Chapitre 3 : Un pour tous, tous pour un !
Aujourd’hui c’est l’anniversaire de Madeleine. Elle va avoir dix ans, mais avant que je vienne chez elle, je suis dehors avec papa en train de bricoler. Papa voulait que je vérifie si la lanterne* fonctionne bien avec celle de l’alluchon*. Je suis allé voir et je n'ai trouvé aucune anomalie. Papa me demande de scier la planche. Je suis un peu maladroit lorsque je commence à couper. Au lieu que le trait soit linéaire, il forme une courbe non symétrique au bois. Je suis un peu déçu, car papa est plus efficace et a la bonne technique. Il le lit sur mon visage et me donne un petit coup de pouce.
— Regardez, je vais vous montrer comment il faut faire. Vous posez la planche sur les deux cales, bien droite la planche, puis vous essayez de voir si elle maintient en équilibre. Il ne faut surtout pas que la scie soit profonde. Il suffit de donner de grands coups. Le voyez-vous ?
— Oh oui ! Merci papa !
— Vous allez avoir du mal si vous ne donnez que des petits coups. Et la prochaine fois, mettez une autre tenue, car celle que vous portez est très élégante.
— C’est vrai ? Vous aimez bien ?
Papa a le sourire aux lèvres et me demande de tenir le marteau. Le vent se lève brusquement, faisant tomber l’épouvantail dans le champ de maïs. Je dis à papa que je vais m’en occuper, luttant contre cette terrible tempête. Le ciel s’assombrit, et quelques gouttes d'eau tombent finement au sol. Arrivé au milieu du champ, j’entasse l’épouvantail et vois au loin papa, qui se prépare à partir.
* * *
Au moment de quitter la maison, maman m’arrête brutalement dans ma course pour me dire de prendre un parapluie. Je serre le béret pour qu’il tienne efficacement sur ma tête, le prends comme maman me l’avait indiqué et sors en ouvrant la porte. Mais, une fois dehors, maman m’attrape de nouveau pour me tendre le cadeau et le bouquet de fleurs de chrysanthème. Une fois prêt et parti, j’emprunte la petite ruelle, grimpant jusqu’à la maison de Madeleine, sous une pluie foudroyante. Je fais attention au chrysanthème, je ne veux pas qu’elle soit trempée pour madame de Lacours. J’en cache une pour en offrir une à Madeleine. J’espère qu’elle appréciera…
Arrivé au seuil de la porte, je ferme le parapluie et toque en patientant sous le perron. La cellule se déclipse et laisse aapparaître une ravissante jeune femme, portant sur elle, un magnifique tablier bleu. Elle essuie ses mains pour enlever la farine tout en me disant bonjour. Je lui tends le bouquet de fleur de la part de maman et elle prend gentiment la petite lettre qu’elle a déposé au-dessus. Elle m’invite au salon, voyant sur la table qu’il y a des cookies et du lait.
— Tu peux t’asseoir sur le canapé. Elle ne va pas tarder à descendre. Tu peux en déguster.
Elle repart avec les fleurs et dit du bas de l’escalier à Madeleine que je suis là. Pendant ce temps, j’attends sagement sur le canapé, admirant avec de gros yeux, la pendule. Elle n’arrête pas de faire du bruit, mais ce qui m’impressionne, c’est le petit chat qui est sculpté en or, posé sur l’aiguille. Il a de longues moustaches. J’enlève poliment mon béret et entends plusieurs personnes descendrent des marches. Je souris lorsqu’elle dit à sa mère qu’elle va prendre le goûter avec nous. Puis, souple et délicate comme elle est, elle se tourne vers moi et tire la main à un garçon que je ne connais pas.
— Léopold, je te présente Athanase ! Athanase, voici Léopold !
C’est étrange, mais mon cœur se met à pincer lorsque je la vois avec un autre garçon beaucoup plus fort et plus sympathique que moi… il s’avance pour me saluer, gardant une main à l’arrière de son dos.
— Je suis heureux de faire ta connaissance.
Mon sourire est nerveux lorsque je lui serre la main.
— Moi de même…
— Vient Léopold ! Je vais te montrer ma collection de grenouilles !
Elle le prend une nouvelle fois avec lui et quitte le salon pour aller dans une autre pièce vide de la maison. Quelques amies à elle part, me laissant seul, à l’écart du groupe. Le cœur noué, j’attrape délicatement la fleur de ma poche et des pétales s'envolent. Madame de La Cours, très attentive, pose le bouquet de maman sur la petite table basse et me voit d’un air abattu.
— Elle n’a même pas ouvert mon cadeau…
D’un geste très doux, elle pose sa main sur mon épaule pour me rassurer.
— Elle ouvrira au moment de souffler ses bougies, ne t’inquiète pas. Allez, vas jouer avec eux.
Attristé, je hoche la tête et reprends le béret que j’avais laissé sur le canapé.
— Tu pourras dire à ta maman que j’apprécie son bouquet de fleurs. Il est magnifique.
* * *
— De toute façon les filles c’est nulle, dis-je en lançant le caillou dans un étang.
Je ramasse une autre pierre dans l’herbe et la jette.
— Tu te rends compte ? Elle et Léopold ? Jamais ils ne sortiront ensemble, susurre Paul.
— Tu aurais dû la voir, elle ne lui a pas quitté des yeux une seule fois… je ne veux plus jamais la revoir !
Je balance une branche, ce qui fait fuir un crapaud de son nénuphar.
— Oublions cette histoire ! Profitons plutôt de cette belle journée.
Aussitôt, Paul sort de sa ceinture, une épée en bois et me demande de me mettre en garde. Nous nous amusons tous les deux au mousquetaire. J’imite D’Artagnan et lui Artémis. Nous jouons à l’épée, jusqu’au moment où mon arme touche Paul. Il fait semblant de tomber par terre, et crie en ayant mal. Je ris et à la fois, impressionné par son jeu d'acteur en l'aidant à se relever.
— Moi, quand je serai plus grand, je serai le mousquetaire du roi Louis XVI ! Vive le roi ! s’exclame Paul en hurlant son nom du haut d’un rocher.
Nous nous clamons à dire « vive le roi » et à courir l’un après l’autre, pour continuer notre aventure. Je l’aime bien Paul, car nous avons tous les deux le même rêve. Devenir le mousquetaire du roi. Après tout, c’est mon meilleur ami et les amis, ça ne se trahit jamais !
lanterne* : pièce du moulin qui permet de tamiser la farine et qui est verticale.
l’alluchon* : autre pièce au-dessus de la lanterne, qui permet de tamiser la farine. Elle est plus grande et horizontale.
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