Chapitre 7: L’arrivé du père Loyal
Point de vue d’un inconnu
— Sortez immédiatement de ma caverne ! Et ne reposez plus jamais les pieds dans cet endroit !
La femme costaude m’attrape par les bras pour me sortir d’ici et me pousse de toutes ses forces dans une meule de paille. Des paysans, passant par la grande allée, se moquent ouvertement de mon virement. Je balaye les trois broussailles de blé sur mon beau chemisier blanc et vois avec stupéfaction, ma patronne, sortir avec une casserole pour me menacer de partir. Je fuis, en partant dans une grande course et emprunte une impasse pour reprendre mon souffle. Maintenant que je n’ai plus de travail, je ne sais plus quoi faire… mais, j’ai une feuille que je traîne avec moi depuis un bon moment. J’ai hésité à accepter cette offre que mon père m’avait offert lorsque je n’étais encore qu’un gamin. Il disait que quand j’aurai l’âge d’être un Gentilhomme, je pourrai participer à la cour royale et devenir mousquetaire, comme lui l’a été depuis des décennies. J’hésite à me faire soldat et à défendre le roi… je n’ai jamais mené de combat aux armes… et ni tué… serait-ce une opportunité d’apprendre ? Au moment de ranger ma lettre dans ma tunique brune, je percute, accidentellement, un curé.
— Pardonnez-moi monsieur le curé, je ne vous avais pas vu.
Je suis très confus et l’aide à ramasser ses bagages.
— Ce n’est rien, jeune homme, ne vous affolez pas.
— Pour me faire pardonner, voulez-vous que je porte vos valises ?
— Avec plaisir, compatit-il.
— Et où allez-vous mon bon curé ?
Il positionne ses mains à l’arrière de son dos et marche calmement.
— Je me rends à la cour de Versailles.
Je suis impressionné par la douceur de son langage.
— Et vous ? Vous vous rendez où avant de me percuter précipitamment ? s’amuse-t-il.
Son calme me rassure et me prête à rire mielleusement.
— Je suis dans une situation ambiguë, mon père… ma patronne vient de me virer de sa taverne.
— Oh, je suis navré pour vous monsieur…
— Non, rassurez-vous, cela fait plus de six ans que je travaille là-bas. Ils n’ont jamais été très affectueux avec moi… mais si vous le voulez, je peux vous préparer un bon verre de vin.
Il élargit un sourire tendre.
— Mais je reste confus à l’idée de me faire mousquetaire… mon père m’a donné cette lettre avant de mourir dans une émeute, mais peu importe.
Le prêtre ouvre la lettre et agréablement surpris, je vois qu’il en a une aussi.
— Je pense monsieur, qu’il est temps de tourner la page et de vous préparez à ce que votre père a toujours désiré pour vous. Qu’en pensez-vous ?
Nous nous arrêtons devant l’immensité du château du roi. Il y a une grande foule qui circule autour de nous. Je redonne son enveloppe et prends la mienne, en soupirant.
— Je… je pense que vous avez raison.
Amicalement, il m’offre une petite frappe à l’épaule et reprend ses affaires, en me laissant seul. Face à cette lettre et aux soldats, je prends la décision de faire le grand pas et de m’engager.
* * *
J’arrive dans une cour maigre. Des cavaliers chevauchent avec leur cheval. Des entraînements ont lieu dans le jardin du roi. Je m’avance à pas lent, vers des mousquetaires qui ricanent entre eux ou qui boivent des tonneaux de bière. Je m’éloigne légèrement d’eux et me rends dans un petit bâtiment en batiste rouge et toque derrière une porte vitrée. J’entends une discussion qui a déjà lieu et une grande carrure apparaît derrière la fenêtre. Je la laisse passer et je vois le militaire, qui parle une dernière fois avec le chef. Il remet son chapeau sur la tête et me dit poliment bonjour.
— Entrez jeune-homme, je ne vais pas vous manger.
J’entre timidement et m’installe à son bureau.
— Comment appelez-vous ? pose-t-il la question en croquant dans une pomme.
J’observe ses anciennes bottes en cuire, allongées sur la table en bois et son bicorne posé sur une pile de livres.
— Étienne Martel, monsieur le caporal.
— Ah, un Martel ! Votre père était un brave soldat ! Il a longtemps combattu à mes côtés. J’espère qu’il vous a appris à manier l’épée.
— Jamais mon caporal. Il avait peu de temps pour s’occuper de nous…
— Je vois, je vois, vous avez un frère si je ne me trompe pas ?
— Fils unique, mon caporal.
Il m’asticote son fruit et jette le trognon dans un mouchoir.
— Vous avez entendu mon nom j’imagine.
— Oui mon caporal. Papa parlait assez souvent de vous. Vous êtes né d’une famille noble si mes souvenirs sont bons. Vous avez perdu plusieurs de vos frères lors de la terrible émeute qui a eu lieu récemment à Versailles… vous n’êtes plus que deux dans la fratrie.
— Trois encore. Continuez.
— Et récemment, vous avez remplacé mon père.
— Vous êtes bien informé. Vous êtes un vrai Martel.
Je ne bouge pas d’un poil pendant notre entretien. Il se lève pour regarder par la fenêtre de son bureau, ses mousquetaires s’entraînaient, à l’extérieur de la cour.
— Êtes-vous prêt à défendre le roi, tout au long de votre vie ?
— Oui mon caporal, je suis prêt.
* * *
Point de vue d’Athanase
Je m’impatiente derrière les portes du roi et tire sur la sonnette. La gouvernante, qui me semble très gentille, court à petit-pas pour m’ouvrir la porte. Elle a le sourire au visage.
— Oh bonjour monsieur le curé ! Vous êtes arrivé très tôt !
— Oui madame la gouvernante, j’ai eu un très gentil jeune homme qui m’a raccourci le chemin en m’aidant à porter mes bagages.
— Vous avez fait bon voyage ? demande-t-elle en donnant les valises à deux braves valets.
— Oui, un très bon voyage, je vous remercie.
— En tout cas, le roi est enchanté de vous rencontrer. Cela fait un bon moment qu’il n’a plus de prêtre pour se confesser, ni même pour les mousquetaires. Le pauvre, vous n’imaginez pas son angoisse.
— Je n’en doute pas.
— Nous vous avons mis au troisième immeuble. Cela vous convient-il ?
— Parfait.
En gagnant l’allée principale, les valets montent déjà à l’étage pour déposer mes affaires. Devant, se trouve deux soldats, qui m’attendaient apparemment. Je remarque avec surprise, qu’il s’agit de Paul et d’un autre soldat inconnu, qui m’a l’air grincheux.
— Athanase ? C’est toi ?
— Paul ?
Paul cavale devant moi pour me saluer.
— Comme je suis heureux de te voir ici ! Tu ne l’imagines pas ! Et bien, ta tenue a changé.
Je ris et nous commençons à échanger lorsque le caporal se présente derrière moi. Paul recule à quelques centimètres de moi pour laisser la place à son chef.
— Bonjour mon père, ravis de faire votre connaissance.
— Moi de même mon caporal.
— Le roi présente ses excuses. Il est en pleine partie de chasse. Vous pouvez encore patienter ici. Cela ne vous dérange pas ?
— Oh non mon colonel.
— Paul ?
— Oui mon colonel ?
— Pourriez-vous, pendant mon absence, vous occupez du nouvel arrivé ? J’aimerais que vous lui montriez l’épée. Pour l’instant, il n’en a jamais pratiqué.
— À vos ordres mon colonel.
Paul le salue d’un geste militaire et repart sur ses trousses. Pendant ce temps, je vois l’autre mousquetaire, avachi sur une chaise, en train de limer son épée. Les pauvres mousquetaires… cela ne doit pas être évident de tuer pour son pays…
— Vous venez d’où mon père ?
Le caporal me semble aimable à mon égard. Nous nous asseyons pendant un court instant pour discuter.
— De Dijon. Je viens tout juste d’être ordonné prêtre et d’avoir mon diplôme en tant que médecin.
— Oh, vous pourriez donc secourir les mousquetaires en cas de grave blessure ?
— Oui mon colonel, j’aurai tous les droits.
— Cela ne m’étonne pas que le roi vous ai choisi.
— Et vous mon colonel, vous êtes de Versailles ?
— Oh non pas du tout, je suis normand.
Pendant cet agréable échange, nous entendons un chien de chasse qui aboye au seuil des grandes portes vitrées. Le roi a encore sa corne sous son bras et passe gentiment son chapeau à un valet. À mes yeux, le roi a une carrure très simple et semble pure comme de la porcelaine, en analysant son visage doux. La reine me semble plus timide et condensée, mais reste très élégante. Elle l’accompagne et caresse le chien de chasse, couvert de boue.
— Oui, ça serait gentil de les nettoyer.
Le serviteur obéit et emmène les chiens à côté de lui. Le roi, en tenu de cavalerie, présente ses humbles excuses et me penche devant lui pour lui dire bonjour.
— Ah, mon père, quel plaisir de vous avoir auprès de nous ! Je m’excuse, mais on m’avait dit que vous viendrez vers quinze heures, alors j’en ai profité pour chasser.
— Ne vous inquiétez pas, majesté, c’est de ma faute, j’aurais dû vous prévenir de mon heure d’arrivée plus tôt.
— Venez vous installer, on va vous offrir un petit café.
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