livre 3 - 8
Je me retrouve dans mon laboratoire. Tout fonctionne à merveille et les données arrivent. Trop tôt pour commencer l’analyse. Je passe en revue toutes les stations. Toutes répondent. Ah non ! Youpee ! Une manque à l’appel ! J’appelle Pierri. Voir son image sur mon écran me chavire.
— Salut, beau gosse !
— Usem ! Heureusement que j’ai mon casque ! Je suis avec deux collègues dans mon bureau ! murmure-t-il
Je rigole, car je les ai vus passer quand la connexion s’est établie. J’enchaine de ma voix la plus mélodieuse :
— Pierri, je rêve de ton corps, je veux sentir ta chaleur, je veux caresser ton intimité, je veux aller au fond de toi avec mon doigt, je veux…
— Bonjour Usem ! Effectivement, il semble que la station de Haguenau déconne ! Le mieux serait que nous y allions rapidement. Moi, je peux partir demain matin, et toi ?
Il doit voir mes yeux pleurer de rire !
— Je regarde ! Hmmm ! 7 h 08, gare de l’Est ! Le temps de récupérer le véhicule, ça nous fait vers 11 h sur place. Vu son emplacement, on prendra une voiture de location.
— Okay !
— Dis donc, celle du ballon d’Alsace a l’air d’avoir besoin d’une vérification !
— Ah, merde, ça nous fait une nuit sur place !
— Désolé de t’imposer ce déplacement ! Tu m’excuseras auprès de Clarisse.
— Bon, on fait comme ça ! Je cherche un hébergement. À demain matin ! Schuss
Rien que cette conversation déclenche des ondes de chaleur dans mon corps. Je n’ai plus qu’une hâte : la gare de l’Est au petit matin. C’est dire mon état de dérèglement mental !
Le soir, je dis à Doron la nécessité du déplacement, pour deux jours. Son sourire me fait comprendre qu’il n’est pas dupe. La nuit, je le câline, j’ai besoin de son réconfort.
La voiture était pleine et nos sièges éloignés. Juste une bise sur la bouche en montant dans le train, deux heures à se morfondre et à attendre. Même pas la possibilité d’aller savourer un café immonde, les yeux dans les yeux. Nous avons attendu d’être dans la voiture pour nous exprimer notre joie de se sentir à nouveau ensemble. Encore une fois, les mots furent inutiles, trop insuffisants. Sa main sur mon genou me brulait.
Dès les premiers pas dans la forêt, sûrs de ne pas être vus, nous nous sommes retrouvés. Longuement, entièrement nus sur la couverture jetée sur la mousse. Nos ébats terminés, la fraicheur nous incite à retourner vers notre travail.
Nous avons déniché notre logement, muni de deux cartons à pizza. La fermeture des hôtels est une plaie, mais nous retrouver dans un nid douillet sans nous occuper de rien faisait notre bonheur. On verra pour les notes de frais !
Pierri était fin : il devina très vite que j’avais quelque chose à lui dire. Il me harcelait doucement, finement. J’avais tellement peur d’un refus. Je lui racontais alors mon premier confinement, cette rencontre qui avait duré un bon mois, ce partage qui avait dépassé nos attentes. Je devais bien en parler, car il me dit son souhait de les connaitre. Je lui avais détaillé le caractère et les caractéristiques de chacun. Il m’écoutait, avec ses yeux me dévorant. Je finis par lui dire notre dernière rencontre, ce weekend, mon malaise, la découverte de mon récit.
— Quoi ? Tu as écrit ce qui se passe entre nous ?
— Oui, mais e n’est pas pour en faire un livre. Je n’arrive plus à vivre ce double amour ! Je tiens à toi, absolument, à Doron, infiniment, mais les deux à la fois me rendent fou. Surtout, j’ai tellement peur de vous faire du mal !
— Et ?
— J’ai un ami formidable, qui m’a déjà aidé. Je te raconterai. Je lui ai parlé de mon désarroi. Je n’arrivai pas à tout lui dire. Alors j’ai écrit ce qui s’est passé, depuis ma rencontre avec ces nouveaux amis, puis avec toi. Cela fait beaucoup ! Beaucoup trop pour un petit cœur comme le mien ! Je l’écris aussi bien sur mon ordi que sur celui de Doron. Il a dû le trouver sans le chercher ! Il l’a montré à nos amis. Ils l’ont trouvé touchant. Je dois dire du bien de toi, car ils ont très envie de te connaitre, avec Clarisse…
— Quand même…
— Tiens, prends mon pc. Va lire là-bas. Je n’aime pas quand quelqu’un me lit près de moi.
— Usem…
Je l’embrasse, ne voulant plus parler. Je suis perdu, au bord de la falaise. Je joue avec mon téléphone, n’arrivant même pas à me concentrer, l’esprit vidé. Je l’entends sourire et rire. De toute façon, je n’ai écrit que des mots d’amour !
— Ce n’est pas fini ! fait-il en me le rendant
— J’espère bien ! Tu vois, tu sais tout !
— Lire ce que tu as vécu avec moi m’a beaucoup touché ! C’est beau !
— Usem, je comprends. Tu sais, ce n’est pas facile pour moi aussi ! Je suis perdu vis-à-vis de Clarisse, tout comme toi. Doron est donc au courant !
— Je lui ai tout raconté dès notre première rencontre. Je suis incapable de lui mentir ou de lui cacher quelque chose !
— Usem, je suis content et heureux de ce qui m’arrive, de ce qui nous arrive. Clarisse a compris. Je ne sais pas si tu lui en as parlé quand vous êtes venus.
— Elle m’a tiré les vers du nez et, Pierri, je n’ai pas pu nier ! Je n’en avais pas honte, je n’en étais pas gêné envers elle. Je n’ai rien dit, mais je n’ai pas nié ! Je l’ai réconfortée après, je crois qu’elle ne m’en voulait pas !
— Mais qu’est-ce que tu écris ?
— Tu vois, je suis en train de mettre notre dialogue !
— Tu veux dire que tu vas publier ce qui est en train de se dérouler entre nous ?
— Ben oui !
— Mais non ! je ne veux pas ! Déjà que Doron lise, c’est limite. Tes amis, encore plus, mais des inconnus, c’est impossible…
— Pourquoi ?
— Mais on va me reconnaitre ! Mes camarades de promotion, mes collègues vont tout savoir ! Ce n’est pas possible !
— Rassure-toi ! Il n’y a pas beaucoup de lecteurs et les premiers commentaires sont bienveillants ! Tu as honte de ce que tu vis ? De ce qui se passe entre nous ?
— Non ! tant que cela reste entre nous !
Je referme le pc, n’arrivant plus à gérer cette mise en abyme. Je n’ai même pas pensé à vraiment changer les prénoms… Pourtant, je suis vigilant sur mes données personnelles, d’habitude !
Je lui propose d’arrêter de publier, de tout effacer. Je suis tellement confus de mon imbécilité ! Je me tais, car je le vois qui réfléchit. Il revient dans notre monde avec ce sourire éblouissant :
— Merde ! Après tout, c’est ma vie ! Vivre cela caché, c’est ne pas le vivre. Il faut que je sois fier de ce qui se passe ! Au moins, on ne pourra pas me reprocher de l’avoir caché ! Enfin, c’est toi qui ne le caches pas ! Allez ! En avant ! On verra bien !
***
Tu vois, nous sommes perdus dans cet amour ! Ne rien abimer, ne rien perdre, quel dilemme !
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