Vendredi 27 juillet, 14 heures. Les participants allaient disputer leur dernière partie et bientôt chacun rentrerait chez soi. Lionel se sentait triste, une sensation de vide l’envahissait comme à chaque fin de tournoi. Il venait de vivre intensément ces six jours avec ses joies, ses victoires mais aussi ses défaites et ses coups de gueule. Seuls les joueurs pouvaient comprendre ce que représentaient six jours à vivre comme dans une bulle teintée d’émotions bleues, roses ou rouges. Six jours à ne penser que lettres compte triple ou mots compte double. C’était un truc de psychopathe. Et ce soir tout serait fini. Lui reprendrait le boulot lundi et Elodie seulement mardi. Cela leur laissait donc un week-end pour profiter l’un de l’autre. Il avait conscience de l’avoir quelque peu délaissée cette semaine. Elle n’avait toutefois pas eu l’air de s’ennuyer. Elle avait passé le plus clair de son temps à jouer les sirènes au bord de la piscine et s’était même offert un massage relaxant. Le mari d’Elise l’avait emmenée voir un château Cathare et ce soir, ils monteraient tous ensemble à la tour de guet de Madeloc pour voir la lune de sang. C’était quelque chose qu’il n’aurait voulu rater pour rien au monde, un phénomène exceptionnel qui ne se reproduirait que dans 90 ans.

Mais en attendant de la retrouver ce soir, il allait jouer la dernière partie de la saison : Une classique, 25 minutes par joueur. Il jouerait contre un certain Jean-Pierre Weber. Ce dernier étant non classé, la partie promettait d’être facile. En effet, elle fut sans surprise pour Lionel. Au septième coup son adversaire déclara forfait et abandonna la partie.

Lionel se rendit à la piscine puis au spa espérant y trouver Élodie. Comme elle n’y était pas, il se dirigea vers leur chambre. Personne là non plus. Tant pis ! il n’avait pas envie de courir tout l’hôtel à sa recherche, il l’attendrait tranquillement en regardant l’arrivée de la dix-neuvième étape du tour de France à Laruns. Tandis qu’il avait déjà décapsulé sa bière et s’installait confortablement devant le téléviseur, l'alarme du téléphone d’Élodie sonna. La mélodie stridente était bien choisie… Enfin, si l'on voulait réveiller un mort, sinon elle était tout bonnement insupportable ! Lionel se laissa guider par l'infâme sonnerie avec l'idée d'éteindre l'engin au plus vite. Il le découvrit, sagement posé dans le tiroir de la table de nuit, juste au dessus d'un petit carnet rouge. Le journal intime d’Élo. Cela le fit sourire. Elle avait gardé cette habitude d’adolescente de tout consigner à l’intérieur de petits carnets. C’était ce côté femme enfant, qui l’avait séduit chez elle …

Trois ans qu’ils étaient mariés, et pourtant il avait l’impression de la redécouvrir chaque jour tant elle savait être inattendue. Elle était capable de passer de la gamine espiègle un tantinet insolente à la femme fatale franchement irrésistible. Il aimait ses provocations, il aimait lire le désir des hommes se poser sur elle mais ce qu’il aimait par-dessus tout c’était de la voir prendre cet air d’innocente candeur. C’était devenu un jeu pour eux, un jeu qui entretenait leur amour et ravivait leur désir. Il ne résista pas à la tentation. Avant même qu’il n’eut pris conscience du caractère indiscret de cet acte, il avait saisi le carnet et en entamait la lecture.

A mesure qu’il en tournait les pages, son sourire se figea. Le carnet retomba lourdement tandis que Lionel restait là comme statufié. Tout cela lui semblait tellement irréel. Ce n’est que plus tard qu’il parviendrait enfin à sortir de sa léthargie et que, balançant sa canette à travers la pièce, il s’exclamerait : « La garce, elle me le payera ! »