XXVIII - Tigre - 3/3

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Le lendemain fut très bizarre, parce qu’il n’y avait aucun légionnaire au mess. Et ils n’étaient nulle part. Leurs baraquements étaient vides, nettoyés, comme si personne n’avait été là. Et Mischa dut regarder les tâches de sang délavées sur ses chaussettes pour se convaincre qu’ils avaient bien été là.

Son peloton et lui furent envoyés au tarmac pour voir si les avions étaient venus puis repartis dans la nuit, mais il n’y avait pas de traces fraîches sur la glace recouverte de neige.

Kolya était désespéré.

- On devait se retrouver pour une dernière fois…

- Peut-être qu’il s’est passé quelque chose en France et ils ont dû rentrer à la dernière minute ? dit Piotr, voulant aider.

- Non, les galonnés nous auraient prévenu ce matin au p’tit déj mais ils sont restés silencieux, dit Sasha. Comme s’ils savaient.

- Et à nous la troupe ils ne diront rien, dit Ivan le Branlable.

- Ah putain de merci, tsarevitch, c’est vachement utile, dit Mischa, quand il vit l’expression de Nikolai.

Ivan souffla, ennuyé, et s’éloigna en martelant le sol. Puis ils entendirent la sirène et une annonce sur le système de communications.

- Que tous les hommes se rendent à leurs baraquements et s’arment, nous sommes attaqués.

Le visage de Nikolai s’éclaircit, car nos attaquants ne pouvaient être que la Légion, puis s’assombrit quand il réalisa qu’il serait peut-être obligé de « tirer » sur son amant.

Ils s’armèrent, puis certaines unités furent placées dans la base pour la garder, et la majorité du reste, le peloton de Mikhail inclus, fut envoyée à l’extérieur de CS pour essayer d’attraper les Français avant qu’ils l’atteignent.

Son peloton avait parcouru une grande distance quand ils tombèrent finalement sur les légionnaires et, par un vilain jeu du Destin, c’était le peloton du lieutenant Lineik, avec les deux frères Hellason.

Le géant portait le lieutenant qui avait une écharpe verte autour du cou. Il était tard et la toundra n’était pas le meilleur endroit pour un soldat isolé, même un légionnaire, pour marcher tout seul jusqu’au camp, avec le froid qui s’aggravait et le vent qui se levait.

Le caporal russe tira sur les soldats et le géant tomba, Nikolai tira aussi et Kris tomba, jouant le mort. Kolya se décomposa. Il avait « tiré » sur son amant.

Ils rassemblèrent les autres légionnaires, leur firent rendre les armes – et à ce jour, Mischa est incapable de savoir comment ils réussirent ça – et s’asseoir en cercle, tournés vers l’extérieur, leurs « morts » au milieu.

Erik joua le jeu correctement, sa jambe « blessée » étendue devant lui, Lineik et Kris allongés dans la neige, se plaignant du froid et puis, quand Erik se tourna vers eux pour leur dire quelque chose, Kris lui donna un coup de pied et le géant souffla, se plaignant d’être blessé mais mal traité. Il avait un de ses grands sourires heureux sur le visage.

Sasha appelait un officier à la radio pendant que le reste du peloton surveillait les prisonniers de très près.

A un moment, Erik se pencha en avant puis, très agité, montra du doigt un point derrière Ivan et cria en anglais. Ivan n’avait pas apprécié la victoire des Français deux jours plus tôt et avait dû décider que le géant faisait du cinéma pour couvrir une action des autres. Mikhail, surpris par les regards effrayés des légionnaires, ne vit pas Ivan frapper Erik au visage et revenir à sa place. Puis le tigre attaqua et le hurlement d’Ivan resterait gravé à l’acide dans son cerveau.

Le pauvre Ivan hurla alors que le tigre l’éventrait, de son cou à ses couilles et Erik se leva, se précipita sur Ivan, arracha son couteau de son étui et se jeta sur le tigre. De là où il était, Mikhail vit le légionnaire géant tirer le tigre par l’oreille, de tout ce qu’il pouvait attraper, plonger son bras dans la gueule de la bête, puis plonger son couteau dans l’animal et il était tellement fasciné par la suite d’actions qu’il n’entendit presque pas le cri d’alarme de Sasha.

Il se retourna et vu un autre tigre – plus petit – se précipitant sur lui. Par réflexe, il lui tira dessus, oubliant qu’il n’avait qu’un fusil laser. La bête grogna et le chargea et il vit ses crocs et réussit à lui enfoncer le canon de son arme dans la gueule, mais elle lui planta ses griffes dans la jambe et il hurla en tombant.

Il entendit un rugissement et sentit les griffes sortir de sa blessure. Il avait du mal à respirer, mais il réussit à voir le visage du géant et à sentir de la chaleur sur sa cuisse quand Erik se roula soudainement en boule au-dessus de lui en hurlant de terreur. Et Mikhail s’évanouit.

Il se réveilla le lendemain matin, à l’hôpital de la base, shooté à la morphine, avec un bandage épais sur la jambe et des tubes qui sortaient de lui. Nikolai était là, les yeux rougis. Après une sincère démonstration d’affection, Kolya lui raconta que le tigre avait essayé de dévorer le géant, que leur capitaine avait tué l’animal, avait rapidement fait le point et avait attaché une bâche derrière sa moto-neige, puis demandé à tous les hommes présents, Russes et Français mélangés, de déposer les blessés dessus, après des soins rapides.

Puis le capitaine les avait conduits à l’infirmerie, laissant les autres gérer les carcasses et le corps du pauvre Ivan.

Nikolai lui dit que Kris avait été si affolé qu’il avait commencé à courir derrière la moto-neige, jusqu’à ce que le lieutenant Lineik se jette sur lui et le fasse tomber à terre, où elle dût exercer sa très grande force pour le maintenir à terre, l’étranglant à moitié jusqu’à ce que, n’arrivant plus à respirer, il cède.

Un rack-track avec une remorque avait été envoyé vers eux, parce qu’ils étaient trop loin de la base et avec la nuit, le froid allait les tuer. Cela voulait dire qu’ils arrivèrent à la base juste derrière leurs blessés.

Nikolai et Kris furent autorisés à entrer dans l’hôpital, à condition qu’ils ne gênent pas les médecins. Le médecin de la Légion connaissait les frères Hellason par cœur et autorisa la présence de Kris dans la salle d’opération après nettoyage.

Nikolai dut attendre dehors, ignoré par les équipes russes. Le lieutenant Lineik arriva un peu plus tard, et s’assit à ses côtés, attendant des nouvelles de ses hommes. Elle l’avait regardé quand il s’était mis à renifler et avait passé un bras autour de ses épaules.

- Tu as pleuré dans ses bras ? Putain de veinard !

- Tu sais bien que je marche sur le trottoir d’en face. Mais c’était tellement agréable de ne plus être ignoré et d’avoir quelqu’un qui te touche et t’aide à oublier ta douleur. Et ton chagrin. Les funérailles d’Ivan ont lieu aujourd’hui.

- Tu crois que je pourrais y assister ?

- Non, Mischa, tu as une blessure ouverte et le froid est très mauvais pour ça. Le médecin de la Légion, qui est venu te voir et te Soigner autant que possible, dit qu’Erik t’a sûrement sauvé la vie quand il t’a Soigné juste avant que la tigresse l’attaque, et il pense que tu pourras marcher de nouveau.

- Oh.

- Mais seulement si le froid ne se met pas dedans et si tu te reposes. C’est aussi ce qu’il a dit à Erik quand il s’est réveillé.

- Erik ?

Et Nikolai lui raconta comment il avait vu les deux frères sortir de la salle d’opération, Erik, réveillé, couché sur le côté, et Kris, les yeux rouges, marchant à côté de la civière et lui tenant la main comme si sa vie en dépendait et le géant le rassurant avec un sourire très doux sur son magnifique visage.

- As-tu donné à Kris ce qu’il t’a donné il y a deux jours ?

- Non, il est dans la chambre de son frère, ils lui ont mis un lit de camp, là, et il en est à peine sorti.

- Oh. Je me demande comment Erik va pouvoir supporter l’avion, demain quand ils vont partir.

- Ils ne partent plus. En tout cas pas tant qu’Erik ne peut pas voyager. Et il est puni pour ça, aussi… Comme s’il n’avait pas assez souffert comme ça…

- De quoi parles-tu, Kolya ?

- Nos officiers l’ont accusé d’avoir provoqué les tigres.

Mischa ravala sa colère avec difficulté.

- Ouais, nous aussi, mon pote. L’état-major de la Légion a refusé la punition que le nôtre voulait lui infliger, disant que ses blessures étaient une punition suffisante, mais la Légion râle parce qu’ils doivent rester ici à cause de lui. Et un commentaire de Lineik me dit qu’il le sait.

- Il doit se sentir tellement mal à ce sujet, songea Mikhail à voix haute.

- On peut le supposer. Je veux dire, c’est dur, se faire presque tuer par un tigre, en chier, et ensuite voir ses camarades énervés à cause de toi… Tu sais quoi d’autre ? On a demandé à plusieurs officiers, le lieutenant Lineik, notre trouduc de caporal, même ce con de Nabokov, qu’ils lui donnent une médaille pour t’avoir sauvé la vie. Les deux états-majors ont refusé, disant qu’il n’y avait rien dans la mort d’un homme qui méritait une médaille.

- Même si, en tuant les deux tigres, il a sauvé la vie de deux pelotons de soldats désarmés ?

- Ouaip.

- Connards, tous autant qu’ils sont !

- Ouais…

- Kolya, tu peux me passer mon téléphone ?

- Pourquoi ?

- Je dois parler à ma mère. Je vais être démobilisé, à cause de la blessure et elle doit s’y préparer.

Une heure plus tard, Mikhail avait tout raconté à sa mère, jusqu’au manque de médaille, parce, même s’il ne voulait pas le lui dire au début, ça l’irritait et elle l’entendit dans sa voix et lui tira les vers du nez.

- Eh bien, mon fils, on va lui donner une médaille. Une spéciale, de la part de ceux qui soucient de son héroïsme, de ce qu’il a fait. Sais-tu quand ils partent ?

- Non, mais… Maman, que… ?

- Laisse-moi m’en occuper, Mischa. Je suis tellement content que tu sois vivant que je serais capable de ramper jusqu’à là où tu es pour te serrer dans mes bras. Après l’avoir embrassé, bien sûr.

- Maman !

Elle rit et l’embrassa avant de raccrocher.

Le temps sembla ralentir puis accélérer. Le médecin de la Légion, qui avait aussi le Don de Guérison, venait le voir tous les matins après avoir vu le géant, et Mischa lui demandait toujours des nouvelles. Il apprit que le géant s’était évanoui une fois dans sa chambre, restant inconscient pendant deux jours, avec son frère tellement inquiet que le lieutenant Lineik l’avait shooté à la morphine.

Puis, quand il fut réveillé, il y eut une délégation d’officiers russes, qui avaient commencé à l’accuser d’avoir tué leur homme – et Mischa fut écœuré qu’ils osent utiliser la mort d’Ivan pour de telles manœuvres – et Kris, présent dans la chambre à ce moment-là, n’avait pas essayé de les arrêter. Il était sorti en courant, déterminé à trouver un officier de la Légion, avait trouvé un capitaine qui avait rassemblé tous les officiers et ils étaient entrés dans la chambre d’Erik au moment où il commençait à pâlir sous le poids de ces regards indésirables. Erik s’était évanoui juste au moment où les Russes avaient élevé la voix, confrontés aux officiers de la Légion.

Kris avait appelé le médecin qui avait expulsé tous les officiers, avec cette attitude que tous les médecins partagent.

- Il va bien, maintenant ?

- Oui, il se remet bien.

- Vous savez qu’il n’a pas provoqué les tigres, n’est-ce pas ?

- Oui, je sais. Erik Hellason est un chevalier errant, un paladin, toujours prêt à protéger, mais pas fou. J’ai vu les bêtes, c’est un miracle que vous soyez encore vivants tous les deux.

Mikhail se sentit mal, pensant à Ivan le branleur lent, qu’il n’entendrait plus ses gémissements sans pudeur, ne se réveillerait plus lentement pendant qu’Ivan se branlait, et n’attendrait plus qu’il ait fini pour se quitter le chaud cocon de ses couvertures.

Le médecin avait dû voir tout ça sur son visage, parce qu’il mit un doigt sous le menton de Mischa et le leva.

- Pas de culpabilité du survivant, soldat. J’ai eu les détails de Kris et de Lin, j’ai fait l’autopsie de ton camarade. Même Erik, malgré son Don extrêmement puissant, n’aurait pas pu le Soigner et le sauver. Ton ami a mis quelques secondes à mourir mais, avec la gravité de ses blessures, il était déjà mort quand il a touché le sol. Grâce à Erik, il n’y a qu’un seul homme à enterrer, pas deux. Et j’en suis reconnaissant, tu peux me croire. Même si, avec sa blessure, on est obligé de rester plus longtemps dans ce trou du diable. Mais… Et il leva sa main pour arrêter toute protestation de Mikhail, je ne lui en veux pas. Il y a déjà assez de râleurs comme ça. Maintenant, soldat, repos.

- Oui docteur. Quand pourrais-je le voir ?

- Tu ne pourras pas. Pas parce que tu ne peux pas te déplacer, mais parce qu’il est aux arrêts dans sa chambre, ordre de tes officiers.

- Quoi ? Pourquoi ? Parce qu’il m’a sauvé la vie ? C’est ridicule.

- Il n’est pas sage de discuter certains ordres dans l’armée, soldat.

- Oui mais…

- Même quand tu penses qu’ils sont stupides. Mais pas de souci, Erik a beaucoup d’amis ici, tant russes que français, et ils travaillent à faire lever cette sentence ridicule. Après tout, votre commandant a reçu une bouteille d’Armagnac hors de prix sur son bureau, ce jour-là.

Le médecin lui tapota le bras et le laissa avec beaucoup d’information à digérer. L’histoire de l’Armagnac, il en avait appris un peu par ce que Kolya lui avait dit, tout comme il lui avait dit que les Français avaient l’ordre de se rendre à la nuit tombée, mais les amis des deux côtés… Ça c’était une bonne nouvelle. Il espérant que les arrêts seraient levés rapidement.

Après une semaine assis sur son cul, on donna à Mikhail un fauteuil roulant pour qu’il puisse bouger et soulager son ennui. Et aller chez le kiné, remuscler sa jambe et pouvoir marcher à nouveau. Grâce aux Soins des deux soldats français, ce fut assez facile et deux jours plus tard, il passa aux béquilles.

Ce fut à ce moment que le paquet envoyé par sa mère arriva. Et comment elle avait réussi à lui faire envoyer quelque chose au fin fond du trou du cul de la Sibérie, il ne pouvait que commencer à deviner. Peut-être un de ses amis pilotes un peu fous, de quand elle était militaire elle aussi…

Nikolai arriva avec un petit paquet enveloppé de kraft brun dans les mains.

- Tiens, de la part de ta mère. J’ai retiré le papier bulle.

Mikhail était en train de faire des allers-retours dans le couloir, mettant un peu de poids sur sa jambe blessée, comme le thérapeute lui avait dit, alors il s’assit sur un banc et commença le déballage. Il y avait un écrin bleu et une enveloppe. Il prit la lettre et la lut avec attention. Puis il donna la lettre à Nikolai et ouvrit l’écrin.

Sur le satin bleu reposait une médaille de Saint George en argent, qu’il se souvenait avoir vu sur la cheminée, sous une cloche de verre, à la maison. Elle avait été polie avec un chiffon doux, puis une lanière de cuir avait était glissée dans la bélière et noué en tête d’alouette. Au bout, un fermoir en argent faisait une très belle finition. Et à en juger la longueur de la cordelette de cuir, la médaille se nicherait au creux de la gorge d’Erik.

- Elle a demandé au pope de ton église de la bénir, dit Nikolai. Et au bijoutier de la polir et de finir la monture.

Il se pencha sur l’écrin.

- Eh bien, c’est un très bel objet. Pour un très bel homme. Tu sais, je pourrais presque être jaloux. Tu ne m’as jamais offert de bijou…

Mikhail avait les larmes aux yeux en regardant la médaille que son père, le père de son père et ses ancêtres avant lui, avaient portée autour de son cou jusqu’à sa mort. Savoir qu’il ne la porterait jamais était étrange. Mais savoir que l’homme qui la porterait avait tenu sa vie dans ses mains et l’avait sauvé, ça, ça c’était parfait.

La blague de Nikolai le ramena brutalement au présent.

- Je t’achèterai une bague, Kolya, quand on rentrera à Moscou.

- C’était une blague, Mischa.

- Je sais, mon pote. Mais si j’étais mort, il ne te serait resté rien de moi. Donc…

- C’est adorable. Mais est-ce que ça veut dire que tu as l’intention d’affronter un tigre de nouveau et de mourir, cette fois ?

- Quoi ? Bien sûr que non, trouduc !

- Hmm, j’adore quand tu m’appelles comme ça.

A court de mots, Mikhail rougit. Il n’arriverait pas à faire taire Kolya, à moins de l’embrasser et ça, il ne pouvait pas.

Ils allèrent donc dans la chambre d’Erik quand les arrêts furent levés le lendemain.

Ils trouvèrent le géant allongé sur le côté, avec des coussins, des traversins, des blocs de mousse qui le bloquaient, Kris tenant sa main et lui lisant un livre – un livre à l’ancienne, en papier – qu’il tenait dans l’autre main. Quand les Russes entrèrent dans la pièce, Kris arrêta de lire et les deux frères les regardèrent avec un sourire de bienvenue.

Derrière Mischa et Kolya il y avait tout le peloton, Piotr, Sasha et les autres, pour qui l’absence d’Ivan n’était toujours pas réelle. Ils ne le réalisaient pas, mais chaque fois que le peloton allait quelque part, la place d’Ivan était vide, et tous sentaient son absence encore plus.

Ce jour-là, Kris remarqua l’espace vide dans le groupe d’hommes qui entrèrent dans la pièce et s’alignèrent le long du mur. Il sut que le fantôme du mort était là aussi.

Mikhail boîta jusqu'au lit, alors Kris se leva, lâchant la main de son géant de frère, et l’aida à s’asseoir sur sa chaise. Le Russe le remercia distraitement et commença à raconter son histoire à Erik, l’histoire de sa mère si heureuse que son fils soit vivant, l’histoire de la bénédiction par le pope.

Kris s’était un peu reculé, à l’écart du lit mais toujours dans le champ de vision de son frère. Nikolai fit un pas en arrière lui aussi et passa un bras autour de la taille de Kris. Il se tendit quand Kris prit sa main, s’attendant à ce qu’il l’enlève, mais Kris la pressa simplement et continua à la tenir, entrelaçant leurs doigts.

Pendant que Nikolai profitait de ce dernier contact de son amant, Mikhail continua son histoire, disant que, puisque l’état-major lui avait refusé la médaille que eux, la troupe, estimaient qu’il méritait, cette médaille d’argent serait sa décoration, de leur part à eux, les recrues, les bidasses.

Comme l’une des mains du géant était coincée sous un block de mousse, Mikhail ouvrit l’écrin, lui montrant l’héritage familial dont sa mère voulait se séparer pour remercier l’homme qui avait sauvé la vie de son fils.

Quand le géant commença par refuser, Mikhail lui dit que sa babouchka lui botterait le cul si la médaille revenait à Moscou avec lui.

- Ta babouchka ? Celle qui était ton modèle ?

- Oui, elle-même.

- Bien, pour faire plaisir à ta dure-à-cuire de grand-mère, et pour protéger ton arrière-train de coups de pieds non mérités, j’accepte.

Sur un geste de la main libre du blessé, Mikhail se pencha en avant, passa la lanière de cuir autour du cou et actionna le fermoir en argent. Comme il le pensait, la médaille couvrait le creux de la gorge d’Erik.

- Te voilà un chevalier de Saint George, Erik, dit-il pour détendre l’atmosphère.

- Et ça te va tellement bien, bróðir, dit Kris, sa voix étranglée par l’émotion.

Le lendemain, les légionnaires firent leurs bagages, y incluant leur géant blessé, montèrent à bord des avions et quittèrent la Sibérie. Plus tard, les hommes de troupes russes enverraient à Abou Dhabi les peaux traitées des tigres de Sibérie, comme un dernier cadeau pour le géant.

[Boje moï (Боже мой) - Russe : Mon dieu]

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