Chapitre 2: Le cerf-volant

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Maman n’est pas très contente de nous voir arriver en retard… Léandre est le seul à être à table. Papa et moi sommes confus, sauf Alphonse qui soupire. Le repas à l’air légèrement froid. À une minute près, le poulet aurait été glacial… papa bénit la table et s’installe, en premier, pour couper la viande, tandis que maman part pour servir le prochain plat. Mon grand-frère aide papa à tenir le volatil et sert Léandre, qui comme à son habitude, ne parle pas. Il pose timidement l’assiette, en attendant la maîtresse de maison se servir. Une fois tout le monde servi, maman sort ses couverts et coupe l’aile de poulet, tandis que papa se lèche les babines.

— Tout s’est bien passé ?

— Impeccable ! Athanase a été très efficace ! D’ailleurs, j’aurai encore besoin de toi demain pour réparer la roue.

— Rien de grave j’espère ? demande maman inquiète.

— Ce n’est pratiquement rien. Juste un petit bout de bois qui a sauté.

— N’hésitez-pas à me demander ! Mes amis seraient très heureux de vous aider.

— Je vous remercie Alphonse, mais comme vous passez bientôt le bac, j’aimerais que vous étudiez davantage. Vous savez que les études sont chères et que si vous redoublez, nous n’aurons pas les moyens de financer le reste.

— Oui papa.

— D’ailleurs Athanase, j’ai un service à vous demander à propos de Léandre.

J’enlève le petit os de ma bouche pour le déposer au bord de l’assiette.

— Oui ?

— Il a beaucoup de mal en ce moment avec sa conjugaison… comme je dois continuer de coudre pour l’entraide cantonale, j’aimerais que vous preniez le relais.

— Oui maman.

Léandre n'adresse pas un seul regard pendant le long du repas. Depuis qu’il est tout petit, il n’a jamais parlé à personne. Ni à Alphonse et ni à moi.

— Alors comme ça tu veux construire un moulin ? Papa m’a tout raconté.

Oh non ! C’était censé être un secret ! Et moi qui pensais faire confiance à papa…

— Tu sais Athanase, si tu veux en faire ton métier, ça ne sera pas évident… tu vas toujours devoir te lever tôt, préparer le grain, fosser le blé… avec ça, tu ne vas pas gagner ta vie…

— Enfin Alphonse ! Laissez votre frère en faire son métier ! Moi je trouve que c’est une très bonne idée ! On pourrait vous dirigerz vers une école d’agriculture. Votre père pourrait vous prendre dans ses champs.

Alphonse n’a pas l’air très convaincu. Il tire une sale tête.

— Toi tu ne sais même pas ce que tu veux faire plus tard !

— Si, je sais ce que je veux faire ! Je veux devenir ingénieur et tu le sais très bien ! De toute façon, c’est mieux payé qu’un meunier avec son grain.

Maman ne supporte plus nos conflits. Elle souffle désespérément et nous demande de nous calmer.

— Ah, mes chers enfants… Peu importe le métier que vous faites, nous serons toujours là pour vous encourager. Nous sommes d’accord ? demande papa en nous fixant dans les yeux.

Alphonse et moi hochons la tête et terminons le repas dans le calme.


* * *


Je suis dans la chambre de Léandre en train de lui dicter sa leçon. Je l’interroge sur des bases verbales au présent. Il a du mal à réfléchir. Il se gratte souvent la tête pour trouver les mots. Une fois terminée, je regarde sa feuille et remarque qu’il a fait plein de fautes.

— Léandre… tu devrais savoir que le verbe « regarder » au présent, à la deuxième personne du singulier, qu’il y a un « s » au bout…

Il mastique le bout de son crayon à papier.

— Dis-moi que tu as appris ta leçon au moins ?

Il acquiesce la tête.

— Bien… alors qu’est-ce-qu’il ne va pas ?

Il hausse les épaules et demande la correction.

— Bon, très bien… mais c’est la dernière fois qu’on corrige ensemble, après tu apprendras tout seul, compris ?

Il se lève pour chercher une autre chaise et regarde ses erreurs. Il n’y avait pas que la conjugaison qu’il n’allait pas… mais aussi l’orthographe… parfois, je me demande s’il ne serait pas sourd…

— Comment écris-tu le verbe « apprendre » ?

Je vois avec stupéfaction, qu’il ne met qu’un seul « p ». Je lâche un long soupir.

— Bon, écoute… je ne sais pas comment te le faire entrer dans la tête, mais je commence déjà à en avoir marre… tu devrais le savoir que à « apprendre » il y a deux « p » !

Je commence à m’énerver, mais je remarque qu’il se met à pleurer. Je le prends dans mes bras, en lui demandant pardon et dépose un baiser sur sa tête.

— Excuse-moi Léandre… je ne voulais pas que tu pleures… allez, la leçon est terminée, vas t’amuser.

Je referme le livre et essuie ses larmes. Il quitte sa chambre pour aller jouer. Maman, traversant le couloir, voit Léandre partir comme une fusée, vers l’anti-chambre. Elle vient me voir pour me demander si tout s’est bien passé.

— Il fait encore beaucoup de fautes…

— Encore ? Ce n’est plus possible à la fin ! Il faut que je discute avec sa maîtresse. Soupire… il m’inquiète beaucoup en ce moment…

— En même temps, il n’a que six ans et demi… laissez-lui encore un peu de temps. Je suis sûr qu’il y arrivera.

Maman remarque que j’ai beaucoup d’espérance pour mon petit-frère, mais reste anxieuse à l’idée que Léandre ait de grosses difficultés à l’école.


* * *

Nous sommes samedi aujourd’hui. J’ai sorti le cerf-volant comme, il y a pas mal de vent. Je prépare la ficelle en l’étalant au sol. Léandre se tient à côté de moi, accroupi.

— Très prêt Léandre ? À trois je soulève le cerf-volant. Un… deux…

Au bout de trois, Léandre et moi partons en courant, à contre sens du vent. Il commence au fur et à mesure à s’envoler, jusqu’à ce que la ficelle soit tirée au maximum. Je me penche pour aider mon petit frère à le diriger comme il faut. Pendant que Léandre est en train de jouer, j’entends maman nous interpeller à l’autre bout du jardin. À côté d’elle, je vois une petite fille que je ne connais pas. Elle demande à la fille de venir nous voir. Elle nous rejoint en gambadant.

— Je peux jouer avec vous ?

Je l’invite à aider Léandre à tenir le cerf-volant. Ils se mettent à rire lorsqu’elle se met à lui parler. Elle me plaît bien. Elle a l’air d’être gentille. Elle a de longs cheveux blonds qui tombente en cascade sur ses épaules. Elle a de grands yeux marron, avec un bandeau bleu ciel. Je la regarde, avec le cœur battant à toute allure. Mais qu’est-ce qu’il m’arrive ? Pourquoi est-ce-que je deviens tout rouge ? Lorsqu’elle tourne sa longue robe bleue, je me mets à avoir des sensations étranges dans le ventre… je ne sais absolument pas ce qu’il m’arrive, mais en tout cas, cette fille me plaît bien…


* * *


Nous prenons le goûter au bord de la terrasse. Léandre a du chocolat partout autour de la bouche, ce qui fait rire la petite fille. Elle essuie ses traces avec sa serviette en papier. Maman est en train de discuter avec une dame. Elles rient pendant un court instant, jusqu’à ce que le regard de l’inconnue croise le mien.

— Alors comme ça tu es Athanase, le cadet de ta famille, c’est bien ça ?

Je hoche la tête.

— Je m’appelle Agathe de Lacours et je suis ta nouvelle voisine. Ravie de faire ta connaissance Athanase.

— Moi de même madame.

Madame de Lacours boit dans la tasse à thé de maman et discute, pendant qu’Alphonse passe derrière nous pour embêter la jolie fille. Elle éclate de rire et poursuit mon grand-frère. Je me sens un peu gêné de la voir s’amuser avec lui… mais ça ne fait rien, après tout, elle a bien le droit d’être avec Alphonse.

— Je suis sûr que tu ne connais même pas son nom.

Je regarde Léandre qui vient de m’adresser la parole.

— Moi je sais car elle m’a dit son nom.

— Alors dis-le moi si tu le sais, petit fourbe !

Léandre ne veut pas me le dire. Au lieu de ça, il me tire la langue et se cache derrière la chaise. Énervé, je commence à le pourchasser au bout du jardin, jusqu’à ce que je l’attrape par les pieds et le plaque au sol. Aussitôt il change d’humeur et commence à pleurer lorsque je me mets à le frapper. Maman n’est pas heureuse de me voir bagarrer avec Léandre. Elle se lève avec madame de Lacours et marche à grande jambe pour venir me tirer les deux oreilles.

— Ça suffit Athanase ! Montez immédiatement dans votre chambre !

Léandre, une nouvelle fois, me tire la langue et ricane de mon mauvais sort. Je ronchonne et claque la porte. Je m'assois sur le lit en frappant mon coussin. Discrètement, j’entends la porte grincer. La petite fille l’ouvre doucement.

— Pourquoi t’es puni ?

Je grogne en croisant les bras.

— Parce-que Léandre n’a pas voulu répondre à ma question…

— Et je peux savoir ta question ?

Décidément, les filles sont bien trop curieuses… Elle s’assit à côté de moi, en se tordillant les jambes.

— Je…

Mes joues deviennent rouges.

— Je voulais savoir ton nom…

En plongeant mon regard dans le sien, mon cœur recommence à battre. Oh non, ça ne va pas recommencer cette histoire !

— Moi c’est Madeleine ! Et toi ?

Mon visage est écarlate.

— Athanase.

Elle me tend la main.

— Viens, on va rejouer au cerf-volant ! s’exclame-t-elle.

— Mais je suis puni…

— Je vais arranger ça, vient !

Nous parcourons l’escalier jusqu’au jardin à pas rapide. Elle arrive à convaincre les deux mères, pour que je puisse venir jouer avec elle, au cerf-volant. Elle me tire par le bras et m’emmène vers le jouet, qu’elle et Léandre avaient laissé sur la pelouse. Tous les deux, nous le soulevons pour qu’il puisse voler dans les airs et éclations de rire.

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