Chapitre 1
— Putain, où est-ce que je suis ?
Je me réveille par terre, la joue collée à du béton froid. J’ai l’impression qu’on m’a roué de coups, et tout ce qui traverse mon crâne en vrac, c’est une douleur sourde qui cogne à chaque battement de cœur. Mes bras, mes côtes, même mes genoux : tout fait mal. J’essaie de me lever, mais mes jambes flanchent. En me redressant à moitié, je sens un truc poisseux sur mon front. Je touche, et ma main revient couverte de sang. Génial.
Je titube et, après quelques pas, m’appuie contre la première chose à ma portée. Une vitrine dégoulinante de crasse, parfaite pour compléter ce tableau de misère. Je me penche pour regarder mon reflet, et ce que je vois ne me rassure pas du tout. Ma gueule est en vrac, des éraflures partout, une lèvre éclatée. En un mot : la catastrophe.
— Ça va, Hank ? Pas trop la forme ?
Je sursaute, en entendant cette voix. La mienne. Sauf que cette version de moi a l’air bien plus en forme. Et surtout, elle se tient là, de l’autre côté de la vitre, avec un sourire en coin. Ce reflet – ce « moi » – m’observe d’un air moqueur, comme s’il prenait un malin plaisir à me voir galérer.
— Qu’est-ce que… qu’est-ce que je fous là ? je bredouille, encore perdu.
Mon reflet lève les yeux au ciel.
— Eh ben, champion, t’es dans la rue. Évidemment, vu l’état de ta gueule, tu t’es pas juste endormi ici par hasard. T’as pris un bon paquet de gnons, ça c’est sûr.
Je le fixe, paumé. Des fragments de douleur se réveillent un peu partout dans mon corps. Mais aucun souvenir de comment j’ai atterri là.
— Et merde… Mais j’ai fait quoi pour en arriver là ? C’est flou… la seule chose dont je me souviens, c’est… je m’appelle Hank. Super, comme si ça allait m’aider.
Mon autre moi ricane.
— Ouais, c’est tout ce que t’as, Hank. T’es là, tout seul, en sang, sans la moindre idée de ce qui t’est arrivé. Bien joué, vraiment.
Je soupire, m’appuie contre la vitre crasseuse. Mon corps entier proteste, chaque mouvement est un supplice.
— Bon, mec, tu veux m’aider, oui ou non ? T’es censé être moi, non ? Dis-moi au moins pourquoi j’ai l’impression d’avoir été roulé dans du gravier !
Mon reflet hausse les épaules, indifférent.
— Te faire tabasser, ça te parle, Hank ? Parce que c’est ce qui s’est passé. Quelqu’un t’a éclaté, et vu ta tronche, il t’a pas raté. Et moi, je suis juste là pour te rappeler que t’as pas une seule idée de pourquoi tu t’es pris une raclée.
Je reste là, la tête embrouillée, le corps en miettes, sans autre piste que cette voix dans ma tête, ce double moqueur qui m’assène la dure réalité, planté devant cette vitrine dégueulasse, fixant mon propre reflet avec la seule chose qui me reste : mon prénom. Hank. C’est tout. Pas un souvenir, pas un indice. Juste une migraine carabinée et la certitude que je me suis fait défoncer.
— Eh ben, Hank, t’es pas sorti de l’auberge, hein ? se moque mon autre moi, avec ce même sourire suffisant.
Je fronce les sourcils.
— Sérieux, mec, j’ai aucune idée de ce que je fous là ! Ça te paraît normal, toi, de te réveiller la gueule éclatée, en pleine nuit, sans un seul souvenir ?
Mon reflet éclate de rire.
— Oh, tu sais, la normalité… Est-ce que t’as vraiment la tronche de quelqu’un de « normal » en ce moment ? Nan, soyons honnêtes, t’es dans un état pitoyable. Et ça, Hank, c’est que le début.
Je m’accroche à la façade comme si elle allait me donner des réponses. Mon autre moi, lui, reste imperturbable, comme si tout ça l’amusait.
— Ok, donc, on va rester là à se foutre de ma gueule, ou bien tu vas au moins me dire ce que je dois faire ? Parce que là, je patauge. Littéralement.
Mon reflet hausse les épaules.
— Bah, commence par marcher. À moins que tu préfères rester ici jusqu’au lever du soleil en attendant qu’un chien te pisse dessus.
Je serre les dents, essaye de me redresser, et fais un pas, puis un autre. Mon corps me hurle de m’arrêter, mais mon double continue de me narguer.
— Allez, Hank, bouge-toi ! On dirait un type en gueule de bois qui se traîne jusqu’à la boulangerie. Enfin, sans savoir où est la boulangerie, bien sûr.
Je le fusille du regard.
— Dis-moi… pourquoi t’es là, au juste ? T’es ma conscience ? Mon ange gardien ? Ou juste le reflet de ma poisse infinie ?
Il ricane.
— Oh, je suis là pour te rappeler que t’es dans la merde, Hank. Un peu de compagnie, ça fait pas de mal, si ?
Je commence à marcher. Mes jambes flageolent, chaque pas m’enfonce un peu plus dans cette douleur lancinante. Et ce connard dans la vitrine me suit, bien sûr, s’éclatant visiblement plus que moi.
— Alors, Hank, t’as un plan ? demande mon reflet, l’air de rien.
Je grogne.
— Écoute, j’essaye déjà de tenir debout. Si t’as mieux à proposer, vas-y.
Il rit.
— Un plan pour quoi ? Te rappeler ton nom, c’est déjà un exploit ce soir, non ? Franchement, t’as même pas besoin de savoir ce que tu fais là. Profite un peu de l’amnésie, mon pote.
Je m’arrête, la tête basse, complètement perdu.
— Mais qu’est-ce que ça veut dire, tout ça ? Pourquoi moi ? Pourquoi… ici ?
Il hausse les épaules.
— Pourquoi pas ? Peut-être que t’avais envie de t’offrir un challenge ? Une petite aventure mystère version gros mal de crâne. Ou alors… t’es juste dans la merde. Ça arrive aux meilleurs, tu sais.
Je le fixe. Une partie de moi voudrait lui éclater la gueule, mais ça reviendrait à cogner dans une vitrine déjà bien crasseuse. Ça servirait à rien, quoi.
Je soupire, désespéré.
— Ok, génial. Je suis paumé, en sang, et je parle à une version de moi qui se fout de ma gueule. Le rêve.
Il sourit, satisfait.
— Bienvenue dans ta vie, Hank. Du moins, la partie dont tu te souviens.
Je lève les yeux au ciel et continue d’avancer dans la rue, les pas lourds, mon reflet glissant d’une vitrine à l’autre pour me suivre.
— Et t’as pas d’idées lumineuses, là ? Genre où je pourrais aller ?
— Ah, t’es marrant, toi. Je suis toi, je te rappelle. Alors si t’as aucune idée, pourquoi j’en aurais une, moi ?
Je soupire, réalise que je n’ai aucune destination, aucune idée de qui je suis censé être. Juste ce prénom, ce foutu prénom qui me colle comme un chewing-gum à la chaussure.
Soudain, je m’arrête, un doute m’assaille.
— Hé, attends une minute… est-ce que je m’appelle vraiment Hank ? Peut-être que j’ai tout faux, en fait ?
Mon reflet éclate de rire, son rire résonne dans ma tête comme un écho moqueur.
— Oh, ça, mon pote, c’est la meilleure ! Si ça se trouve, t’es même pas Hank. Et là, t’as erré toute la nuit en te croyant Hank alors que t’es peut-être… Bruno, ou Kevin. Ça serait beau, non ?
Je secoue la tête, complètement paumé.
— Donc non seulement j’ai oublié pourquoi je suis là, mais maintenant je doute même de mon prénom. Génial. Vraiment, merci, Hank ou Bruno ou je sais pas qui. Je suis vraiment ravi.
Il me regarde, toujours avec ce sourire en coin.
— De rien, mon pote. C’est toujours un plaisir d’aider.
Je continue à avancer, la tête basse, les bras ballants, mes jambes toujours aussi tremblantes. Tout ce que je veux, c’est une explication… ou même juste une pause, n’importe quoi. Mais bien sûr, je sens un truc étrange. Comme une sensation de brûlure dans la nuque. Le genre de truc qui te fait comprendre qu’on te regarde.
Je jette un coup d'œil rapide par-dessus mon épaule, essayant de rester discret. Et là, je les vois. Trois… non, quatre silhouettes à quelques mètres derrière moi, avançant au même rythme, comme si elles ne voulaient pas attirer l’attention.
Mon autre moi se marre.
— Bah alors, Hank, tu t’es fait des nouveaux amis ? T’es déjà assez paumé comme ça, pourquoi t’ajouter des suiveurs ?
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