Prologue
— Arrête !
Dans la pénombre de la caverne, Kao barrait la route à Nakãra, planté comme un piquet, aussi immobile et froid qu’une statue. Son regard las, aux pupilles d’un bleu autrefois éclatant, se perdait dans les iris noirs et malicieux de la femme. Elle lui sourit avec tendresse.
Sans un bruit, elle s’était approchée de lui, caressant son visage de sa main glacée, tranchant avec son souffle brûlant. Elle lui tournait autour, comme un prédateur autour de sa proie. Mais lui restait stoïque, indifférent. Elle brisa le silence.
— Kao, je ne t’attendais plus.
— Écoute-moi…
Elle posa son index sur la bouche de Kao. Il se tut.
— Je n’ai pas de temps pour tes jérémiades. Affronte-moi ou écarte-toi de ma route.
— Nakãra… Je ne veux pas me battre contre toi.
Comme s’il avait perdu toute substance, elle lui passa au travers et continua sa route. Çà et là, des torches enchâssées dans les parois réagirent à sa présence et s’embrasèrent, jetant leur lumière qui faisaient danser les ombres. Le fond de la caverne se dévoila enfin, révélant l’orbe de cristal qu’elle renfermait.
Aussi grand qu’un humain, la sphère était finement ouvragée. Sur sa surface courraient des gravures contant son histoire. Cela n’intéressait guère Nakãra, elle l’avait vécue. Son contenu en revanche… Elle sentait déjà la puissance qui en émanait. À travers le quartz translucide des volutes noires s’agitaient et cognaient avec violence contre leur prison.
L’air s’électrifia. Elle esquiva sans peine le trait d’énergie qui la ciblait. Sa chevelure de jais gonfla, ses mèches flottaient comme autant de dragons colériques.
— Tu as retrouvé ta combativité ? se moqua-t-elle.
— Ne touche pas à ça !
— Pourquoi devrais-je t’obéir ? Nous sommes égaux, tu l’as toujours dit.
Kao bondit dans la direction de Nakãra, les paumes chargées de magie. Elle claqua sa langue. De toute part, des chaînes surgirent et s’enroulèrent autour de lui, le stoppant net dans sa course.
— Maintenant, assis.
Elle pointa le sol de son index et les liens le forcèrent à prendre la position qu’elle désirait.
— Je me souviens d’une époque où tu me faisais confiance, Kao, soupira-t-elle en regardant l’orbe de cristal. Que s’est-il passé depuis ?
— Bien des choses.
— Pourtant je ne crois pas t’avoir trompé. J’ai accepté ton pacte idiot, malgré les craintes que j’avais.
— Il était nécessaire.
— Je te reconnais bien là ! s’emporta-t-elle. Tu crois tout savoir sur tout. À tel point que tu refuses toute hypothèse selon laquelle tu te serais fourvoyé. Ta justice, ta vérité, rien de tout ça n’est absolu. Mais tu es trop imbu de ta personne pour l’admettre. Tu n’es pas une meilleure personne que moi.
— Ce n’est pas ce que je pense.
— Pourtant c’est ainsi que tu agis.
Kao serra les points. Ses cheveux blancs se dressèrent et l’étreinte qui le retenait se brisa, mais il ne cherchait déjà plus à se battre.
— Je ne peux pas te tuer, et te vaincre sans te convaincre ne ferait que retarder l’inévitable, souffla-t-il.
Nakãra reporta toute son attention sur l’orbe de cristal. Quelques larmes coulèrent alors qu’elle reconnaissait, malgré elle, le combat passé qu’elle avait mené aux côtés de Kao. Elle se ressaisit. C’était à cause de lui si elle en était là aujourd’hui.
Devant elle, les serpentins d’énergie noire fulminaient dans leur prison. Impatients. Ils la sentaient à travers les parois et comprenaient que bientôt ils retrouveraient leur liberté. Nakãra effleura l’orbe. La douleur parcourut son corps tout entier et le paralysa. Il était trop tard pour faire marche arrière.
Au sein du réceptacle, les volutes s’amoncelèrent en un boa de ténèbres. Lorsque la souffrance commença à s’estomper, l’animal traversa le cristal et vint s’enrouler autour de la femme. À chaque expiration de Nakãra, il resserrait son étreinte. Quand elle ne put plus respirer, le boa devint une vipère qui sans relâche plantait ses crocs dans son corps. Malgré la violence, ni Kao, ni Nakãra ne brisèrent le silence.
Les torches s’éteignirent. La caverne retrouva son calme. Libérée de son devoir, la prison de cristal se désagrégea en une multitude d’étoiles. Emportées par la brise, elles s’élevèrent au firmament à travers les anfractuosités de la voute rocheuse, rejoignant la pleine lune qui baignait le sol de ses rayons.
— Adieu… glissa-t-elle avant de disparaître.
Kao resta un moment, seul, assis au centre de la grotte, le regard vide et perdu ; la lumière pâle de la lune dévoilant deux larmes blanches qui brillaient sous son œil gauche, et une troisième qui se formait. Combien de fois encore ? Il ferma les yeux et se volatilisa à son tour.
Alors seulement, la silhouette à la chevelure d’or se révéla. Elle s’allongea là où auparavant se tenait l’orbe de cristal. Elle leva sa main en direction de la voute céleste, comme pour lui ravir son astre. Elle sourit, satisfaite.
Dehors, les nuages s’amoncelèrent, étouffant la lune et privant la caverne de sa lumière.
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