La fuite

7 minutes de lecture

Jean vint me rejoindre dans ma chambre. Je venais de me coucher sur le lit, et il s'allongea près de moi, me regardant dans les yeux. Il se pencha et m'embrassa, longuement, tendrement, sa main droite se posant légèrement sur ma joue, jouant avec une mèche de cheveux, puis descendant, frôlant ma poitrine puis mes hanches, tandis que je me laissais faire avec volupté. Enfin !

Quelques minutes plus tard, il était sur moi, m'embrassant avec plus d'empressement, me caressant, encore et encore et encore... Quand il me mordit légèrement le cou, je gémis de plaisir. Je répondis avec ardeur, et quand il me pénétra, je vins à sa rencontre, malgré la douleur de ma virginité. Je me sentais plus femme que jamais, j'étais jeune pour toujours et nous nous aimions.

Je me blottis contre lui et il m'entoura de ses bras, après m'avoir embrassée une dernière fois. Nous dormions ainsi depuis je ne sais combien de temps, quand des voix juvéniles nous firent sursauter.

— Hey, t’es sûr qu’elle est abandonnée, cette bicoque ?

— Mais ouais, les volets sont toujours fermés et on voit jamais personne remuer le jour !

— Elle a l’air drôlement bien tenue, quand même, t’as vu ? Pas de poussière, pas de déchets, rien ! Même pas une toile d’araignée !

Ça c’est sûr, Jean refusait de vivre dans un taudis, et j’étais bien d’accord. À vrai dire, nous n’avions pas pas beaucoup de ménage à faire en dehors des poussières : pas de vaisselle à faire, pas de jouets à ranger !

La porte de notre chambre s'ouvrit soudain, et nous entendîmes des exclamations de surprise :

— Ouah, il fait noir comme dans un four, ici !

À les entendre, ce devait être des enfants d’une douzaine d’années, tout au plus. L’un d’eux se dirigea vers la fenêtre, tandis que Jean et moi nous déplacions silencieusement vers les murs. L’enfant brandit soudain le pied-de-biche qu’il tenait et défonça le volet afin de faire entrer le soleil. Je poussai un cri de surprise ; heureusement que nous nous tenions en dehors du rayon de soleil qui perça jusqu’au sol !

— Ouah, mince, m’sieur-dame, s’exclama l’un des enfants, désolés on vous avait pas vu dans le noir, mais qu’est-ce que vous faites là ? Vous êtes des amoureux fugueurs ?

Je le trouvais un peu jeune pour dire une chose pareille, mais dans le fond, il n’avait pas totalement tort…

— Vas-y, gars, poursuivit l’enfant, fracasse un peu plus le volet, on voit toujours que dalle ici !

Je sentis la catastrophe venir. Le rayon de soleil tombait sur l’enfant, nous ne pouvions le toucher sans nous faire brûler ; l’enfant prit un nouvel élan et tapa encore sur le volet… Qui tomba de travers, retenu par un seul gond, et laissa entrer le soleil à flot. Jean hurla de douleur et se précipita dans un coin sombre, me prévenant de rester où j’étais ; quand aux enfants, ils se tinrent coi devant notre réaction violente.

— Mince, mais pourquoi il brûle au soleil, le monsieur ?

— Euh… Parce que c’est un vampire ?

— Hein ? N’importe quoi, ça existe pas les vampires !

— Mate ses dents, là, elles sont pointues comme celles d’un chat, on dirait trop un vampire et tu vois bien que le soleil l’a brûlé !

Les enfants se reculèrent soudain avec effroi. Celui au pied-de-biche le brandit devant lui dans un geste de défense.

— Gars, revient ! lança l’un des enfants restés à la porte. Colle-toi au mur dans le soleil et grouille !

— Woah quand les autres vont le savoir, qu’il y a de vrais vampires ici… murmura un des autres.

Jean et moi échangeâmes un regard. « Oh ! Non ! » pensai-je.

— Nous n'avons pas le choix, Sarah. Ils doivent mourir ! murmura-t-il si doucement que je fus la seule à l’entendre.

— Non. Ce ne sont que des enfants !

— Nous ne pouvons pas les laisser dévoiler notre présence ici. Nous ne pouvons partir sous le soleil sans être couverts des pieds à la tête, ça paraîtrait trop étrange aux yeux des gens. Nous ne pouvons pas partir avant la nuit tombée et d’ici là ces enfants auront eu le temps d’alerter leurs parents ou la police !

Pendant cet échange, l’enfant au pied-de-biche rasa le mur d’en face, sa barre de fer interposée entre lui et nous. Il tremblait de peur et les autres n’en menaient pas larges non plus, nous observant, près à fuir. Je serrais les dents. J’avais pris l’habitude de tuer toutes les nuits, mais… Pas des enfants !

— Nous pourrions les ligoter jusqu’au soir, nous préparer tranquillement et les relâcher juste avant de partir ! soufflai-je.

— Sans cordes ?

— Nous n’avons qu’à déchirer le drap ! ajoutai-je, agacée.

Dos au mur, Jean observa l’enfant au pied-de-biche qui avait presque rejoint ses amis.

— D’accord, fit-il. Attrapons-les.

L’enfant rejoignit enfin ses amis et ils se mirent à courir. Mais ils ne connaissaient ni notre vitesse, ni notre force. Nous les capturâmes rapidement et les déposâmes, pieds et mains liés, bâillonnés aussi, dans une pièce inutilisée et sans fenêtre. Ce furent de longues heures passées à surveiller des enfants terrorisés. Je pensais à leur donner un peu d’eau à chacun, mais nous n’avions pas de nourriture humaine. J’entendais leur estomac gronder de faim. Les larmes sillonnaient leurs joues, et je pris sur moi pour ne pas les leur essuyer : ils se seraient urinés dessus de peur à voir un vampire trop près de leur cou.

Enfin vint le crépuscule. Entre-temps nous nous étions relayés pour surveiller les enfants et préparer notre départ : Jean avait préparé des vêtements couvrants et des lunettes de soleil, au cas où nous devrions nous déplacer durant la journée, des sacs avec les quelques affaires que nous ne voulions pas laisser sur place. Nos balluchons auraient parus trop lourds à des humains, mais humains nous ne l’étions plus.

Je m’étais occupée de nettoyer la maison afin d’effacer autant que possible toute trace de notre occupation. Je voulais qu’aucun test ADN ne puisse nous identifier ; surtout que cela risquait de relancer l’enquête sur ma disparition. Je ne voulais pas donner de faux espoirs à ma famille...

— Allons-y.

Nous transportâmes les enfants à l’extérieur, leur enlevâmes leurs liens et leurs bâillons et ils détalèrent sans demander leur reste, quoique titubant d’être restés si longtemps immobiles. Puis je suivis Jean, quelque soit l’endroit où il souhaitait nous mener.

Nous nous cachions le jour et faisions le plus de chemin possible la nuit, à pied, car Jean préférait éviter les transports en commun ou voler une voiture : trop de traces. Non, les vampires ne volent pas ni ne se transforment en chauve-souris ou en loup. Par contre, nous marchons vite… Très vite ! Enfin, après une dizaine de jours de voyage, nous arrivâmes à destination. C’était une maison ancienne, bien entretenue, manifestement habitée. Jean sonna à la porte et une dame d’un certain âge nous ouvrit la porte. Une humaine ? Je regardais Jean, dubitative. Il me sourit et me fit signe de suivre la dame, qui nous mena après un bref échange de paroles jusqu’à un petit salon éclairé par la lueur d’un bon feu ronflant dans la cheminée.

Un vieillard qui se reposait dans un fauteuil accueillit Jean avec bonhomie. Nous étions manifestement attendu : je compris qui Jean avait contacté, prenant le risque d’utiliser une de ces cabines téléphoniques publiques qui existaient encore en ce temps-là. Le vieil homme se présenta, et j'appris ainsi qu'il s'appelait Athanase, et qu'il était... comme nous, un vampire, sauf que contaminé à un âge un peu plus avancé (soixante, soixante-dix ans ?). J'avais moi-même dix-sept ans, et je pense que Jean devait avoir eu une vingtaine d'années, peut-être même plus jeune. Il était par ailleurs celui qui transformé Jean.

Athanase disposait d'une télévision, et me permit en riant joyeusement de l’utiliser lorsqu’il vit mes yeux brillant. Dans la maison de Jean ne se trouvaient que des livres. J’adorais lire, mais bon sang ! Que la télé m’avait manqué ! Grâce à cette télévision, je pus de nouveau admirer le jour, sans risquer d'en subir les effets mortels pour nous.

Athanase ne sortait pas souvent, à cause de ses vieux os, possédant la robustesse d’un vampire, mais dont les articulations restaient aussi douloureuses que cette du vieil homme qu’il était. J’appris que la femme qui le servait était une de ses descendantes, car il avait été marié et avait eu des enfants du temps où il était encore humain. Sa légende se transmettait dans la famille, génération après génération, et chacune des personnes qui le servait surveillait de près les autres membres afin de trouver celui ou celle qui serait le plus à même de le servir à son tour tout en conservant loyalement le secret. Si j’avais bien compris, il y avait même tout un réseau mis en place pour se procurer du sang humain de qualité sans tuer ni contaminer quiconque. Une histoire avec des hôpitaux, mais je n’en su pas plus.

Nous n’avions donc même pas besoin de chasser, et Jean et moi vécûmes des jours idylliques. J’écrivais des poèmes, j’écoutais de la musique – sur une platine vinyle ! - , regardais avidement la télévision avec Athanase, Jean préférant se plongeait dans les livres bien qu’il ait accepté de regarder quelques films avec moi. La technologie moderne n’était pas sa tasse de thé, tandis qu’Athanase, pourtant bien plus âgé à tout point de vue, s’en délectait !

Nous sortions parfois pour nous promener en amoureux (et parfois pour chasser, rarement et avec une très grande prudence). C’était une assez grande ville, de nombreux magasins, bars et autres lieux accessibles au public restaient ouverts tard le soir. J’avais presque l’impression d’être à nouveau humaine et je profitais pleinement de ces moments ! Jean y prit goût aussi et convint que la modernité a aussi du bon. Cependant, je n’étais pas pleinement tranquille.

Je n’avais pas oublié Troibé et son regard lourd de menaces… J’espérais qu’il ignorait où nous nous trouvions ; après tout, nous étions si loin de la maison de Jean ou du lieu de la Fête du Solstice d’Hiver... Lorsque je le dis à Jean, il rit plaisamment de mes craintes, mais je voyais bien dans son regard que ce n'était que pour me rassurer.

Annotations

Vous aimez lire Rahariel ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0