Bonne nuit, Téo. Il y a en toi plus que ce que tu veux bien nous montrer, mais je vais te laisser avec tes petits secrets. Ce fut un plaisir de te rencontrer, même si cela a commencé par un coup de poing dans une vilaine tronche.
Ils se serrèrent la main et se séparèrent, mais pas avant que le démon de la perversité ne pousse Matteo à leur conseiller d'être sur la Piazza del Duomo, devant la cathédrale, dans trois jours, pour quelque chose de très milanais. Perplexe, le jeune homme dit qu'ils seraient là.
Matteo se rendit au premier étage de la vieille maison, alluma dans le salon et se glissa dans la chambre sombre pour les regarder par l’espace entre les rideaux à peine ouverts. La lumière des lampadaires brillait sur les cheveux du géant, qui se balançaient doucement, au rythme de sa démarche sûre de guerrier. Il avait remarqué que les deux hommes, malgré la maîtrise absolue de leur corps et leur force évidente, leur puissance, appelez ça comme vous voulez, ne se vantaient pas. Ils marchaient, le pied sûr et n'ayant rien à prouver à personne. C'était un changement bien venu par rapport à certains des jeunes hommes actuels à Milan. Puis il remarqua qu'ils marchaient au pas.
Et puis il comprit. Des soldats. Bien sûr. Lorsque Kris avait mentionné la Légion, son esprit italien avait fourni la légion romaine, ce qui était complètement idiot, et avait classé l'information, l'enterrant sous le reste de leur conversation. Donc, des soldats de la Légion Etrangère, c'est-à-dire des soldats français.
Il gloussa, oui, gloussa, comme une adolescente. Lui, un Parrain de la mafia, LE Parrain de la mafia du nord de l'Italie, s'était lié d'amitié avec deux soldats français.
Ses gloussements se transformèrent en un rire à part entière et il dut s'asseoir sur le lit. Lorsque son rire s'estompa, il se sentit fatigué jusqu'à la moëlle des os, car toute la tension de la soirée avait disparu avec ce rire.
Il appela son chauffeur et, une fois chez lui, se glissa dans son lit froid et vide. Encore deux nuits tout seul, puis Domenica serait de retour et il pourrait partager cette étrange soirée avec elle.
* *
Trois jours plus tard, il les revit. Il y eut du sang, de nouveau, mais pas le sien cette fois, il y eut un agresseur, encore, et deux jeunes hommes hébergés chez lui, leurs projets de vacances réduits à néant.
Ce jour-là s'était levé ensoleillé et clair et un peu frais, mais c'était en février, donc c'était normal. Il se leva, embrassa sa femme pour la réveiller, puis se prépara pour la procession du matin. Pas de petit déjeuner ce matin, c'était le début du carême, avec cette procession vers San Ambrosio, saint patron de Milan, et il prendrait un petit déjeuner tardif après la messe, avec l'évêque, le maire et quelques chefs des différentes guildes. Les guildes ressemblaient maintenant plus à des syndicats, mais cette vieille tradition était agréable et c'était un bon moment pour rappeler à tous la puissance et la bienveillance de la Famiglia. Il y aurait aussi le chef de la police, son vieil ami Enzo.
Enzo n'était pas né Milanais, il avait quitté Naples pour le nord, voulant échapper à la Camorra, pour se retrouver dans la ville qui était la capitale non officielle de la mafia, avec la Famiglia de Matteo la plus importante d'entre elles, et la principale.
Lui et Enzo s'étaient rencontrés quand ils étaient tous les deux plus jeunes, et une admiration mutuelle était née de leurs nombreuses rencontres, chacun toujours du côté opposé de la Loi. Ils étaient maintenant bons amis, et Enzo était le parrain de Mauricio, au sens religieux. Si Enzo avait eu des enfants, Matteo était sûr qu'il aurait été le parrain de l'un d'entre eux.
Mais Enzo était marié à son travail. C'était un homme droit et honorable, qui ne faisait jamais de compromis. L'aide de Matteo pour résoudre certaines affaires, envoyer ses hommes là où la police ne pouvait pas aller, donner les renseignements recueillis à Enzo, avait aidé le très honorable jeune policier à accéder au poste qu'il occupait maintenant. Matteo n'a jamais voulu se faire payer ces faveurs, car ce n'en était pas. C'était aider un ami, rien de plus. Et si certaines de leurs réunions précédentes impliquaient une paire de menottes et un avocat, eh bien, c'était comme ça.
Domenica le sortit de sa rêverie.
- Buon giorno, bellissima, dit-il en souriant lorsqu'elle apparut, vêtue d'une robe noire et d'un manteau blanc faussement sobres mais très élégants, provenant d'un des meilleurs fabricants de la ville.
- Es-tu prêt, Matteo ? demanda-t-elle après lui avoir offert un sourire et un baiser.
- Oui mon amour, après toi.
Le trajet jusqu'au début de la procession fut l'occasion de raconter la quasi-agression et le sauvetage, et le dîner qui suivit à sa femme.
- Tu as vraiment dit à deux officiers français de venir te voir aujourd'hui, où ils apprendront qui tu es ? Parfois, mon amour, je me demande comment tu as réussi à survivre tout ce temps.
- C'est parce que tu as été là pour moi, tout ce temps...
- Flatteur... Mais sérieusement, 'Teo ?
- Ce sont des officiers de l'armée française, pas de la police française. Et certainement pas Interpol.
- Très bien. Mais pourquoi?
- Je ne suis pas sûr, amore mio. Je les aime. Ils sont... rafraîchissants ? Serviables ? Généreux ? Franchement, ma chère, je ne pourrais pas, sur ma vie, te dire pourquoi. Tu les aimeras aussi, mon amour. Kris parle très bien l'italien, s'intéresse beaucoup à notre pays et est plutôt beau. Erik est... beau n’est pas suffisant pour le décrire, lui. Il ne parle pas couramment l'italien, même s'il peut nous comprendre, et ses sourires sont juste... éblouissants.
- Tu es sous le charme, mon chéri.
- Seulement du tien, mon amour. C'est juste qu’il m’est apparu comme ça. Et non, je ne te les montrerai pas, tu pourras les reconnaître facilement, Erik mesure plus de deux mètres, avec de longs cheveux dorés. Je suppose que Kris sera à ses côtés, alors trouve le géant, tu trouveras son frère.
Ils étaient arrivés au point de départ du cortège, du moins pour les VIP. Ils s'alignèrent derrière la statue de San Ambrosio, par ordre de préséance, sauf Enzo et lui-même fermant la marche, une position que tous deux avaient choisie pour protéger les autres notables de la foule. Domenica serait au milieu, usant de son charme sur certains des présidents de syndicats, et Enzo et lui pourraient parler. Mauricio et Sofia avaient décidé de suivre les VIP, dans la foule.
Les Milanais étaient assez religieux et il n'y avait pas eu besoin, depuis plusieurs d'années maintenant, de contrôler la foule autrement qu’avec deux lignes peintes au sol. Des hommes et des femmes, bénévoles, étaient alignés le long de ces lignes, gardant les spectateurs derrière les lignes si nécessaire. Il y avait un cadre de ses gardes du corps, mélangés pour moitié avec des policiers, autour de tous les VIP, comme couche de protection supplémentaire. Au cas où.
La procession se déroula sans heurts et lorsqu'ils arrivèrent sur la Piazza del Duomo, ses yeux commencèrent à parcourir la foule, essayant de repérer les cheveux dorés qu'il avait tenté de décrire à sa femme. Il vit le géant blond dominant les gens qui l'entouraient, se tenant assez près du cortège, puis il vit Kris, devant lui, pencher la tête vers une vieille femme puis se redresser brusquement, une expression choquée sur son beau visage. "Et voilà les prémisses d’une conversation intéressante", pensa Matteo, alors que le géant le fixait d'un regard de colère après que son frère ait supposément traduit ce que la vieille femme lui avait dit.
Puis le chaos fit de nouveau irruption dans sa vie et trop de choses se produisirent en même temps.
Un homme bouscula l'un des gardes du corps, tombant au sol, empêtré avec lui, tandis qu'un autre juste derrière se précipita vers Matteo, une main levée, serrant quelque chose d'indéfinissable, les yeux fous.
Un cri perça le silence respectueux devant la cathédrale : « Erik ! »
Un géant blond, ses longs cheveux flottant derrière lui, courut vers lui, s'interposant entre Matteo et l'homme aux yeux fous.
Deux grands bras l'enveloppèrent, le protégeant du contact avec le sol dur tandis qu’ils tombaient et un grand corps le protégea pendant que les hommes de la sécurité se précipitaient pour sécuriser le fou furieux.
Kris s'agenouilla à côté d'eux, après s'être frayé un chemin jusqu’à eux. Il tremblait légèrement, essayant d'amener Erik à s'éloigner de Matteo, n'osant pas toucher son dos.
- Erik... Erik, tu es... comment... Skítt, tu saignes...
Le géant se redressa, libérant Matteo après s'être assuré qu'il allait bien et essaya de se mettre debout, pour finir par s'asseoir sur le sol, étourdi, essayant de se relever et ne s'arrêtant que lorsque Kris le gronda pour avoir voulu essayer une fois de trop.
Enzo avait donné des ordres et aidait maintenant Matteo à se relever mais lui voulait rester au même niveau que son sauveur.
Le jeune homme s’agenouilla devant son frère, prenant son visage entre ses mains, inquiet, tremblant et fou d'inquiétude.
- Eiríkur, regarde-moi... Mon Dieu, tu es en état de choc... Regarde-moi, bróðir, regarde-moi. Reste éveillé, mon grand.
Derrière le géant assis, Matteo vit sa chère épouse Domenica arriver à ce moment. Avec son calme caractéristique, elle enleva son écharpe pour essayer d'étancher le saignement. Erik gémit lorsqu'elle le bougea un peu tout en s'agenouillant dans son dos, pressant l'écharpe sur la plaie.
- Désolée, dit-elle en passant son bras libre autour de lui, essayant de l’appuyer contre elle, pour l’installer confortablement, essayant de faire ça pour lui, pour le remercier d’avoir sauvé son mari.
Matteo vit son regard par-dessus l'épaule du géant.
- Je vais bien, mon amour. Et lui ?
Kris essayait toujours de garder son frère éveillé, il semblait se concentrer sur le fait de lui garder la tête droite, tapotant très doucement sa joue, et Matteo n'obtint aucune réponse de sa part.
Enzo se tenait à côté de Domenica, parlant dans son talkie, demandant une ambulance. Il mit fin à sa conversation.
- Matteo, il a un putain de pieu en bois planté dans son épaule. Il fallait que ce soit du bois. Indétectable aux arches de sécurité aux entrées...
- Du bois ? Pourquoi du bois ? a demandé Matteo. Pourquoi pas du verre, du plastique ou...
- A cause des échardes, répondit Kris d'une voix sans timbre.
- Oh, dirent les trois autres.
À ce moment-là, Mauricio arriva, organisant les gardes du corps pour dégager un chemin pour l'ambulance dont la sirène était maintenant tout juste audible, puis en disant à son père de se lever et de rassurer les gens sur son sort. Les policiers avaient tenu les journalistes à distance jusqu'à présent, et Enzo et Matteo estimaient qu'ils avaient le droit de savoir ce qui s'était passé, afin qu'aucune rumeur stupide ne circule.
Matteo alla vers eux, raconta l'histoire d'un jeune homme courageux qui était maintenant dans l'ambulance, en route pour l’hôpital, où l’on s’occuperait de la blessure reçue en le sauvant lui, Don Matteo Rizzi, chef de la mafia lombarde.
Derrière lui, Mauricio s'assurait que les deux soldats français étaient emmenés dans la clinique privée de la famille.
L'opération du géant avait duré des heures. Le bois utilisé pour le pieu que le fou furieux avait planté dans l'épaule d'Erik était du wengé. Un beau bois sombre qui avait le terrible inconvénient de faire facilement des échardes. Ce qu’Antonio Lelli, son ami et le chirurgien en chef, lui dit après six heures de chirurgie non-stop, partageant une tasse de café américain, c'est que retirer le pieu avait été la partie la plus facile. C'étaient les échardes qui avaient pris si longtemps. Le bois étant une matière organique, ce n'était pas quelque chose que le corps parvenait à isoler et à expulser tout seul. De plus, cela avait tendance à provoquer des infections. Bien que, dans ce cas particulier, l'infection par le bois passait au second plan, car le pieu avait été enduit d'excréments, déclenchant un autre type d'infection plus virulent.
Matteo avait presque recraché son café en entendant ça. Sur du plastique ou du verre, la... matière n'aurait pas tenu, d'où le bois.
- Toni, tu es en train de me dire que quelqu'un s'est donné un mal de chien pour s'assurer que la blessure faite avec ce pieu serait une vraie saloperie ?
- Oui. Et je peux te dire que l'homme a tourné le pieu, pour faire des échardes. Mais j'ai demandé à Isabella, ta Guérisseuse, de regarder. Elle a dit que l'infection était contenue, pour l'instant. Maintenant, il ne reste que les échardes.
- Mais je pensais...
- Matteo, mon ami, les éclats sont minuscules et n'apparaissent pas toujours sur le scanner. Avec l'aide de Bella, nous avons réussi à en extraire environ la moitié. Maintenant, mon équipe a besoin de se reposer, sinon on va en rater quelques-uns et on ne peut pas prendre ce risque.
- Oh. Comment va-t-il?
- Il se repose.
Matteo souffla, mécontent de la réponse professionnelle.
- Il est fébrile, agité malgré la morphine, allongé sur le ventre avec une plaie ouverte pleine de tout petits bouts de wengé barbouillés d'excréments. Nous avons couvert la plaie, il y a une infirmière dans sa chambre tout le temps pour le surveiller jusqu'à ce que nous recommencions l'opération demain. On a dû s'arrêter pour lui aussi, son corps était épuisé. Pour l'instant, sa vie n'est pas en danger immédiat.
- Et son frère ?
- Ah, lui. Il a commencé par être chiant, voulant être au bloc avec nous mais Mauro l'a sorti de là.
- Ne l'appelle pas comme ça.
- Quoi? Chiant ? Eh bien, il l'était.
- Il était inquiet pour son frère, c'est compréhensible...
- Oui, tu as raison, Matteo, dit le chirurgien en se dégonflant, ayant l'air d'avoir passé plus de six heures debout dans une salle d'opération à essayer de localiser de minuscules éclats de bois de wengé.
Il se frotta le visage, le regard sur le linoléum du couloir où ils étaient assis.
- Je suis inquiet, Matteo.
- Pour Erik ? Mais tu as dit...
- Pas pour lui, pour toi. Ce pieu t'était destiné, Matteo. Et les résultats auraient été bien pires.
Matteo lui lança un regard interrogateur.
- Il y avait beaucoup de force derrière ce pieu et, malgré ton manteau, il aurait pénétré profondément. Plus profond que sur ce jeune homme, qui portait un épais blouson de cuir et a des muscles très denses. Plus denses que les tiens, mon ami. Il est hyper musclé. C'est ce qui a arrêté le pieu. Il est aussi beaucoup plus jeune que toi et c'est un homme en très bonne santé, même si mes collègues et moi faisons de notre mieux pour te garder en bonne santé. Et malgré tout ça, il a une forte fièvre et est en état de choc. Malgré les allergies dont son frère a parlé, nous avons dû lui injecter de la morphine pour qu'il arrête de se débatte dans la salle d'opération.
Le chirurgien secoua la tête, se souvenant qu'ils avaient dû le retenir physiquement juste pour pouvoir approcher l'injecteur de son cou et se souvenant aussi d’un long moment avant que la morphine se mette à agir. Le pauvre homme avait de nouveau vomi, s'excusant jusqu'à ce que la morphine l'assomme enfin.
- Je n'ai jamais vu quelqu'un comme lui, tu sais. Oh, je sais que les "géants" existent, et certains d'entre eux sont plus grands que lui mais... As-tu une idée de sa taille ?
- Pas vraiment.
- 2,15 mètres. Il est tellement grand que ses pieds dépassent de la table ou de son lit, c'est te dire … Et quand il s’est débattu avant qu’on lui injecte la morphine, il a fait craquer la table parce que, gaulé comme il est, il doit peser plus de 100 kg. Il est…
- Et tu n'as pas encore vu ses sourires.
- Eh bien, il n'avait pas de quoi sourire, c'est sûr…
- Je parle des sourires qu'il fait quand il essaie de te charmer.
- Comme s'il avait besoin de sourire pour faire ça… Toutes mes collègues féminines – et un ou deux hommes – ont l'air d'idiots amoureux… Je suis prêt à parier que l'infirmière de garde dans sa chambre est en train de tendrement écarter ses cheveux de son visage.
- Tu veux vérifier ? demanda Matteo avec un sourire espiègle.
Antonio le considéra pendant un moment puis un sourire fendit son visage.
- Quel sera l’enjeu ?
- Une meilleure machine à café si je perds.
- Et si tu gagnes ?
- Une meilleure machine à café. On dirait qu’un rat s’est noyé dans le réservoir d'eau et que sur son cadavre ont commencé à germer des choses maléfiques ressemblant vaguement à des champignons… Allons vérifier.
Ils retournèrent sur la pointe des pieds vers la chambre où le géant blessé était allongé sur le ventre et, fidèle à la prédiction du chirurgien, l'infirmière écartait doucement les longs cheveux dorés trempés de sueur du visage du géant et caressait une joue ombrée de barbe avec tendresse.
Le chirurgien raccompagna Matteo à la sortie, tous deux parlant du travail caritatif de la clinique et de l'augmentation des overdoses presque mortelles.
Ce soir-là, Enzo était invité à dîner avec la famille, bavardant avec les adultes, écoutant Damian raconter ce qui était arrivé à son grand-père le matin même. Sara se mit à pleurer lorsque l'histoire en arriva à la blessure de l'homme géant qui avait sauvé son grand-père. Damian eut l'air suffisamment désolé pour que Domenica se taise, d'autant plus que le jeune garçon demanda à Matteo de ses nouvelles.
- Erik, c'est son nom, n'est toujours pas complètement guéri, ils ont dû arrêter l'opération car ils étaient fatigués et lui aussi, et ils recommenceront demain et le soigneront.
- Oh. Mais il ira mieux ?
- C'est à quoi travaillent le docteur Lelli et ses collègues.
- Nonno, tu crois qu'on pourrait aller le voir ?
- Quand le docteur Lelli le dira, oui, bien sûr, Sara.
- Je vais lui faire un dessin pour dire merci !
La petite fille avait oublié ses larmes et sautait sur son siège, excitée et prête à commencer son dessin.
Sofia essaya de la calmer jusqu'à la fin du dîner, mais Domenica dit aux enfants d'aller se préparer pour aller au lit.
- Et pas de bruit, le frère d'Erik dort dans la chambre Garofani.
- Si papa.
- Eh bien, cela répond à ma question. Et comment avez-vous fait pour faire dormir ce jeune homme très inquiet ?
Matteo leva un sourcil ironique et fut surpris quand Sofia répondit avec un sourire narquois et un ricanement.
- Il lui a administré un peu de morphine puis a dû lui tenir les cheveux devant les toilettes quand il a vomi. Et je l’ai fait nettoyer, après.
Matteo et Domenica secouèrent la tête avec un bel ensemble. Sofia était vraiment une puissance avec laquelle il fallait compter, même au sein de sa propre maison.
Ils se dirigèrent vers le salon, où, contrairement à ce qui avait été d'usage lorsque son père était celui qu'ils appelaient Don, sa femme et Sofia les rejoignirent, après avoir mis les enfants au lit.
- Ça vous dérange si je fume ? demanda la plus âgée des deux femmes en ouvrant les portes-fenêtres.
- Vas-y, Domi, mais ne te plains pas si je ne t'embrasse pas, sourit-il.
Elle eut un petit reniflement de dédain et accepta le verre de scotch single malt que son fils lui tendait.
- Après ce qui s'est passé aujourd'hui, j'ai besoin d'un bon scotch et d’un peu de nicotine.
- Oui, je te suis là-dessus, Domi, sauf pour la nicotine, dit Sofia, buvant son propre verre de scotch.
Les trois hommes étaient assis autour de la table basse, face aux femmes, chacun avec un verre de leur poison liquide préféré à la main.
Bien sûr, le petit déjeuner avait été annulé, même si la procession avait été terminée, l'évêque annonçant que la messe serait dite pour ce jeune homme courageux et pour son prompt rétablissement. Enzo était retourné au commissariat, et Matteo avait parlé aux journalistes et était allé à la messe, pour prouver que cette agression ne changerait pas sa façon de vivre.
Ce soir-là, Matteo répéta ce que le Dr Lelli lui avait dit à propos de l'attaque.
- Eh bien, le Dr Lelli a raison. Nous avons réussi à calmer suffisamment l'attaquant pour obtenir des réponses intelligentes de sa part. Attendez, je pars de la fin...
Enzo but une gorgée de sa grappa, profitant du temps pour ordonner les informations dans sa tête.
- Alors. Il y avait deux agresseurs, celui qui a renversé un de tes gardes du corps, et celui qui a frappé ce jeune homme. Bien sûr, le premier prétend que c'est un accident, mais nous le retenons pour complicité jusqu'à ce qu'il puisse prouver qu'il est innocent. Ce dont je doute franchement, car les deux actions étaient vraiment trop bien synchronisées. L'autre, par contre...
Enzo, sans son uniforme car il ne s'agissait pas d'une visite officielle, portait toujours sa chemise blanche et sa cravate noire. Il tira sur le nœud pour desserrer la cravate.
- Le deuxième homme a réussi à enfoncer le pieu à travers une épaisse couche de cuir, à travers la doublure en laine et à travers les muscles denses de ce jeune homme et a enfoncé le pieu de deux à trois centimètres, dans ces mêmes muscles. Cela demande beaucoup de force et le cuir lui-même aurait dû suffire à protéger partiellement Erik. L'homme a continué à combattre à la fois mes hommes et les tiens, et nous avons eu du mal à le tenir. Il était comme possédé et nous avons découvert, après qu'un médecin est venu et a réussi à faire des prises de sang, qu'il l'était bien. Par une petite dose de PCP.
- De la poussière d'ange !? dit Mauricio en se levant à moitié. Mais… mais, Papa, je croyais que tu avais interdit cette drogue sur notre territoire !
- Je l'ai fait. Et Toni m'a parlé d'overdoses de crack ou de meth… Eh bien, cela ressemble au début d'une guerre de territoire. Et maintenant je peux placer l'accent de l'homme qui m'a agressé.
Enzo haussa un sourcil et Matteo se rendit compte qu'il ne lui avait pas parlé de l'agression. Mais il y avait une étincelle dans les yeux du policier. Il savait. Ou, du moins, quelqu'un avait signalé l'homme à moitié nu dans la ruelle. Et sa signature, la lame cassée près de ses couilles.
- Mon agresseur était russe, ou quelque chose de proche. Il pourrait donc s'agir de la Bratva ou de toute autre mafia russe pseudo-indépendante.
- Oui, dit Domenica, le retour à la monarchie a changé la donne, là-bas. La police du Tsar les combat vraiment durement. Ils cherchent donc de nouveaux marchés et de nouvelles bases d'opérations en dehors du nouvel Empire russe. Alors, une guerre de territoire…
- Et ces deux gentils jeunes gens sont tombés en plein dedans, dit Sofia.
- En plein dans quoi ? dit une voix rauque. Où est mon frère?
Ebouriffé, pas encore tout à fait réveillé, pieds nus, Kris se tenait devant la porte du salon.
- Rien d'important…
- Non, Matteo, interrompit Domenica en posant son verre et en écrasant sa cigarette, il a le droit de savoir. Mauro, va lui chercher à manger, et un verre de citronnade, il en reste au frigo.
Elle se leva, alla vers le jeune homme et lui prit la main, l'attirant vers les autres.
- Viens, tu dois être déshydraté et affamé.
Elle l'assit dans un fauteuil confortable, passant sa main dans ses cheveux pour essayer d'y mettre un peu d'ordre et il appuya sa tête contre cette main maternelle, encore à moitié endormi. Elle gloussa et il sursauta.
- Je suis désolé, Madame.
- Ne le sois pas, Kris, il s'est passé tellement de choses. Et appelle-moi Domenica, s'il te plaît. Ah, merci, Mauro. Tiens, bois-en la moitié, puis tu mangeras les pâtes, puis tu pourras boire le reste de la limonade. Ensuite, et elle sourit, tu pourras prendre un verre de quelque chose avec un peu plus de caractère.
Il sourit et obéit à son ordonnance à la lettre pendant qu'Enzo et Matteo lui parlaient de l’agresseur, de la guerre de territoire.
- Merci, Teo, et il sourit.
Il était maintenant complètement éveillé et son beau visage était pensif. Les autres sentirent qu'il n'en avait pas fini et restèrent silencieux pendant que Sofia lui versait un verre de scotch.
- Tu m’as expliqué pourquoi nous sommes venus à ton secours par deux fois. Je veux dire, les raisons derrière les attaques. Et je ne me plaindrais pas du fait que nous avons sauvé la vie d'un chef de la mafia et du prix que nous avons payé, parce que je suis en pleine forme et... et...
Il prit une profonde inspiration, essayant visiblement de reprendre le contrôle de ses émotions. Il posa son verre sur le tapis, ne voulant pas le renverser car ses mains tremblaient trop. Il sembla incapable d'empêcher les larmes de couler et commença à se frotter les yeux furieusement, essuyant les larmes avec colère, honteux de son étalage.
Mauricio vint se tenir debout puis s'agenouiller devant lui, attrapant ses mains et les tenant contre lui, effaçant les larmes sur le visage de Kris d'une main tendre.
- Chut, ne frotte pas, tu vas te faire mal.
- Et alors? Je suis en un seul morceau, moi, et il est...
- Chut, Kris, non. Ne dis pas ça. Il a besoin que tu sois fort pour lui, que tu sois là quand il se réveillera. Papa a dit que ton frère pouvait Soigner. Imagine ce qu'il ressentira s'il doit se promener dans une chemise d'hôpital, traînant sa perfusion, pour te trouver et te Soigner. Surtout que je ne suis pas sûr qu'on puisse trouver une chemise qui lui convienne ou qui préserve sa pudeur.
Kris laissa échapper un rire étranglé qui se transforma en sanglots et il bascula en avant, appuyant sa tête sur l'épaule que lui présentait Mauricio, glissant de la chaise pour finir à genoux, agrippant les revers de la veste de l'Italien, secoué de gros sanglots déchirants tandis que Mauricio le serrait contre lui.
Sofia saisit la manche de son mari et tira légèrement dessus. Il comprit le message, se leva, entraînant le jeune homme en larmes avec lui et quitta le salon après avoir jeté un coup d'œil à son père, qui hocha la tête.
Sofia revint seule, un peu inquiète.
- Mauricio reste avec lui, jusqu'à ce qu'il s'endorme. On ne peut pas réessayer la morphine, d'autant plus qu'il y est allergique. Mauro a dit de ne pas l’attendre pour trouver un moyen de protéger ces deux hommes des représailles de la mafia russe.
- Ce sont des soldats français, il n'y a pas grand chose à faire, dit Enzo, à part garder leur implication aussi secrète que possible et c'est une bonne chose, Matteo, que tu n'aies jamais mentionné son nom. Mais les journalistes ont dû prendre des photos, des films, et autres. Et je ne veux même pas penser à tous ces fidèles catholiques qui ont dégainé leurs smartphones pour prendre en photo quelque chose de bien plus intéressant qu'une procession religieuse…
- Tu deviens cynique avec l'âge, Enzo.
- Ha, l’hôpital qui se fout de la charité, mon ami. Mais je suis pragmatique, pas cynique. Quoi qu'il en soit, as-tu de bons hackers, Teo ?
- Tu veux supprimer leurs images du Net ? Il faut un programme-chalut qui surfera sur le Web jusqu'à ce qu'il trouve une image, puis la supprimera.
- J'ai besoin de savoir où sont les photos avant qu'elles soient supprimées. Si elles apparaissent sur un site du Darknet, nous devons savoir où envoyer tes spadassini… régler le problème. Plus encore si ledit site Web est un de ceux qu’utilisent les tueurs à gages.
- Nous avons quelqu'un, Enzo, dit Domenica. Mais elle n'est pas bon marché...
- Domi ! Nous ne nous ferons pas d'argent sur la sécurité de ces jeunes gens...
Sa voix s'éteignit lorsqu'il remarqua le sourire espiègle qu'elle avait et secoua la tête.
- D'accord, mon amour, quel est ton prix ?
Elle sourit et haussa les sourcils. Il rougit.
- Je vais commencer à chercher. La bonne nouvelle, c'est qu'après une indiscrétion d'un des derniers maires, j'avais mis en place un programme semblable pour avoir un levier sur cet homme, il me suffit donc de mettre à jour le programme, de modifier les paramètres et d'y ajouter le Darknet. 'Teo, je risque de faire une nuit blanche, peux-tu me préparer du café ?
- Bien sûr, amore mio. Fort comment ?
- A réveiller les morts, s'il te plaît.
Ils échangèrent un sourire et un baiser avant que la très respectable épouse du patron de la Mafia Milanaise n'aille mettre un vieux pantalon de survêtement et un vieux sweat à capuche miteux. Puis, en chaussettes, elle se dirigea vers le sous-sol du palais centenaire et ouvrit, avec un scan rétinien, une salle spéciale contenant tous les meilleurs ordinateurs, serveurs et gadgets électroniques qu'un hacker avec trop d'argent et de bonnes relations pouvait s'acheter. Elle s'assit devant le bureau, mit le casque et les gants de réalité virtuelle, fit craquer ses articulations, démarrant ainsi ses systèmes, et se mit au travail.
A l'étage, dans le salon, Enzo regardait Matteo avec surprise.
- C'est un hacker ?
- Et un bon. C'est comme ça qu'on s'est rencontrés, en fait, elle avait piraté nos serveurs, on a réussi à l'attraper. Je lui ai proposé un marché, elle l'a accepté et… elle a piraté mon cœur.
Sofia sourit à l'expression, puis les laissa à eux-mêmes avant de dire que la chambre Garofani était à nouveau libre, si Enzo voulait passer la nuit ici.
- Où as-tu… oh. Pourquoi ?
- Notre lit est plus grand pour trois. Et, suocero, c'est seulement pour le réconfort. A la façon dont il s'est accroché à Mauro, je peux dire qu'il manque de… contact. Et, il est beau. Alors, voilà, vieil homme, j'espère que ta curiosité malsaine est satisfaite, termina-t-elle avec un sourire suave.
Il en rit. Oui, un pouvoir avec lequel il faut compter.
- Eh bien, Teo, maintenant tu sais pourquoi je suis marié à mon travail. Il ne se moque pas de moi.
- C'est vrai que les femmes de la famille sont fortes et intelligentes. Et ça me convient parfaitement. Elles ont été d'une aide précieuse dans le passé et le seront à nouveau.
Enzo accepta l'offre de la chambre, Matteo rejoignit son lit froid et vide. Il n'avait passé qu'une seule nuit avec Domi depuis son retour, hier après-midi seulement.
Elle revint se coucher aux petites heures du matin, épuisée et satisfaite. Elle se blottit contre lui, lui disant que le programme avait été lancé sur le Web et le Darknet et que les premiers résultats avaient déjà été récoltés et envoyés à l'adresse e-mail d'Enzo.
Vers l'heure du déjeuner le lendemain, Erik était définitivement sorti de chirurgie et fut transféré dans une chambre au premier étage, avec des portes-fenêtres donnant sur une petite terrasse et un petit jardin, en sommeil à cette époque de l'année, mais ce serait plus agréable pour lui de voir un ciel d'hiver de la couleur exacte de ses yeux, plutôt que le pavé gris d'une rue passante.
Le premier jour, il était trop fiévreux pour pouvoir apprécier le paysage. L'infection qui avait été contenue pendant la nuit avait recommencé à partir des éclats qui étaient encore dans la plaie et malgré les meilleurs efforts de la Guérisseuse, il lui fallut un certain temps pour s'en débarrasser. Kris passa sa journée dans la chambre, ayant demandé l'ajout d'un lit de camp, ce que le Dr Lelli autorisa.
Quand Matteo alla les voir le deuxième jour, il tomba sur un moment de tendresse : Kris caressait doucement la joue de son frère, lui tenait la main, parlait doucement dans une autre langue et Erik, agrippant la main de son frère, souriait et appuyait sa tête contre la main, ses yeux brillants de fièvre posés sur le visage de son frère.
Lorsque le géant ferma les yeux, toujours souriant, Matteo toussa légèrement et les deux hommes se tournèrent vers lui, à peine pour Erik, mais cela suffit à Matteo pour ressentir toute la force du sourire un peu endormi mais éblouissant que le géant lui envoya.
Matteo prit place en face de Kris, demandant à Erik en français comment il se sentait.
- Lourd et fatigué, mais d’une bonne façon, dit-il, ayant du mal à articuler.
- Bien. Erik, je... je n'ai pas d'autre mot que merci pour exprimer ma gratitude, et cela semble insuffisant au regard de ce que tu as fait et des conséquences.
Le grand jeune homme essaya de hausser les épaules et grimaça de douleur, se faisant gronder par son frère.
- Tu as besoin de plus de morphine, Erik ? demanda Matteo.
- Oh non, je ne… Non, non, non.
La douleur semblait l'avoir un peu éveillé et il était aussi véhément que son épaule et sa fièvre le lui permettaient, ses mots plus clairs.
- Pourquoi ? A part les allergies. La morphine aiderait.
- Eh bien, la première dose me donne généralement envie de vomir et je me souviens avoir baptisé au moins une paire de chaussures et un sol carrelé. Après, ça va, et ensuite...
Le géant rougit et Kris riait doucement.
- Peux-tu garder ça pour toi ?
Matteo hocha la tête.
- La quatrième ou cinquième dose a tendance à me donner une… une érection.
Le pauvre Erik rougissait furieusement et Matteo luttait pour garder un visage impassible.
- C'est une réaction étrange à la morphine.
- Va dire ça à ma bite, marmonna le géant.
- Quelque chose me dit que tu as atteint ou dépassé ta limite...
- Pourquoi crois-tu que j'ai une couverture pliée sur mes genoux ?
Kris riait carrément, et c'était un son que Matteo était heureux d'entendre à nouveau chez ce jeune homme.
- Eh bien, je ne saurais dire. Peut-être parce qu'il fait un peu froid ici. Ou peut-être parce que tu essayes de cacher une érection ?
Kris riait maintenant si fort qu'il tomba presque de sa chair, le faisant rire encore plus fort et attrapant le hoquet en conséquence. Erik envoya à Matteo un regard reconnaissant lorsque le jeune homme alla dans la salle de bain pour essayer de contrôler son hoquet en buvant.
- Mmh, donc tu en as fait un peu trop, exprès. Dis-moi, Erik, l'autre jour, juste avant tout ça, tu m'as lancé un regard particulier et pourtant, tu es venu à mon aide, et maintenant, tu bavardes avec moi...
Erik regarda fixement Matteo, et l'homme plus âgé sentit que, sans l'action de la morphine, il aurait été complètement sous l'emprise de ce regard perçant.
- Je n'aime pas ce que tu es… Désolé, ce que tu représentes. Mais pour moi, ce jour-là et cette nuit-là, avant, tu étais un être humain qui avait besoin de protection. La seule différence entre toi et le gentil grand-père avec qui nous avons dîné est une étiquette. Et en ce moment, je parle avec Teo. Mais par moments, celui que je vois, c'est Don Matteo. Cette chambre, cette clinique, c'est la tienne, n'est-ce pas ? Une clinique privée, rien que pour toi et ta famille. Ou la Famiglia, n'est-ce pas ?
Kris vint s'asseoir, son hoquet maîtrisé. Il tendit un verre d'eau à Erik et l'aida à boire un peu.
- C'est exact. Mais si je te dis que cette clinique offre des soins gratuits, tu penseras que je fais ça pour nettoyer ma réputation.
- Et est-ce le cas ?
- Un peu. La misère n’est pas le fonds de commerce de la Famiglia, qui s'occupe de protection, d'assurances, de prêts… Nous avons une banque, une compagnie d'assurances, une de sécurité… Il y a aussi le côté plus sombre de notre métier que j'essaie de nettoyer, un peu. Nous… vendons de la drogue et des armes à feu, parce que si nous ne le faisions pas, quelqu'un avec moins d'éthique le ferait.
Erik souffla d’incrédulité. Piqué, Matteo continua.
- Nous faisons commerce de drogues douces et récréatives, du cannabis et consorts, un peu de LSD... Nous refusons la cocaïne, l'héroïne, le crack, la meth, etc., sur notre territoire. Quand on attrape un gars qui vend cette merde, soit on le donne à la police, soit on s'occupe de lui nous-mêmes. Pour les armes à feu, nous ne vendons que des armes de poing. Toutes les armes militaires sont bannies de notre territoire et nous traitons de la même manière les intrus.
Matteo aurait voulu parler à Erik de la guerre de territoire mais un regard de son frère le fit changer de cap.
- Mon père avant moi et moi avons décidé de nettoyer la réputation de la mafia et nous avons fixé des règles. Quand on s’attaque à quelqu'un, on s’attaque à lui en personne. Pas leurs familles, amis... Aucun dommage collatéral. Et si l'un de mes hommes déroge à nos règles, nous lui réglons son compte. Ensuite, sa famille reçoit de l'aide si nécessaire et ils sont protégés par la Famiglia.
- La Mafia des Bisounours… Comme c'est touchant.
- Moque-toi autant que tu veux, c'est ce que nous avons fait. Rendre leur honneur aux bandits. Il suffit de parler à des milanais pour…
- Oui, dit le géant, sa colère retombée, nous l'avons fait, avant l'attaque et tu as raison.
- Tu as l'air fatigué, Erik, tu devrais te reposer. Nous pourrons poursuivre cette conversation lorsque tu te sentiras mieux.
- Je ne sais pas. Mais merci, Matteo.
- Ah, pourquoi ?
- Eh bien, cette conversation était tellement… intéressante que ma bite a perdu tout intérêt. Je vais pouvoir dormir, maintenant.
- C'est bon, alors.
- Oui, c'est ce que j'essayais de faire, l'endormir, avant que tu n'arrives, intervint Kris. Mais je suppose que cette discussion était importante aussi, donc tout va bien. Au moins, maintenant, il pourra dormir.
Et les paupières du géant étaient déjà à mi-mât, et un doux sourire ornait ses lèvres.
- Kris, ça te dérangerait de sortir avec moi un moment ?
Kris se leva après avoir caressé la joue de son frère, s'attirant un autre sourire, et suivit l’autre homme à l'extérieur de la chambre de son frère.
- Aime-t-il les enfants ? a demandé Matteo.
- Il les adore, répondit Kris. Pourquoi?
- Mes petits-enfants veulent voir l'homme qui a protégé leur nonno, pour lui dire merci. Je verrai avec le Dr Lelli quand ils pourront venir sans trop le fatiguer.
- D'accord. Mais ce n'est pas pour ça que tu voulais que je sorte de sa chambre.
- Tu es trop malin. Non, c'est vrai. Je ne sais pas comment demander ça et je ne veux pas avoir l'air d'être indiscret mais...
- Mais tu l’es…
- Oui, désolé. Tu as l'air moins tendu que l'autre jour...
- Mauricio a été très bon avec moi. J'avais besoin de réconfort et il me l'a donné. Et quand j'avais besoin de plus que ça, il me l'a donné aussi. Tu es un vieux fouineur, tu sais ça, Teo ?
- C'est ce que Domi et Sofia n'arrêtent pas de me dire. Ça doit être vrai.
Les deux hommes échangèrent un rire.
- Kris, si tu as besoin de quoi que ce soit, tu n’as qu’à demander, d'accord ? Et tu devrais sortir un peu plus de sa chambre, tu sais ?
- Mais… il a besoin de moi.
- Il a besoin que tu sois reposé, heureux et avec plein d'histoires à lui raconter pour combattre l'ennui. Et tu as besoin de vêtements de rechange. Je peux envoyer un de mes hommes à votre hôtel pour les récupérer.
- Non, je vais le faire, merci.
Ce soir-là, les deux enfants purent rendre visite à l'homme géant qui avait protégé leur nonno. Sara s'était dessinée tenant la main du géant, entourée de petits cœurs, d'un soleil souriant et de papillons. Les mots Grazie Mile avaient été soigneusement copiés et le E de Mile était à l'envers. Elle avait réussi à s'asseoir sur le lit et parlait à deux cent à l’heure en italien au géant blond qui lui souriait mais ne pouvait pas répondre. Il jeta un coup d'œil à son frère qui haussa les épaules. La petite fille parlait trop vite.
Le garçon, Damian, était un peu plus timide et, après une petite poussée paternelle, s’installa à côté de Kris et commença à lui parler. Matteo se tenait en face de Kris, remarquant que son fils et sa femme se tenaient tous les deux derrière ce jeune homme.
Il croisa le regard de son cadet et lui fit un clin d'œil. Mauricio lui rendit son clin d'œil.
Entre eux, le géant blond s'endormit, paisible.
Les deux frères restèrent une semaine dans la maison, le géant fut installé dans la chambre Garofani dès qu'Isabella, la Guérisseuse, réussit enfin à refermer la plaie, et dès qu'Erik put marcher sans pâlir. Malgré la guérison d'Isabella, il arborerait une cicatrice en forme d'étoile sur son épaule droite, une étoile à six branches avec un petit noyau et de longs bras, tous tordus.
Malheureusement, plus il en apprenait sur les affaires de la Famiglia, plus il s’éloignait de Matteo. Pour Kris, il tolérait être dans la maison, mais il était heureux de pouvoir enfin quitter ce palais et les gens qui s'y trouvaient. Il avait apprécié les efforts des adultes pour parler français, pour qu'il se sente moins isolé, mais ce n'était qu'un petit verre d'eau dans un océan de mauvaises choses. Il avait gardé le silence la plupart du temps, à moins que cela ne signifie être grossier avec Domenica. Il l'aimait bien, bien qu'elle soit mariée à un patron de la mafia.
- Matteo, je suis désolé pour lui. Je…
- Ne t'inquiète pas Kris. Je lui serai éternellement reconnaissant et c'est tout. Il aimait Teo, pas Don Matteo, et tout dans cette maison lui rappelle le chef de la mafia. Je ne peux pas lui en tenir rigueur. Ton frère a des idées bien arrêtées sur ce qui est bien, et il est très honorable. Je ne rentre pas là-dedans. Mais ça me va. Je vous aime tous les deux et je suis content de vous avoir rencontré dans une ruelle sombre.
Matteo ouvrit les bras et Kris s’avança entre les bras tendus pour lui dire au revoir.
Il les regarda s'éloigner jusqu'à ce qu'ils tournent dans une autre rue puis retourna vers sa famille.
* *
Au final, Mauricio trouva du panforte à ajouter au cadeau d'Erik, et, vrai miracle, un vrai trésor, une bouteille de Lacryma Cristi rouge de l'année de naissance des garçons, 2095. Un très bon millésime, malgré la sécheresse. Pas assez de vin, mais ce qu'il y avait était absolument fabuleux. Il espérait qu'Erik apprécierait son cadeau, à défaut d’eux.
[Nonno : grand-père – Garofani : œillets (fleurs) – Suocero : beau-père]
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