livre 3 - 9
Nous passons une nuit magique, comme toutes celles que nous avons partagées jusqu’à présent. Plus forte, car nous sommes dans le même monde, plus fragile, car nous partageons la même crainte du destin.
C’est lui qui attaque :
— Usem, ce n’est plus possible ! Il nous faut de la sécurité. Tu ne veux pas perdre Doron, je ne veux pas perdre Clarisse. Il faut que nous trouvions une solution à quatre !
— Si seulement ! Depuis le début de l’humanité, combien ont essayé de jouer à trois, ou à quatre ! Combien ont réussi ? Toute la littérature ne parle que de ça ! C’est impossible !
— Usem, tais-toi ! Nous ne sommes pas n’importe qui, ni Doron, ni Clarisse !
— Si tu le dis !
Il me flanque une taloche.
— Tu joues avec moi ou contre moi ?
— Pierri !
— Bon ! Alors j’ai eu une idée cette nuit. Tais-toi ! Écoute ! J’ai envie de faire l’amour avec toi et Doron ! Tu sais, j’ai toujours cru que tu étais le seul avec qui je pourrais faire ça. Cette nuit, je me suis imaginé avec Doron : cela m’a plu ! Pire, en nous imaginant à trois, cela devenait magnifique. Je ne sais pas avec un autre homme, je ne crois pas. Mais avec Doron, j’ai envie. Maintenant, je ne sais pas s’il acceptera de dormir avec l’amant de son mari !
— Tu as raison, mets bien les mots crus qu’il faut !
— Ah, tu souris ! J’ai raison !
— Peut-être qu’on pourrait lui demander son avis !
— Si tu veux ! Non, bien sûr que nous allons lui demander !
— Et Clarisse ?
— Ben, la même chose !
— Tu crois que cela va changer quelque chose ? Tu crois que ta petite bourge va se laisser sauter par un pédé ?
— Ne parles pas d’elle comme ça ! Tu ne la connais pas !
¾ Mes excuses ! Tu as raison, c’était juste une pique stupide ! Tu crois vraiment qu’elle peut faire ça ?
— Je ne sais pas ! Mais Doron et Clarisse auront partagé nos actes. Après… On verra !
— Il faut que j’en parle à Doron !
Voilà notre façon de traiter les problèmes : foncer dedans !
Ce à quoi je ne m’attendais pas fut le refus immédiat de Doron de jouer à trois avec Pierri ! Pourtant, ils s’étaient appréciés dans leurs échanges verbaux. Pourtant, Doron avait dit plusieurs fois son admiration (son attirance ?) pour Pierri. Pourtant, j’avais amené la proposition le plus doucement possible, puisant dans toutes mes ressources de négociateur et de conviction. Ce que je n’avais pas compris, c’était la jalousie de Doron. Il m’aimait plus que tout et avait accepté mes aventures avec Pierri, car, sans doute, il ne les voyait pas. Nous avions longtemps joué à ce jeu-là et il savait mon retour inévitable.
Il acceptait mon aventure, car il voulait me garder. Jouer à trois, c’était être à côté de Pierri, être en concurrence, risquer d’être délaissé. J’avais trop joué avec ses sentiments. J’avais abusé de sa confiance. Oui, j’étais incapable de résister à mon élan vers Pierri, mais devant ce refus, il fallait choisir. Gardez mes deux amours, cela n’était pas possible, pour lui. Je pense que Pierri entendait la même chanson de la part de Clarisse.
Cette aventure merveilleuse ne peut plus durer. Ce soir-là, je suis face à un choix : lequel aimé-je le mieux ? Lequel dois-je abandonner ? Quelle question abominable ! Je suis à côté de Doron et je me demande si je vais le quitter ! Je n’en peux plus. Vers qui me tourner ? Je n’ai pas d’amis. De bons copains, oui ! Des anciens partenaires, oui, ma liste de contacts en débordait, au cas d’un retour d’envie ! Mais d’amis à qui parler, à qui me confier, je n’en ai que deux, objets de mon déchirement. Bien sûr, il y a mon mentor, mon second père, Jim. Je ne suis pas sûr que sa demande d’écrire mon histoire n’est pas simplement une façon de botter en touche, ou d’attendre de voir comment cela allait évoluer. Je sais, en plus, qu’il est très préoccupé par deux autres personnes. Je ne veux pas le relancer. Je ne sais même pas s’il suit mon récit sur Scribay.
Machinalement, j’ai pris mon téléphone. Qui appeler ? Dans ce cas, il faut laisser le destin choisir : à chacun son job ! Doron regarde la télé, moi, sur notre lit avec mon téléphone, errant d’un jeu à l’autre, n’arrivant pas à me fixer. C’est Manon qui me secourt. Son appel, inattendu, car par erreur, me fait m’accrocher à cette belle bouée.
Une heure après, nous sommes dans la rue, à parler. Manon a vraiment été ma meilleure rencontre. Elle m’écoute avec attention et empathie. Elle me redit son émotion à lire mon histoire. J’ajoute la profondeur de mon coup de foudre, mon amour infini pour Doron, mon impasse complète, sans même aborder le plan foireux de Pierri. Nous parlons longtemps. Enfin, je parle longtemps ! Elle hésite, mais je vois qu'elle a une idée. Elle me demande si étendre la réflexion à Doron et Clarisse n’est pas une solution à tenter. Devant mon silence, elle va plus loin, me demande si les associer à notre relation n’est pas une piste. Elle me dit qu’il faut que nous nous rencontrions, qu’il faut que Pierri et Doron deviennent aussi amoureux, si c'était possible ! Que Clarisse m’aime autant que Pierri !
Je lui dévoile alors le plan de Pierri. Elle est aux anges ! Puis, je lui dis l’échec de sa mise en œuvre ! Le refus de Doron. Elle me rassure. Doron ne peut pas accepter, la marche est haute et il a peur. Elle me propose une variante du plan, d’une ingéniosité féminine !
— Je sais ce que tu éprouves pour lui et lui pour toi. Il va finir par dire oui. Tu dois le prendre comme une preuve d'amour infini, avec un respect total. Tu sais, Usem, j'ai une affection immense pour toi, mais aussi pour Doron. Je ne peux pas vous dissocier. Prends soin de lui, s'il te plait !
En la quittant, alors que nous nous embrassons, je lui renouvelle ma demande en mariage. Je ne la connais que depuis quelques mois, mais elle m’est devenue indispensable, ma presque sœur !
— Ne me tente pas, petit frère incestueux !
Puis, elle revient sur son plan :
— Tu sais, avec Clarisse, je crois que ce serait mieux si nous y allions tous les deux, toi et moi ! Cela lui fera moins peur et j'espère qu'elle m'appréciera !
Avant que j’aie pu lui répondre, elle ajoute simplement :
— Depuis que je t'entends parler de Pierri, je n'ai qu'une envie, celle de le connaitre et de coucher avec lui !
Puis elle me tourne le dos et s'en va. Je reste figé, alors que la pluie commence à tomber. Curieusement, alors qu’elle redouble, je ne suis pas mouillé, protégé par cet engagement qui venait d’être formulé.
***
Tu comprends, j’étais, nous étions perdus ! Je n’ai pas osé revenir vers toi…
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