Chapitre II - BERTRAND
Bertrand et sa femme ont accompagné sa belle-mère qui prend le train pour Lyon.
Il les a laissées aller de l’avant, vers la tête du train. La mère et la fille ont des histoires à se raconter et il est étranger à celles-ci.
Il y a de l'indifférence en lui.
Il s'est contenté de leur tenir compagnie, et c'est un bien grand mot. Il a essayé de tenir son rôle de gendre.
Il attend le retour de son épouse au début du quai. Il aura droit à des reproches au retour de sa femme, mais peu lui importe. Il n’a pas d’amitié pour sa belle-mère.
Autoritaire, imbue de sa personne, Bertrand ne lui trouve guère de qualité, et il reproche à sa femme de toujours l’excuser et de se laisser manipuler.
Maintenant il guette le visage qui l'observe par la vitre du wagon près de lui. Il a senti le regard se poser sur lui. Regard qui s'échappe à chaque fois qu'il tourne la tête
Il attend que le regard revienne vers lui. Car il reviendra vers lui obligatoirement. Il est trop proche du wagon pour qu’il en soit autrement. Alors il saura.
Il saura si la lumière qu’il a devinée s’adressait à lui.
Il ne peut se douter que l’éclair était du à des pensées o combien érotiques, dont il n'est pas le déclencheur.
Les regards se rencontrent à nouveau.
Cette fois, nulle fuite.
Bertrand est hypnotisé par ces yeux noirs, ronds comme des billes.
Comment peut-il y avoir autant d’éclat dans des yeux si sombres ?
Les cheveux, mi courts, sont aussi sombres que les prunelles.
Le sourire a disparu, mais le regard a gagné en intensité.
Bertrand ne fait plus attention à ce qui se passe autour de lui. Il est dans un autre espace. Celui des rêveurs.
Il contemple.
Combien de visages souriants, attirants, a-t-il croisé, au cours de sa vie. Des visages qui ont disparu aussi rapidement qu’ils sont apparus, mais qui ont mis de la joie dans le cœur, pour une minute, une heure, une journée.
Une robe qui s’envole, une glace qui fond… toujours un événement banal mais, on ne sait pourquoi, qui déclenche une connivence entre deux inconnus.
C'est le cas aujourd'hui, avec cette femme. Pendant un bref instant ils sont complices !
« Le TGV numéro 7 652 en partance pour Lyon, départ prévu à 15h34 va partir dans quelques minutes »
Souvent il s’est demandé ce qui se cachait derrière ces visages. Est-ce que des rencontres qui auraient pu être déterminantes ont été emportées par la foule, par la vie ?
Il a envie de caresser ce visage là. Le charme agit. Le cœur s’emballe.
Le train va partir.
Ce serait déraisonnable de monter. Pour ou ?
Pour qui ?
Tant qu'il ne la connait pas, il ne peut savoir.
Pourquoi ne pas se contenter de cette image. La déception pourrait être grande de creuser davantage.
A-t-il des raisons de ne pas monter dans ce train ?
Raison, déraison.
Des sentiments contradictoires le traversent.
« Il desservira les gares de Sens, Auxerre, Macon et Lyon »
Cécile a aussi entendu le message délivré par le haut-parleur.
L’homme est beau avec ses cheveux qui blanchissent. Grand et longiligne.
Il doit bien avoir la cinquantaine, pense-t-elle. Plus, peut-être ? Ou moins ?
Il est habillé de façon décontractée et sans recherche. Jean et T-shirt bleu marine. D’une main il tient une veste en toile sur une épaule.
De la sensualité s’en dégage.
Et le désir qu’elle lit dans ce regard la pénètre. Oui, brièvement, dans son songe érotique, c’est le sexe de cet inconnu qui la prend.
Elle aussi se dit que c’est encore une de ces rencontres fugaces qui embellissent une journée.
Romain ne peut l’apercevoir, absorbé dans la lecture d'une revue.
Le train va partir.
Alors Cécile ose.
Doucement elle lève la main pour un petit signe d’adieu discret qu’elle accompagne d’un mouvement des lèvres.
Message muet.
Un geste sans conséquence.
« Le TGV n° 7 652 pour Lyon va partir. Attention à la fermeture des portes »
Annotations
Versions