Le Solstice d’Hiver

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Jean s'était déclaré satisfait de ma première chasse, encore qu'il n'eut pas trop aimé que j'eusse attendu si longtemps avant de mordre ma proie. Lorsque je lui demandais pourquoi, il balbutia un prétexte vaseux... En attendant, il se montrait avec moi comme avant, un peu moins protecteur peut-être, puisque j’étais désormais « sevrée ».

Le temps avait passé, l’été avait fait place à l’automne, l’automne cédait le pas à l’hiver… J’avais fini par m’habituer plus ou moins à ma nouvelle vie. Je dormais toujours, le jour, dans la chambre où je m’étais éveillée après ma transformation et dont les fenêtres étaient soigneusement calfeutrées pour empêcher le moindre rayon de soleil de m’atteindre. Jean avait sa propre chambre, dans laquelle je n’avais jamais osé me rendre – il ne m’y avait pas invité non plus. Je ne lui avais pas vraiment pardonné ce qu’il m’avait fait, mais je n’éprouvais clairement plus autant d’animosité : il s’était, depuis comporté irréprochablement à mon égard. Et puis, bon… Il faut dire qu’en fait il me plaisait bien.

Les vampires étaient un peuple dont la société s’était progressivement modifiée, à cause des humains et de leur société de plus en plus contrôlée. Il devenait de plus en plus difficile de vivre une vie de vampire, car les gens faisaient moins d’enfants, faisaient donc de plus en attention à leurs proches, la police et la technologie étaient partout et de plus en plus performantes. Apparemment, certains vieux vampires n’osaient même plus sortir de chez eux par peur de toutes ces lumières nocturnes et tous ces bruits non naturels et devaient élever des rats ou des lapins pour se nourrir de leur sang…

C’est pourquoi les vampires se réunissaient rarement. L’une des rares fêtes qui leur subsistait avait lieu la nuit du Solstice d’Hiver, car c’était la nuit la plus longue de l’année. Cette nuit-là, c’était la fête : des stands proposant des boissons, de l’artisanat, des musiciens, de la danse… Un bon vieux bal.

J'étais en train d'essayer toutes les plus jolies robes de mon armoire lorsque Jean entra, tenant à la main la tenue parfaite… Il sourit largement lorsque enthousiaste je la lui arrachais des mains pour la plaquer contre mon corps, face au miroir – car, oui nous autres vampires pouvons nous refléter dans un miroir. Nous sommes des êtres vivants, après tout !

Sans réfléchir, je commençais à me déshabiller… avant de me souvenir, entendant un hoquet de surprise, que je n’étais pas seule dans la pièce ! Je tournais la tête juste à temps pour Jean, les joues rouges, détourner le regard. Je ressentis un soupçon de désappointement, avant de croiser son regard dans un petit miroir posé sur le bureau… Il rougit de plus belle et fixa le plafond.
Je ris sous cape moi et poursuivis mon changement de tenue. Je le prévins quand j’eus terminé et il se retourna vers moi. Il ouvrit grand les yeux et un sourire admiratif s’épanouit sur ses lèvres : manifestement je lui plaisais… enfin, ma tenue lui plaisait.

Ce fut terriblement excitée que je le suivis à cette gigantesque fiesta, qui avait lieu tous les dix ans, réunissant tous les vampires de la région. J'aperçus d'abord de la lumière, produite par une multitude de spots digne d'une discothèque, puis une large clairière, entourées de stands. Deux estrades surélevées, à chaque extrémité, étaient occupée par des musiciens, l’une d’instruments classiques tels que violons, pianos, et l’autre plus moderne avec ses guitares, batterie et synthés. Certaines zones plus calmes, avec de petites tables parfaites pour jouer à la belote ou consommer ses boissons, étaient éclairées par des lampes tempêtes à l’ancienne.

La clairière se situait sur un domaine privé et éloigné de tout voisinage fâcheux, possédé par un vieux et riche vampire, et la fête avait reçu toutes les autorisations nécessaires afin de ne pas être interrompue par la police.

Il était à peine onze heures du soir que presque tous étaient arrivés. J'aidais, avec quelques autres, Jean à déposer ses innombrables bouteilles et tonnelets, qui contenaient quelques savants mélanges ; car Jean était un spécialiste des boissons, pour vampires, bien sûr ! Il était connu depuis près d’une demi-siècle. D’ailleurs j'ignorais encore son âge réel, il n’avait jamais voulu me le dire... Puis je me mêlais à un groupe de vampiresses qui m'accueillirent avec beaucoup de gentillesse, et nous nous mîmes à parler… comme des femmes !

Enfin les différents musiciens finirent de s’accorder et des gens commencèrent à danser. Deux heures plus tard, Jean trouva un remplaçant pour son stand et m'invita enfin à danser. Je le soupçonnais d'avoir été un peu jaloux de tous ces charmants vampires avec lesquels j'avais tournoyé sur la piste ! Il m'enlaça plus tendrement que jamais, plongeant ses yeux dans les miens, et je me laissais noyer dans ce regard qui m'attirait depuis longtemps.

Nous dansâmes le temps de plusieurs musiques avant que Jean ne doivent retourner à son stand. J’en profitais pour me reposer un instant, observant de nouveaux couples de danseurs tournoyer sur la piste, lorsqu’un vampire de haute taille et de forte carrure s'approcha de moi, escomptant bien m'inviter à danser. Je refusais d'un hochement de tête : j’avais vraiment besoin d’une pause. Autour de moi, les conversations se turent soudain, mais je ne m'en rendis pas compte, absorbée que j’étais par la vision de Jean qui semblait flirter d'un peu trop près avec une jolie vampiresse qui ne me serait plus trop sympathique si elle continuait à le coller comme ça.

Je fus brusquement rappelée à la réalité par une voix rocailleuse :

— Tu me plais, ma jolie. J'aime beaucoup les petites jeunes dans ton genre, encore si innocentes dans leurs appétits de vampires. Danse avec moi, que je te serre dans mes bras. Une fois que tu auras senti mon corps musclé contre le tien, je gage que tu seras plus que ravie pour que je t’emmène faire un petit tour dans les buissons !

— Quoi ? m’exclamai-je, stupéfaite, en me retournant vers le grand costaud

— Allez viens, finit-il en me prenant par le bras et me tirant sur la piste.

Je tentais en vain de me dégager : il était bien trop fort pour moi.

— Mais je ne veux pas danser avec vous, je suis fatiguée ! Lâchez-moi ! Et c’est quoi cette histoire de buissons, non mais vous vous prenez pour qui ?

— Pour qui ? répéta-t-il d’une voix incrédule. Pour qui ?

Autour de nous, les danseurs s’écartèrent et se figèrent. Même les musiciens cessèrent de jouer, et le silence gagna progressivement les alentours immédiats. J'entendis les gens autour de moi retenir leur respiration. Apparemment, ce vampire était redouté. Je vis du coin de l'œil Jean cesser brusquement de papillonner et se diriger précipitamment vers nous.

— On dirait que ton créateur as oublié de te dire qui je suis. Je suis Troibé, 3B comme Big Bad Boss. Je suis le plus fort et personne ne me résiste.

Je restais ébahie. Sérieusement ? Non, mais sérieusement ? Ce fut plus fort que moi. Malgré la situation, je lui éclatais de rire au nez devant la nullité de son discours… Avant de m’arrêter net en voyant son visage se renfrogner. Sa poigne se resserra sur mon bras sous l’effet de la colère, le géant n’appréciait guère la moquerie. J'avalais ma salive convulsivement. Il me faisait mal, il me faisait peur. Je ne voulais pas me faire violer, et pas par un crétin ! Autour de moi, les gens n'allaient-ils pas réagir ? Les violences de ce genre étaient prohibées et sévèrement punies, tout le monde le savait, on n’allait pas le laisser faire, pas vrai ? « Jean ! » pensai-je, mais les mots restèrent dans ma gorge.

Soudain une main se posa sur celle du géant, et j’entendis la voix de Jean lui enjoindre de me relâcher.

— Jean ! grogna le monstre en le regardant d’un air rogue. Tiens donc, je reconnais bien là ton tempérament de protecteur ! Dis-moi, tu laisses bien consommer tes boissons, alors pourquoi pas me laisser consommer cette fille ?

— Elle est ma protégée ! dit Jean avec force, regardant Troibé droit dans les yeux, sans faiblir un seul instant.

— Si tu l'as amenée à cette Réunion et l’a laissée danser avec tous les hommes, c'est que tu l'as sevrée, elle n'est donc plus ta protégée. Laisse-la moi !

— Tu connais les lois, tu n'as pas à la forcer !

— Allons, sourit Troibé, elle se donne juste des airs ! Tu les connais, les femmes, elles sont toujours à aguicher les hommes, en faisant semblant de ne pas y toucher, alors qu’au fond elles adorent ça, et les vampiresses lus encore que les humaines !

Je frémis, révulsée, et les mots fusèrent de ma bouche sans y penser :

— Tu ne crois tout de même pas que je vais me laisser passer dessus par une brute comme toi ! Va te palucher tous seul dans les buissons, espèce de dégénéré imbu de lui-même !

Il me lâcha, surpris, et je me collais contre Jean qui m'entoura les épaules d'un bras protecteur. Brusquement, le groupe de vampiresses avec lequel je bavardais tout à l’heure nous entoura, babillant gaiement, et m’éloigna, tandis que l’allumeuse se rapprochait des deux vampires qui se faisaient face silencieusement.

Jean nous regarda à la dérobée, fit un sourire en coin puis retourna une fois de plus à son stand, et Troibé – non mais sérieux, Troibé, quel nom complètement crétin ! – resta seul à rager, sans oser rien faire. Il savait que toute la communauté des vampires nous soutiendrait, Jean et moi, s’il s’attaquait encore à moi devant les autres.

Mes protectrices me questionnèrent sur le relation qui existait entre Jean et moi. Je répondis du mieux que je pus, et elles conclurent triomphalement, disant que j'avais eu du cran face à Troibé, mais que puisque j'étais amoureuse de Jean et lui de moi (Tiens donc ?), et si courageuse, elles avaient parfaitement eu raison de m'aider. En m'emmenant avec elles, elles avaient maîtrisé la situation, et évité un bain... de sang.

Je retournais auprès de Jean, et passais le reste de la nuit avec lui et quelques autres pour nous tenir compagnie, en réalité pour dissuader Troibé si besoin était. Celui-ci se rabattit sur l’allumeuse, qui était restée à sa portée (finalement je l’aimais bien et je lui souhaitais bonne chance à part moi) et elle se laissa faire complaisamment, sachant que cela calmerait et occuperait le monstre préhistorique.

Enfin, nous rentrâmes peu avant les premières lueurs de cette aube que je ne pourrais plus jamais admirer, passablement éméchés par l'excellent vin aromatisé de cannelle, de gingembre, de clous de girofle et.. de sang humain, dont Jean avait réservé la dernière bouteille pour nous.

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