Chapitre 4
Le regard fuyant de Marine rencontre brièvement les prunelles assombries de l’homme qu’elle sait positif et enjoué, et qui ne perd pas souvent son calme. Elles brûlent de colère comme des années plutôt, face à sa mère.
« ... Ce serait une aberration que les lignées des Waldener et des De Reiset se mélangent aux origines exogènes aussi sordides. Tu as intérêt à t’en débarrasser si cela arrivait… » avait ordonné cette dernière.
La patience de Kenna ayant atteint son point de saturation, c’est forcené qu’il avait déboulé dans la cuisine où se disputaient les deux femmes. Il avait traité sa future belle-mère de « vieille peau cupide et raciste… » et d’autres injures qu’il avait sorties d’un chapeau.
— Marine ?
Sa voix grave rompt le silence insoutenable entre eux. La jeune femme baisse les yeux sur ses doigts triturés, honteuse. Kenna avait tant souhaité construire une famille avec elle ! Il désirait être présent en salle d’accouchement, une possibilité qui ne s’offre pas dans son pays.
Je lui ai volé ce rêve, se reproche-t-elle.
— Pardonne-moi de te l’avoir caché…
— … tu as interrompu la grossesse telle que le voulait ta mère, conclut Kenna.
Son ton est calme, mais vibre comme s’il a hurlé.
— Non ! réagit Marine, dégoutée, comment peux-tu penser ça de moi !
— Mais alors, commence-t-il avant de s’interrompre.
Un faible sourire hésitant fait frémir ses lèvres, sa mine se détend.
— Nous avons un enfant ? s’assure-t-il d'une mi-voix réjouie.
— Oui, nous avons eu…
— Je veux le voir ! intime Kenna avec un grand enthousiasme, où est-il ?
— Ici…
Sa joie s’éteint, net.
— Comment ?! souffle-t-il, stupéfait.
— Notre fils a une pneumonie virale sévère, mais il va mieux ! se dépêche-t-elle de le rassurer.
Kenna redescend du véhicule d’un mouvement prompt. Elle l’imite. D’un regard perçant, il accompagne ses pas vers lui.
— Depuis quand ? se renseigne-t-il, campé devant elle.
— Il a été hospitalisé lundi…
Les spéculations sur son état l’ont tellement terrorisé que Marine s’en est tout de suite voulu de lui avoir caché son existence.
— S’il n’avait pas été malade, serais-je ici ? lui réclame-t-il après l’avoir longuement considère sans un mot.
— Pardonne-moi, Ken’. Ç’a été un déclic…
— Un déclic, répète-t-il dans un ricanement avant de vociférer, tu te fiches de moi !!
— Amour…
— Épargne-moi ton hypocrisie ! s’écrie-t-il à nouveau avec rage.
Navrée, elle rabat sa main levée, prête à se poser sur la joue du jeune homme.
— Même si pour ta famille et toi je ne suis qu’un « misérable Africain », c’est mon enfant, j’ai des droits, et tu n’avais pas à me les retirer !!
— Pardonne-moi. La colère, la peur, mes incertitudes ont été plus fortes que ma raison…
Kenna, comme insensible à ses remords, se rapproche d’elle, la menaçant de tout son gabarit imposant. Il lui rappelle qu’à la mort de sa mère, sa sœur et l’époux de celle-ci avaient pris soin de lui depuis ses 6 ans et financé toutes ses études.
— … sans eux, on ne se serait jamais rencontrés, formule-t-il nettement, en plus de mon devoir, m’occuper de leurs enfants était un minimum de reconnaissance, un geste d’humanité. Ça, c’est quelque chose qu’on ne prêche pas chez Les Waldener-De Reiset, n’est-ce pas ? termine-t-il sur un ton méprisant.
Marine lâche un petit son plaintif. Elle ne l’avait jamais vu aussi remonté. Elle n’a plus le courage d’achever sa confession.
Mon Dieu, je l’ai perdu ! se dit-elle.
Nerveuse, elle s’exhorte à poursuivre.
— Au moment où j’ai découvert ma grossesse, elle était déjà avancée de 10 semaines et se présentait mal…
— Je ne t’aurais jamais demandé de risquer ta vie ni celle de notre bébé…
— Je sais, pleurniche-t-elle presque.
Les bras lui tombent le long de son corps.
— J’avais vraiment peur, Ken’, se confie-t-elle.
— De quoi ? crache-t-il.
— De tout: de l'inconnu, de nos différences. Je craignais qu’on ne m’aime pas chez toi, que je n’y sois pas à mon aise, que je ne m’adapte pas à vos pratiques, que tu sois fiancé ou marié à une femme de là-bas…
— C’est quoi cette idiotie ? s’étonne Kenna, ahuri, je suis chrétien !?
— Mais ta coutume te permet la polygamie dans ton pays…
Elle lâche un petit rire nerveux et ferme brièvement les yeux.
— Je me suis fait plein de films, pousse-t-elle.
— Si j’avais une telle intention t’aurais-je supplié de venir avec moi, tu crois ? Être mariée à une femme blanche ne court pas les rues chez moi, mais j’étais prêt à affronter tous les obstacles et le monde entier par amour pour toi. Je n’imaginais pas mon avenir sans toi !
Il ne m’aime plus ! s’alarme-t-elle, anéantie.
Un sanglot s’étrangle dans sa gorge, elle regrette d’avoir été si impulsive et incertaine.
Il prend une grande inspiration et consent avec calme :
— Comme toi, j’ai eu peur de mettre nos différences sur la table, mais rompre n’a jamais effleuré mon esprit. Tu ne m’aimais pas assez, Marine.
— J’ai toujours été dingue de toi ! dit-elle le ton haut.
Il ne dit rien et la considère avec méfiance. Elle reprend :
— C’est simplement qu’après ton départ, je me suis sentie en insécurité, tout à coup fragile, comme dépourvue d’une protection. En plus, ma grossesse était difficile…
— Désolé, mais tu as choisi de la vivre seule ! la réprimande-t-il.
— Je ne m’y attendais pas, Ken’ ! En plus, mon obstétricienne m’avait déconseillé de prendre l’avion avant plusieurs semaines. J'avais eu peur de perdre mes bébés… !
« Zut! » souffle-t-elle.
— Tes bébés !? s’écrie-t-il les yeux exorbités.
Sa respiration se précipite.
— Nous avons eu des jumeaux, un garçon et une fille, finit-elle par confesser.
Le jeune homme est pétrifié durant de nombreuses secondes. Il marque ensuite quelques pas sans but, puis s’arrête ensuite à une petite distance d’elle et tente de mieux respirer. La respiration lui manque lorsqu’il est sur le point d’exploser. Marine le sait, mais elle essaye quand même de s'avancer vers lui.
— ‘T’approche pas ! ordonne-t-il d’une main levée, s’il te plait.
Kenna respire lentement plusieurs fois. Après avoir retrouvé un certain calme, il se présente devant elle.
— Ai-je été un si infect fiancé ? tonne-t-il.
— Pardonne-moi…
— Deux enfants, Marine ? Tu m’as volé mes moments ! Les voir grandir tous les jours dans ton ventre arrondi, leur naissance, leurs premiers cris, leurs premiers mots, leurs premiers rires…
Sa voix se brise.
— Putain ! lâche-t-il en donnant un coup de pied dans le vide devant lui.
Marine ravale un sanglot en plaçant une main sur sa bouche.
— Pardo…
— Je n’en ai rien à battre !! s’époumone-t-il les yeux rougis et les joues humides.
Puis, il sèche ses larmes d’un geste brusque.
— Pourquoi ça m’étonne ? Tu es comme tes parents, des êtres égoïstes, imbus d’eux-mêmes et dépourvus d’humanité ! fulmine-t-il.
— Amour…
— Je veux voir mes enfants, Princesse Marine Waldener-De Reiset et maintenant ! aboie-t-il avec rage, dirigeant déjà vers une entrée.
***
Après avoir passé la porte de la chambre égayée par une image de Dingo en bois ultra souriant, Kenna, un peu apaisé, observe son fils endormi.
Le teint caramel, il lui ressemble à peu de choses près.
— Le retour du bâton, sa grand-mère doit être fumasse, chuchote-t-il.
Marine pouffe. Leur enfant ouvre les yeux. Elle va s’assoir au bord du lit.
— Coucou, Mon grand !
— Cou... cou, Ma…man ! fait-il un peu essoufflée et d’une voix affaiblie, mais enjouée.
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