Première semaine, premières surprises
Lundi 15 avril
Mon premier jour de travail débute maintenant, à 8h47 montre en main. À vrai dire j’aurai dû commencer à 7h30, comme indiqué sur mon contrat, mais Solange devait toiletter les petits avant que nous nous rendions à Promosol.
Je comprends tout de suite que mes journées ne commenceront pas à 7h30 tant que je n’aurai pas mon propre moyen de locomotion. En réalité je m’étais préparé à ce genre de déconvenue avec les horaires ; ce n’est un secret pour personne, les africains ne cours pas après le temps.
La journée se passe tranquillement, je découvre les locaux que je fréquenterai durant mes nombreuses heures de mission : une cour centrale en terre battue, bordée par des salles de classes, notre bureau, des locaux de stockage et une cuisine.
Promosol vend du matériel de cuisine solaire, des aliments transformés grâce au soleil et différentes formations autour de ce thème.
Je fais connaissance avec les acteurs du centre : les préparatrices, la trésorière et le gardien (c’est un métier très courant ici de gardienner les entreprises ou les maisons).
À midi, les petits de Solange (Ariel et Graciella) déboulent bruyamment dans le bureau, suivis quelques secondes plus tard par Emmanuel, bien plus calme ; ils viennent de terminer l’école, qui se déroulent dans le bâtiment voisin à Promosol, et rejoignent comme à leur habitude leur mère pour se faire ramener à la maison.
Je découvre alors des enfants bien plus animés que lorsque je les ai rencontrés ; Ariel court dans tous les sens, tandis que Graciella se goinfre de cacahuètes et de thé au gingembre que nous partagions avant leur arrivée.
Il fallut quelques dizaines de minutes avant que Solange ne craque et nous fasse tous rentrer dans la voiture pour rejoindre le domicile.
Ainsi seront mes horaires de travail pour les mois à venir (jusqu’aux vacances scolaires, donc) : 8H30 – 12H30
Même si, en réalité, je passerai mes premiers après-midi à travailler à la maison, sur le projet qui m’a été confié.
Ce projet sera la toute première tâche de ma mission : Solange souhaite former vingt femmes en situation précaire à la cuisine solaire et la vente. C’est ce qu’on appelle une formation aux AGR, Activités Génératrices de Revenus.
Elle souhaite profiter d’un appel à projet lancé par l’Ambassade de France, pour obtenir les financements nécessaires.
Premier challenge : la date de clôture des dossiers est le vendredi 19 avril, soit quatre jours après mon arrivée à Promosol.
Je dois donc monter un projet en quatre jours.
Dans l’après-midi, Solange accepte de m’emmener à une borne de retrait d’argent, afin que j’aie le nécessaire pour vivre ce premier mois sans salaire. En effet, il faudra que je paie ma prolongation de visa et quelques vêtements supplémentaires (à manches courtes, car en fin de compte les vêtements longs sont insupportables par cette chaleur).
Mardi 16 avril : Encouragement
Je profite de quelques minutes de pause dans ma rédaction de projet pour m’occuper de mon visa.
Pour cela, Solange a déjà un plan pour moi : Promosol fait partie des Assemblées Chrétiennes au Tchad (ACT), une entité protestante très présente et influente au Tchad, et dont le siège est situé dans l’enceinte du centre.
Ces ACT auraient les capacités et les contacts pour que mes démarches administratives se fassent rapidement.
Elle m’amène alors devant un membre du siège pour effectuer ma demande de visa ; il ira ensuite faire la démarche à ma place, facilitant le processus grâce à son influence. Après avoir échangés toutes les informations nécessaires, nous nous mettons à parler argent : il faut payer 40 000 FCFA pour le visa, 10 000 FCFA pour une signature du commissariat de N’Djaména, et 30 000 FCFA pour les ACT, soit environ 122 euros.
Perplexe, je demande d’abord quelle est cette signature. L’homme m’explique qu’il s’agit d’un griffonnage par-dessus le visa qui est obligatoire si je ne veux pas avoir de problème avec les autorités.
Dubitatif, je demande ensuite ce que sont que ces 30 000 FCFA pour les ACT : l’homme renchérit que c’est un geste fraternel qui serait le bienvenu pour le fonctionnement du siège, étant donné que maintenant je fais partie des ACT.
Sans rien dire, je jette un regard inquisiteur à Solange, assise à côté de moi. Après un silence confus, elle finit par approuver toutes les explications du membre des ACT.
Incompréhensif et méfiant, j’explique alors calmement que l’argent que je possède vient de mes économies françaises, que la DCC m’avait seulement parlé d’un visa à payer et que je n’étais pas prêt à fournir des dépenses supplémentaires.
Une gêne palpable s’installa alors dans la pièce. Conscient de la situation, je finis par dire au membre des ACT que je donnerai l’argent plus tard, avant de prendre congé, suivi de Solange.
Une fois dehors, je m’empresse de lui exprimer mon agacement :
« Ça ne fais même pas trois jours que je suis là et je dois déjà donner de l’argent à des types que je ne connais pas, une organisation que je ne fréquente même pas ».
Je m’efforce d’arborer un sourire bienveillant, mais au fond de moi, j’ai le sentiment très désagréable qu’on veut me dépouiller, moi le blanc qui débarque au Tchad. Je me suis préparé à ce que ces déconvenues viennent des commerçants, mais il semblerait que ce ne soit pas les seuls.
Elle me dit alors, en me rendant mon sourire, que c’est chose courante dans le pays : on appelle ça un encouragement.
Un encouragement, c’est une somme d’argent qu’il faut verser lorsqu’on demande un service à quelqu’un, un genre de pot-de-vin. Quel que soit le service demandé, quelle que soit la personne. Sinon, le travail risque d’être bâclé, ou en retard, ou tout simplement inachevé.
Elle surenchérit en me conseillant très fortement de verser ces 30 000 FCFA, sans quoi je risque d’instaurer dès le départ une très mauvaise relation avec les ACT, qui sont vraiment indispensables pour le centre.
Je lui soumets l’idée de faire les démarches de mon propre chef, quitte à ce qu’elles soient plus longues. Elle me dit que, de toutes façons, ces 30 000 FCFA sont indépendants de ma demande de visa.
Une heure plus tard, je prends la décision de verser « l’encouragement » (en plus de l’argent pour le visa et la signature) malgré le fait que je prenne ça pour du chantage voire de la corruption.
Trois mois plus tard, à l’heure où j’écrirai ces lignes, je m’en voudrai toujours pour cette décision que je prendrai pour de la faiblesse.
D’autant plus que j’apprendrai que la démarche « visa et signature » m’aurait coûté 30 000 FCFA si j’étais passé par France Volontaire.
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