Au revoir la France

10 minutes de lecture

Vendredi 12 avril 2024

Mon imposante valise de voyage bleue, achetée pour l’occasion, est posée devant l’escalier de la porte d’entrée. Tout le nécessaire pour ma future vie au Tchad est contenu dedans, bien organisé - du moins aussi bien que j’ai pu. À côté, un sac de sport et mon sac à dos fétiche Vans sont eux aussi bien remplis, prêts à m’accompagner jusque dans l’avion.

Je suis serein : après de nombreuses vérifications il ne me manque rien, tous mes effets personnels sont bien empaquetés, et ma valise fait pile-poil le poids maximum autorisé. Les formalités administratives sont faites, les abonnements divers annulés, les aurevoirs transmis, et les cheveux rasés. Il n’y a plus qu’à y aller.

En réalité, mon départ aurait dû se faire le vendredi précédent, mais en raison de nombreux évènements dont je vous passe le détail, mon passeport ne m'est pas parvenu à temps. Je m’en suis donc sorti, malgré un excédent de deux cents euros à payer de ma poche pour le changement de billet d’avion. Mais je relativise ; cette semaine « bonus » était la bienvenue pour fignoler mon départ.

Je contemple les alentours ; le soleil éclaire les champs de maïs qui bordent la maison familiale, et la bise est légère, dispersant les quelques nuages gris qui parsèment le ciel breton. Il fait même plutôt doux, ce qui n’arrive pas souvent en cette période. J'en enlève même le seul sweat que j’emmènerai en Afrique, que j’enfourne en boule dans mon sac de sport.

C’est une belle journée pour un nouveau départ.

La Clio 4 fait crisser les graviers de la cour de la maison, annonçant l’arrivée de papa, qui a tenu à m’emmener à la gare. Sa chemise à manches courtes témoigne une fois de plus de la journée exceptionnellement douce.

Quelques minutes plus tôt, je disais aurevoir une dernière fois à maman, un peu déstabilisé par l’idée de ne plus la voir pendant une année (si ce n’est plus).

Papa est donc la dernière personne familière que je vais voir avant de quitter la France.

Une fois les bagages posés dans le coffre, nous nous rendons à la gare de Rennes. Nous avions convenu de prendre le déjeuner dans un restaurant à proximité, par conséquent nous jettons notre dévolu sur une pizzeria faisant face à la gare.

Peu déçu de nos commandes et de notre bonne bière partagée entre hommes, les discussions vont bon train sur mon ressenti au jour J ou bien sur le programme de papa dans les mois à venir (enseignement, travaux dans la maison, etc.…). C’est un agréable moment.

Une bonne demi-heure après nos aurevoirs, mon train démarre pour Paris. Une fois arrivé à la gare Montparnasse, je commande un taxi pour me rendre à l’hôtel que j’avais réservé pour la nuit, proche de l’aéroport, à environ trois quarts d’heure d’ici en voiture.

Jusqu’ici tout s’est passé sans encombre, mes bagages me suivent toujours et mon hôtel se révèle être abordable et confortable. Je profite du très bon repas inclus dans le séjour (un énorme burger de bœuf et des frites) puis je file aussitôt dans ma chambre pour me coucher.

Samedi 13 avril

Mon réveil sonne, il est 5H30 et la nuit est encore noire. J’ai passé une nuit si réparatrice que je me suis levé sans problème, prêt à affronter l’aéroport Charles de Gaulle.

Une fois dans l’aéroport, je ne peux m’empêcher de trouver le lieu intimidant de par son étendue. Heureusement, je prends rapidement de l’assurance grâce aux indications données par les nombreux panneaux se dressant sur mon passage, au fur-et-à-mesure que j’arpente les dédales de halls et de couloirs.

Après quelques heures d’attentes (qui m’ont, entre-autres, permis d’échanger mes euros contre des francs CFA) ainsi que de contrôles et de déplacements dans les immenses couloirs de Charles de Gaulle, j’entre dans le premier avion de ce voyage, qui décollera une heure plus tard. Je suis toujours aussi serein, mon voyage se déroule bien.

Mon escale en Turquie fut toute aussi tranquille ; après deux heures à flâner dans les boutiques de l’aéroport d’Istanbul, me voilà dans le deuxième avion en partance pour N’Djaména. Je commence à avoir un aperçu de ma destination, en étant le seul blanc de tous les passagers. Je jette des coups d’œil curieux aux djellabahs et aux costumes africains, me demandant si ce sont des habits que je verrai souvent au Tchad.

Toujours calme, je ressens néanmoins de la nervosité quant au premier contact avec Solange à l’arrivée. Il sera vingt trois heures et la fatigue du voyage se fera sentir ; aurai-je assez d’énergie pour manifester ma joie de la rencontrer, pour faire honneur à sa famille qui m’accueillera sûrement avec joie ? Solange sera-t-elle aussi sympathique que sur WhatsApp ?

*

En effet, cela fait plusieurs mois que je suis en contact avec cette tchadienne, mère de famille mariée, qui sera non seulement mon hôte pendant toute mon année à N’Djamena mais aussi ma partenaire de travail.

Il y a près d’un an, Solange fut contactée par la Délégation Catholique pour la Coopération. C’est une ONG française qui envoie chaque année des centaines de volontaires à d’autres ONG dans le monde, dans un but d’aide au développement et de partage de compétences. La DCC, donc, a proposé un partenariat à Mme Solange ROBA MAGNAMA, qui fut tout de suite intéressée ; il lui fallait un soutien dans la gestion de ses projets, pour l’œuvre non-lucrative qu’elle dirigeait. C’est alors que ces deux parties se sont liées en tant que partenaires.

En parallèle, à ce moment-là, je donnais ma démission au directeur de mon entreprise, après ma première année de travail depuis ma sortie d’études. La décision avait été difficile mais réfléchie. Cela faisait un moment que je me questionnais sur le sens de mes choix de vie. Je ne les regrettais pas forcément, mais ils ne me semblaient pas non plus être les bons.

Je m’étais renseigné sur le volontariat, sous toutes ses formes et auprès de plusieurs organismes. La DCC, en particulier, m’avait attiré de par ses valeurs et son sérieux. J’avais donc engagé mon inscription dans leur liste de candidat pour parcourir le chemin de la réflexion et du choix de partir en volontariat ; au fur-et-à-mesure que les rendez-vous et les formations avec l’ONG s’enchainaient, je confirmais mon envie d’accomplir une mission loin de la vie que je connaissais. Il fallait que j’expérimente le choc culturel et le sens du service, sur une période d’au moins un an ; je n’étais pas bien certain de la raison ou de la finalité de cet engagement, mais ça sonnait juste en moi. Alors j’ai décidé de quitter mon travail et de m’engager auprès d’eux, pour qu’ils m’envoient en mission là où un besoin se ferait connaitre.

C’est un soir de décembre que j’ai reçu ma mission : un poste de gestionnaire de projet, pour une œuvre à but non-lucratif, PROMOSOL, située à N’Djamena au Tchad.

Je ne connaissais rien du Tchad ; j’avais vaguement l’image d’un pays désertique, avec des villes formées par des maisons en tôles, et peuplées d’arabes en tenues traditionnelles et se baladant en chameau. Ça peut prêter à sourire mais la seule fois où j’en ai entendu parler, c’était lorsqu’un ami militaire des parents y était parti en mission lors de tensions politiques. Et il faisait partie des intentions de prière de la famille, donc ça peut vous donner une idée de la vision que j’avais du pays.

J’ai rapidement consulté différents sites internet pour me renseigner un peu plus sur le Tchad. Ces recherches ont partiellement changé les préjugés que j’avais émis, mais l’image que m’évoquait le pays était toujours aussi floue, et elle le restera jusqu’à ce que j’atteigne le pays.

Se sont ensuivies les nombreuses démarches pour officialiser mon partenariat avec Solange, les jours de formation intensive donnée par la DCC à Orsay, et enfin les préparatifs au départ, avec une certitude grandissante d’avoir fait le bon choix au fil du temps.

Et maintenant, me voilà, en train d’atterrir à N’Djaména, capitale du Tchad.

*

Il est 22H40, les hublots de l’avion laissent entrevoir une nuit noire et les lumières de la ville. Je rassemble mes affaires, prends un chewing-gum et attends patiemment l’arrêt total de l’avion sur la piste.
Les portes s’ouvrent, et les membres de la Turkish Airlines se mettent à nous indiquer la sortie. Une fois à l’extérieur, je sens subitement l'air chaud frapper mon visage ; on ne m’avait pas menti, la saison actuelle est caniculaire au Tchad.
L’aéroport de N’Djaména me surprend : il n’y a que quelques pistes de décollage, et l’intérieur du bâtiment se résume à une pièce pour les contrôles, puis une grande salle comprenant le tapis de réception des bagages. Des étiquettes de bagages jonchent le sol, et les néons crépitent au-dessus de ma tête pendant que les contrôles sont en cours.

Mon carnet de vaccination international étant dans ma valise de voyage, je ne peux le présenter au contrôleur. Il me prend à part pour vérifier mes papiers. Je m’en veux pour cet oubli, mais après de longues minutes d’interrogations et d’hésitations, il finit par me donner une bonne tape sur l’épaule en disant « Je te taquine mon frère, passe un bon séjour au Tchad ». Je file récupérer ma grande valise sur le tapis roulant puis rejoins les tables de contrôle de bagage.

Il est 23H30 lorsque je sors de l’aéroport. Je balaye du regard le petit parking qui me fait face, et, ne voyant pas Solange, j’en profite pour m’allumer une cigarette.

Puis je m’avance un peu plus vers les voitures, lorsque j’entends mon prénom. Je reconnais alors Solange, accompagnée d’une femme et d’un homme.

Ma future partenaire est une femme à la quarantaine d’année, bien en chaire et coquettement habillée d’une robe à motifs extravagants et colorés, et d’une perruque tressée. La femme qui l’accompagne est toute aussi bien apprêtée, tandis que l’homme affiche un look plus sobre, avec des mocassins, un pantalon et une chemise bleue qui semble trop serrée pour sa grande carrure. Néanmoins il arbore un grand sourire qui me met tout de suite en confiance

Après une accolade familière avec mon petit comité d’accueil, Solange s’enquiert du bon déroulement de mon voyage et de ma fatigue. Puis elle me présente sa petite sœur, Brigitte, et son beau-frère dénommé Pierre.

Pierre range mes bagages dans le coffre de la vieille Toyota Corolla de Solange, puis nous partons tous les quatre en direction de ma future maison.

Sur la route, je m’aperçois que la plupart des lampadaires sont éteins, même sur les grands axes, et que de nombreux nids de poule parsèment le goudron. Conduire de nuit ici me semble périlleux. Nous discutons avec Solange, elle me dit que les enfants sont déjà en train de dormir étant donné l’heure ; je les rencontrerai seulement au réveil.

Nous nous engageons dans des petites ruelles en terre battue qui mènent à la maison, laissant derrière nous les axes bitumés. La route devient alors franchement mauvaise, semblable à un terrain de motocross. Puis nous nous arrêtons dans une impasse, devant un grand portail en fer gris et noir ; Solange klaxonne, et les portes s’ouvrent quelques secondes plus tard, lui permettant de garer la voiture dans la cour intérieure, sous un hangar.

Les deux hommes qui ont ouvert le portail me saluent timidement : il s’agit de Jean-Marc et François que j’apprendrai à connaitre plus tard. Ils empoignent mes lourds bagages pour les poser dans ma chambre tandis que Solange m’emmène dans le salon, où je découvre deux petits enfants qui dorment à poings fermés sous une moustiquaire, malgré la lumière crue des ampoules LED qui éclairent la pièce et le bruit que nous faisons en rentrant.

Nous discutons pendant une bonne demi-heure autour d’un frais et onctueux jus de goyave (fait maison), puis Brigitte et Pierre prennent congé.

Avant de demander à Solange de me présenter ma chambre pour une nuit bien méritée, je lui demande de me faire un partage de connexion. Elle comprend directement que c’est pour rassurer ma famille, c’est pourquoi elle accepte immédiatement.

Nous montons ensuite à l’étage pour que je m’installe dans ma chambre. La pièce est petite, mais bien agencée. Elle est meublée par un lit double surmonté d’une moustiquaire baldaquin, une table de chevet à tiroirs se tenant à côté, une armoire assez grande pour y ranger toutes mes affaires et un bureau d’écolier en bois vernis (avec sa chaise évidemment). Un petit muret carrelé cache une cabine de douche et un lavabo qui font office de coin toilette. J’ai également le privilège d’avoir une autre salle de bain privatisée dans la pièce d’à côté, avec toilettes, lavabo, et une douche dont le débit est bien meilleur que celle de ma chambre.

Après nous être souhaité bonne nuit, je prends une rapide douche puis me couche sans plus attendre. Il est presque 1H du matin, je sens que le sommeil ne tardera pas malgré la chaleur (il est évident que je dors sans draps).

Je repense à la journée chargée en émotion que je viens de vivre ; l’accueil de Solange m’a rassuré et mon nouvel habitat me convient très bien. Je m’attendais à plus rustique, donc quelle joie de voir que j’ai une chambre cosi et une salle de bain privée.

Je ferme les paupières, apaisé ; désormais la première étape, celle du départ, est close. La mission peut commencer.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire François Fédry ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0