Chapitre Quatrième : La Geôlière
La tête douloureuse et encore sonnée, Mya finit par reprendre connaissance. Le daitya mettant fin à ses jours était la dernière chose dont elle se souvenait. La suite était plongée dans l’obscurité, au même titre que la pièce dans laquelle elle se trouvait. Mais où était-elle donc ? Elle voulut palper son crâne et repositionner ses cheveux mais son mouvement se retrouva rapidement bloqué. Ses poignets étaient fermement enchainés à un mur. Il lui était nécessaire de s’en rapprocher pour obtenir l’amplitude de chaine nécessaire. Elle entreprit de ramper.
Un trait de lumière fendit les ténèbres. Derrière l’ancestrale la porte de sa cellule venait de s’ouvrir, révélant une forme encapuchonnée qui observait depuis l’encadrure.
— Tu as enfin repris tes esprits, ricana l’individu.
Mya se retourna pour faire face à son interlocuteur et répondit :
— Que me voulez-vous ? Pourquoi suis-je enchaînée ?
— Chaque chose en son temps. J’espère que tu nous pardonneras nos méthodes brusques. Surtout celles de Vren, dieu ait son âme. Nous n’avions pas d’autre choix.
— Comment ça ?
— Il nous fallait te sauver de cet autre daitya, souffla l’encapuchonné.
— Vous parlez de Mitra ? Je ne comprends pas…
— Oui c’est cela. Il s’est fait passer pour un envoyé de Kao mais il n’en est rien.
— Il m’aurait menti… Il semblait pourtant réellement se soucier de moi, et sincère. Cela signifie que vous êtes missionnés par Kao pour me guider jusqu’à lui ? s’enquit Mya.
— Pas exactement. Par ici les choses sont plus complexes.
L’inconnu siffla et deux daityas s’engouffrèrent dans la cellule. Ils détachèrent la chaine qui reliait les menottes au mur et soulevèrent la jeune ancestrale pour la positionner debout.
— Vren te l’a dit avant que tu ne le tues. La faiblesse n’est pas tolérée. Seule la force prévaut. D’autre part, rien n’est jamais gratuit. Il faut donner pour recevoir. Nous avons besoin de toi pour résoudre un problème. Si tu coopères, nous te conduirons jusqu’au Mereti.
— Et si je refuse, dit-elle encore déboussolée par ces révélations.
— Nous te tuerons. Ou alors nous ferons de toi une esclave. Tu as été capturée après tout, cela fait de toi une faible, ta vie ne t’appartient déjà plus.
— Vous ne me laissez pas vraiment le choix…
— Je savais que tu te montrerais raisonnable, Mya.
— Que dois-je faire ?
— Suis-moi.
La forme guida la jeune femme à travers un labyrinthe de couloirs, pauvrement éclairés par de maigres bougies. Le lieu semblait être à l’abandon. Çà et là, Mya pouvait apercevoir des pans de murs effondrés, des voies condamnées par un éboulement. Que pouvait bien cacher un tel endroit ?
— Où sommes-nous exactement ? demanda Mya.
— Un ancien temple. Les daityas ont connu une période civilisée voire pieuse, avant de sombrer dans ce cercle de violence éternelle.
— Vous parlez d’eux comme si vous n’étiez pas des leurs.
— En effet, dit-elle en retirant sa capuche, d’une certaine façon je suis différente, mais nous avons la même origine. Autrefois nous étions tous humains. Moi je le suis restée. Mais le sujet est bien complexe, inutile de s’y attarder pour le moment.
L’ancestrale pouvait enfin observer le visage de son interlocutrice. Malgré une voix ferme et assurée, c’était en réalité une vieille dame, dont les cheveux semblaient avoir autrefois été d’un roux flamboyant, aux yeux éteints. Mya lui donnait autour des quatre-vingts ans. Humaine qui plus est. Voilà qui était tout à fait inattendu. Elle avait beau ressasser ses leçons dans son esprit, rien ne permettait d’expliquer sa présence. Encore moins les daityas à ses ordres.
Les méandres à travers lesquelles sa geôlière l’avait menée débouchèrent sur une caverne. Elle était immense. Des ouvertures taillées dans la roche permettait à la lumière extérieure de pénétrer les lieux. La lune rougeoyante qui se dressait ce soir-là créait une atmosphère mystérieuse tandis que ses rayons venaient éclairer le bâtiment qui se dressait au centre. C’était sublime. De riches chapiteaux surmontaient des colonnes finement sculptées. L’ensemble soutenait une imposante architrave au-dessus de laquelle dansait une frise. Celle-ci semblait dépeindre la création du Marevu par Kao et l’installation des daityas. La construction de villes, des découvertes scientifiques. Néanmoins la partie finale était plus violente, une guerre s’y déroulait, et, nombreux y périrent à en croire la montagne de corps. Une rivière s’y formait puis se changeait en un lac. Une vaste mare de sang. Les survivants s’y réunissaient. Ils priaient ? Enfin, des formes en émergeaient, les morts étaient revenus à la vie ? Mais différents. Plus résistants, mais aussi plus violents.
La vieille ressentit les interrogations qui traversaient Mya.
— Tu ne comprends pas ce que la gravure représente ? Connais-tu seulement nos origines ?
— Pas vraiment. Mon savoir se limite à savoir que le daityas peuplent le Marevu. C’est vous qui m’avez appris plus tôt qu’ils étaient, à l’origine, eau des humains.
— Oui, des âmes humaines pour être exacte. Nous sommes ceux qui avons refusé d’aller au Paradis et qui par chance avons échappé aux Enfers. Ces derniers sont le domaine de Nakãra et seules les corrompus ou ceux qu’elle a fauché s’y retrouvent.
— Refuser le Paradis ? Je ne comprends pas.
— Oui, nous avions en nous un sentiment de culpabilité bien trop fort pour accepter d’atteindre la béatitude. Kao a alors bâti ce monde pour servir de purgatoire, pour nous permettre d’expier. Et c’est ce qui fut tenté à travers la construction de ces monuments religieux. Malheureusement haine et jalousie ont repris le dessus rapidement, conduisant à la guerre décrite sur cette œuvre. Beaucoup périrent. Mais on n’effectue pas sa pénitence en mourant. Alors ceux tombés se réincarnèrent dans ce que nous avons appelé les Eaux de l’Oubli. Ils eurent l’occasion de moduler l’apparence de leur prochain corps, tous choisirent de s’armer et se renforcer pour continuer le combat. Ils y laissèrent au passage une partie de leur mémoire. Jusqu’à en oublier leur raison d’être, leur volonté d’absolution et pourquoi ils s’entretuaient.
— Et vous ?
— Comme les autres je suis morte de nombreuse fois. Mais je n’ai jamais fait le choix de la guerre. Chaque décès m’a confortée dans ma volonté de préserver notre histoire et d’un jour briser ce cercle de haine qui broie tout sur son passage. Il semblerait que cette décision m’a permis de rester humaine et de conserver ma mémoire. Ne perdons plus de temps maintenant, la raison de notre venue est à l’intérieur du monument.
La mystérieuse dame pressa le pas. Arrivée au pied du bâtiment, elle ouvrit péniblement les portes et fit pénétrer Mya en son sein puis referma. Elles furent plongées dans l’obscurité. La vieille murmura quelques mots et la lumière envahit l’endroit. D’étranges flammes noires brûlaient vivement dans des braseros disposés de part et d'autre. Les feux projetaient les ombres de la forêt de colonnes sur l’allée menant jusqu’à ce qui semblait avoir été un autel auparavant. La dame fit signe à Mya d’avancer vers lui.
Elle pouvait désormais voir qu’au fond, par-delà l’autel, se dressait lamentablement les restes d’une fresque. Ses morceaux étaient éparpillés au sol, gisant comme autant de cadavres. Derrière elle, la voix de la vieille dame résonnait :
— Cette œuvre est la raison pour laquelle j’ai besoin de toi. Comme tu peux le constater, elle est brisée, détruite.
— Et vous espérez que je la répare ? Je ne comprends pas. Je suis loin d’être assez compétente en magie…
— Je n’ai que faire de tes pouvoirs, la coupa-t-elle, ton utilité est ailleurs. Ton sang est la solution.
— Vous comptez me sacrifier ? Vous aviez dit que j’aurais la vie sauve si je vous aidais.
— Allons, allons, pas de conclusion hâtive. Quelques gouttes répandues sur l’autel suffiront.
Une discrète mais malicieuse lueur brillait dans les yeux de la vieille. Elle avait fini par rejoindre Mya. Elle tenait une dague sculptée et paraissait tressaillir de joie à l’idée de voir la gravure se reconstituer.
— J’insiste, Mya, si c’est ta mort que nous voulions, je n’aurais pas pris la peine de répondre à tes questions. Approche-toi, sans crainte.
Elle tendait la lame à la jeune ancestrale. Patiemment elle lui expliqua le rituel qu’il lui faudrait accomplir. Où se placer. Les incantations. Quand entailler sa main. Les runes à dessiner avec son sang. Et la jeune fille, bien que fortement inquiète, s’exécuta. Elle traça les glyphes. Puis enfin elle prononça le dernier mot :
— Niyati.
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