Chapitre 5: Dijon
La calèche nous attend comme prévu, devant la cure. Papa m’aide à monter les bagages, tandis que Léandre joue avec une brindille. Le père Christophe fait des allées et retours pour être sûr de n’avoir rien oublié. Je donne ma dernière valise à papa et le vois la ranger convenablement. Il descend pour venir m’embrasser chaleureusement sur les deux joues.
— Soyez très prudent Athanase, compris ?
— Oui papa…
Il me donne gentiment une frappe à l’épaule.
— Je suis très fière de vous, sachez-le.
— Merci papa.
— Bon voyage avec le père Christophe. Je compte sur vous à ce que vous ne fassiez pas de bêtise avec lui.
— Oui papa, j’ai passé l’âge, dis-je en riant.
Au moment de partir, j’entends quelqu’un m’interpeller. C’est Paul, qui court tout au fond du jardin de monsieur le curé.
— Athanase attend !
Il s’arrête pour reprendre son souffle.
— Tu n’allais pas partir sans me dire au revoir tout de même !
Nous nous empoignons une dernière fois la main en nous frappant le dos.
— Tu vas me manquer.
— Toi aussi Paul.
— Donc plus d’histoire de mousquetaire ?
Il me montre l’épée en bois que nous avions fabriqué dans l’atelier de son père et me l’offre.
— Je…
Je n’arrive pas à trouver les bons mots pour lui dire que j’ai d'autres projets. Paul baisse la tête, déçu.
— Je t’enverrai des lettres pour te tenir au courant.
— Tu promets que tu viendras me voir ?
— Oui Paul, je te promets.
Avec nos anciennes épées, nous nous les croisons pour nous dire une dernière fois la devise des mousquetaires et je monte une bonne fois pour toute dans la calèche. Le cocher ordonne à ses chevaux d’avancer. Je dis une dernière fois au revoir à tout le monde, même à Alphonse que je viens tout juste de croiser du regard. Il s’est caché derrière la cure et m’observe au loin, d’une mine sombre. Pourvu qu’Alphonse change et qu’il cesse de chercher l’assassin de maman… je prie pour que cette histoire se termine…
* * *
Je n’aurais jamais imaginé que Dijon soit une grande ville. Au même instant où nous franchissons les portes, je vois des commerçants qui hurlent pour vendre leur produit. Des poules sont sorties de leur cage et batifolent au pied des ruelles. Beaucoup d’artisans fabriquent leur matériel, plus particulièrement les forgerons. Je peux même regarder à ma gauche, un maréchal s’occuper de ferrer les sabots d’un cheval. Je suis surexcité lorsque nous traversons la grande rue des Forges.
— Nous sommes presque arrivés, Athanase, la cure est au premier boulevard Chanoine. C’est la première fois que tu vois autant de monde ?
— Oh oui mon père ! En revanche, mon père m’a toujours dit que c’était très bruyant…
— Rassures toi, là où nous irons, le coin sera beaucoup plus calme. Regarde, c’est le palais des Ducs à ta gauche et en face de toi, l’église Saint-Michel, mais nous n’irons pas à cette église. Je préfère t’emmener à l’église Sainte Jeanne-d’arc, elle est beaucoup plus grande.
Je suis très admiratif par les bâtiments qui longent à travers la vitre de la calèche. Tout me paraît très grand.
* * *
Une fois la visite terminée, père Christophe m’aide à porter mes valises. Nous disons au revoir au cocher et rentrons dans la nouvelle cure. Il y a un prête qui sort avant nous. Nous le laissons passer. Il tire sur son visage un grand sourire pour saluer le père Christophe. Apparemment, ils se connaissent bien.
— Quel plaisir de vous retrouver mon père ! Vous nous avez manqué !
— Il y a bien longtemps que je ne suis pas retourné ici, Grégoire.
— Je vois que vous n’êtes pas seul. Bonjour jeune homme, comment t’appelles-tu ?
Je suis bouche-bée en regardant le jeune prêtre. Sa tenue me donne envie de porter la même et le livre qui tient dans ses mains, j’ai une envie soudaine de le lire…
— Athanase. Ravi de vous rencontrer monsieur le curé. Vous avez quoi dans les mains ?
D’un petit mouvement de tête, il regarde le livre et me le montre.
— Oh ça ? C’est un bréviaire, mais rassures toi, le père Christophe t’apprendra. Et tu es venu pour faire des études j’imagine ?
— Oui, pour devenir médecin, monsieur le curé.
Il me félicite en étant très jovial.
— Et vous monsieur le curé ? Vous faites des études ?
Les deux prêtres rigolent au même moment.
— Depuis un bon moment, j'ai fini mes études de philosophie.
— D’ailleurs, je vais avoir besoin de toi Grégoire, pour qu’il puisse apprendre la théologie.
— C’est quoi la théologie ?
Le jeune prêtre, Grégoire, serre son bréviaire et rit doucement.
— On t’apprendra, on te le promet. Pour le moment tu as fait un long voyage et tu devrais te reposer, à moins que tu veuilles boire quelque chose ? Vous aussi mon père je suppose ?
— Volontiers mon fils !
* * *
Pendant mes longues années d’étude, j’ai fait de belles rencontres. J’ai d’abord rencontré les trois autres prêtres, qui m’ont bien aidés à progresser dans ma formation. J’ai appris à soigner des patients, à observer la chirurgie, tous les rôles importants dans le monde de la médecine. Arrivé aux études supérieures, j’ai appris l’anatomie du corps humain, la science, les cellules, bref, tout ce que l'on retrouve de vivant dans un corps humain, et particulièrement à ausculter. J’ai eu vingt-quatre ans il y a deux mois, très exactement, le 14 mai 1782. Je suis à ma dernière année d’étude et j’ai l’intention de faire mes vœux solennels. Je m’entends très bien avec le père Basile. Il est un très bon confesseur et un très bon prêtre pour catéchiser les enfants. Nous avons eu pas mal de personnes en détresse ces derniers jours qui nous ont demandé à boire et à manger… et beaucoup de personnes pour la confession. Pour l’instant, je n’ai donné aucune messe, je ne fais qu’observer et écouter ce que me dit le père Christophe, mais sa santé commence à devenir mauvaise et cela nous inquiète… nous le surveillons de près avec tous les autres prêtres. Je ne veux pas le quitter, puisqu’il a été mon second père pendant ces huit dernières années d’étude… tandis que j’étudie la théologie, le père Gaspard, un prêtre qu’on pourrait dire, disons… grincheux, s’approche de la bibliothèque pour emprunter un livre. J’écris mes dernières lignes sur les éventuelles suggestions que je propose à ma thèse et laisse la plume dans l’encrier pour me préparer à la prochaine messe du père Joël. En tant que religieux et médecin, on ne peut pas dire que ma vie est mauvaise. Je rends grâce au bon Dieu de m’avoir offert un bon ange gardien et j’ai hâte de pouvoir passer mes examens. Pourvu que j’ai mon doctorat et mon diplôme…
* * *
Nous sommes à la fin du mois de Juillet. Je viens de terminer mes concours et j’ai eu d'excellents résultats. Je peux enfin devenir médecin à domicile et à la fois, célébrer des messes dans des petits villages. Tout le monde s’est réjouit pour moi, y compris papa qui m’a envoyé récemment une lettre pour me féliciter. Comment ne pas en être heureux ? Nous arrivons à une heure tardive aujourd’hui, car le père Christophe est en train de rendre son âme au Seigneur. Nous formons tous un cercle autour de son lit. Père Grégoire lance de l’encens, tandis que nous, nous chantons, plus particulièrement, le chant de « Regardez l’Humilité de Dieu » de Saint François d’Assise. Nous faisons le signe de croix pour mettre fin et nous nous levons pour le laisser se reposer, mais il me fait signe de venir le voir. Tandis que tout le monde quitte sa chambre, je m’approche de lui délicatement et vois que dans sa main, il tient une lettre. Je me mets à genoux et il m’invite à lire ce qu'il y a à l'intérieur de l'enveloppe.
— Qu’est-ce que c’est mon père ?
Il tousse avant de pouvoir répondre. J’entends ses poumons crépiter.
— Une lettre du roi Louis XVI.
Je suis surpris que cela puisse venir de notre roi. J’ouvre la lettre et la lis devant lui.
— « Monsieur Loyal, vous êtes invité à la cour de Versailles, en tant que confesseur privé des mousquetaires. Toutefois, vous pouvez refuser, mais nous comptons sur vous pour que vous puissiez demeurer parmis-nous. Cordialement, le roi Louis XVI, en personne lui-même. »
Je n’ai pas les mots qui me viennent pour répondre à cette opportunité. Le rêve que je voulais réaliser avec Paul, allait finalement être réel. Je me réjouis en remerciant mon père spirituel par un câlin.
— L’élève a enfin dépassé son maître, ditons.
Je suis ému.
— Mais prenez garde, Athanase, car la cour royale n'est pas une mince affaire…
— Oui mon père, je ferais très attention. Merci à vous mon père de m’avoir si chaleureusement accompagné durant ces dernières années.
— Que Dieu vous bénisse mon fils et qu’il vous garde à jamais.
C’est par ces dernières paroles que le père Christophe rend le dernier soupir de sa vie.
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