4h00-11h00, tous les jours.
4h00 : le réveil sonne.
Philippe Martin se tourna et se retourna dans son lit avant d’enfin se décider à mettre pied à terre. À côté de lui, sa femme, Jeanne, émit une plainte et resserra les draps autour de son corps. Philippe enfila son jean et ses chaussures en soupirant, puis se rendit à la cuisine où il piqua un morceau de brioche. Enfin, il termina de se préparer en se brossant les dents et en mettant son t-shirt vert où l’inscription « Coursy » commençait à disparaître. Puis il démarra sa voiture et roula jusqu’au travail, de nuit et sans autre compagnie que la radio qui tournait sans qu’il l’écoute.
5h00 : la badgeuse émet son bip habituel.
Après avoir pointé le début de sa journée, Philippe se rendit dans les locaux de Coursy où il attrapa son transpalette rouge sur lequel il avait prit soin de poser ses initiales. Une par une, il sortit ses palettes de brioches et de madeleines puis son travail commença. Douze. Il y en avait douze aujourd’hui. Douze fichues palettes pleines de cartons de nourriture qu’il fallait ranger dans les rayons. Philippe entreprit de dépoter : les quatre-quarts par ici, les pains au chocolat par là, les brioches au sucre en bas, les toasts en haut et les rêves dans le cul ! Il termina ses palettes aux environs de huit heures et attaqua son facing avant l’ouverture du magasin. Avancer les produits, faire croire à l’abondance, mentir, tromper et surtout, ne pas oublier de prendre les gens pour des cons.
8h30 : la pause dehors, en plein cagnard.
Philippe essayait de boire son café du matin tranquillement mais, bien sûr, il fallait qu’on vienne lui casser les couilles.
- Tu as fini tes palettes toi ? Il m’en reste quatre ! Je ne sais pas si j’arriverais à finir avant dix heures.
- Oui, j’ai fini, se contenta-t-il de répondre.
- T’en as de la chance !
De la chance ? Maintenant, il fallait ressortir tout le stock de la veille : six palettes. Sans oublier de jeter les cartons, évidemment.
9h00 : retour en rayons.
Le magasin avait ouvert ses portes et commençait la pire partie de la journée. Les clients qui déambulaient dans son rayon et qui se servaient, dérangeaient, demandaient, se plaignaient... faisaient chier.
- Au fond du magasin à droite, madame.
- Merci bien.
Les vieux, ils trouvaient jamais rien.
Philippe entamait sa deuxième palette en faisant attention de ne pas déranger les clients, surtout, quand l’un d’eux attrapa une brioche tressé aux pépites de chocolats en s’exclamant : « Pour le bateau ! »
Le bateau, la mer. Philippe en rêvait. Il rêvait d’un voilier et d’un tour du monde. Mais le Smic était bien insuffisant et sa femme n’avait pas l’air de vouloir travailler. Depuis qu’elle avait eu droit à ses congés maternité elle pensait que sa maison, c’était son boulot. Mais elle était belle et il ne lui en voulait pas. Avec son physique médiocre, ses yeux et ses cheveux bruns, grisonnants, en plus de ses lunettes, Philippe avait toujours eu peur qu’elle se tourne vers un autre. Non pas que tous les bruns devaient être médiocres mais Philippe, lui, l’était. Il n’y avait, et il n’y avait jamais rien eu dans son regard.
La petite musique incessante du magasin le ramena à lui. À genoux pour effectuer la mise en rayon de ses pains de mie, il écouta la publicité habituelle de Coursy : Aujourd’hui pour l’achat d’un kilo de moules, le paquet de deux cents grammes de fruits de mer vous est offert. Facilitez-vous la vie, avec Coursy !
Ou gâchez la, pensa-t-il amèrement.
11h00 : la fin du travail.
Enfin, il rentrait chez lui. Une demi-heure de route et les voitures en plus. Le matin, à quatre heures et quelques, y avait personne pour faire chier, il pouvait rouler à l’allure qu’il choisissait et prendre les virages et les lignes droites comme il le souhaitait. Là, avec deux vieux devant, il cherchait une brèche pour doubler et comme il n’en trouvait pas, il jurait, s’énervait et faisait n’importe quoi. Il freinait, accélérait, comme un frénétique ou un cinglé. Mais après six heures de travail de merde il voulait rentrer chez lui et il s’en foutait.
4h00 – 11h00, tous les jours : la même chose. Depuis quarante ans.
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