Chapitre Douzième : Le Calme

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La lame blanche brillait sous l’éclat de la lumière, mettant en valeur les gravures qui la parcourait. Un véritable travail d’orfèvre.

Ploc ! Une goutte s’écrasa sur l’épée. Puis une suivante. Bientôt un torrent se déversa. Kao pleurait. La promesse avait été brisée et désormais l’histoire ne pouvait se terminer que d’une seule façon. De sa main, armée de ce fer, il prendrait la vie de Nakãra et il la regarderait expirer dans ses bras, mettant fin à cette lutte.

Il cligna des yeux et l’univers s’effaça autour de lui.

Il cligna des yeux et s’endormit.

Il cligna des yeux et s’éveilla.

Elle était là, face à lui. Ici, ils étaient libres. Ici, leurs souffrances et leurs peines n’étaient que des mirages bien vite oubliés, leurs responsabilités, envolées. Ils se regardèrent, sans un mot. Ils n’avaient pas besoin de parler pour communiquer. Chacun savait ce que la présence de l’autre en ce lieu signifiait.

Leurs mains s’effleurèrent. Dernier et éphémère moment de tendresse. Puis ils clignèrent des yeux.

L’instant fugace s’évapora. Il était de nouveau dans son manoir. Le vacarme de l’univers, la menace des Créateurs, Mya, Chizu, tout se rappela à lui. Mais son arme était prête et que lui le soit ou non ne changeait plus rien, l’immuable roue ne s’arrêterait pas.

Une douce brisait soufflait et transportait les effluves des nombreuses fleurs environnantes. Quelques rayons de soleils perçaient à travers le feuillage épais des ormes et charmes qui constituaient la majeure partie de la forêt. Avec délicatesse et agilité, une paire de mains s’affairait, ici à prélever des morceaux d'écorce, là à cueillir des boutons floraux.

Copédra était absorbé par son travail, jusqu’à ce qu’un buisson frémisse et qu’une ombre en bondisse. L’alchimiste ne put réprimer un cri et tomba à la renverse. Par chance, cette fois il ne s’agissait que d’un lapin blanc, qui, intrigué, observa l’homme quelques instants avant de repartir en sautillant dans la direction opposée. L’ancestral resta étalé au sol et porta ses mains au visage. Combien de temps allait-il encore continuer à craindre chaque son ?

Le vent continuait de souffler, semblable au souffle réconfortant d’une mère. À travers ses paupières fermées Copédra pouvait suivre le passage des nuages à travers le ciel. La douce alternance d’ombre et lumière le berçait, et peu à peu il en oubliait ses tracas. Sa respiration prenait le rythme de celle de la planète. Ce petit havre de paix, qui depuis tant de siècles servait de refuges à ceux qui avaient tant perdu lors de la Grande Guerre, pour lequel il avait décidé de vouer sa vie.

Son esprit voguait, il le laissait étendre ses ailes et prendre son envol aux côtés des oiseaux qu’il entendait chanter à tue-tête. À cet instant précis, l’alchimiste ne faisait plus qu’un avec l’Empire Ancestral. Il devenait les arbres dont les racines parcouraient les tréfonds de la terre, il se rêvait torrent qui dévalait les montagnes afin d’apporter la vie, il était le brin d’herbe qui lui effleurait la joue. Il était apaisé.

Un énième cirrus masqua le soleil une fois de plus et Copédra se souvint. Une ombre menaçait tout ce qu’il chérissait. Des ténèbres si denses qu’elles l’avaient presque avalé. Nakãra, Zaefan, il n’était pas de taille à les affronter, ni même à les ralentir, il n’était rien de plus qu’un fétu de paille pour eux. Pire, à cause de lui ils avaient pu s’introduire ici et Isis en avait payé le prix, à sa place. L’alchimiste aurait aimé se réconforter en sachant qu’il l’avait sauvée, mais ce miracle n’avait été permis que grâce au démon qui lui avait remis la flasque de poison. Quel incapable il était ! Il ne méritait ni l’amitié, ni la confiance de ses proches.

— C’est donc là que tu te cachais ?

La voix d’Isis l’arracha immédiatement à sa torpeur et il se releva aussitôt. Sa tête percuta celle de la jeune femme.

— Ouille, en voilà des façons de m’accueillir, se fâcha-t-elle faussement.

— Quelle idée de te tenir au-dessus de moi de la sorte !

— Ça va être de ma faute ?

— Un peu tout de même…

Isis fit mine de s’en aller, sans un mot de plus.

— Attends ! la retint Copédra. Je m’excuse.

— Je préfère ça, sourit-elle.

Elle s’avança vers lui et le serra fort dans ses bras. Quelques larmes perlaient sur ses joues. Elle murmura à son oreille :

— Merci. Je n’ai pas eu l’occasion de te le dire avant, mais merci.

— Iz… Tu n’as pas besoin de me remercier, je…

— Arrête un peu avec ça, le coupa-t-elle, que ce soit ton travail ou non cela ne change rien, je te dois la vie, et je n’ose même pas imaginer ce que tu as traversé pendant que tu étais leur prisonnier !

Il se détacha de son étreinte et recula de quelques pas.

— C’est à cause de moi si tu as failli mourir ! Si j’avais été moins stupide, ils n’auraient jamais pu s’en prendre à toi ! s’exclama Copédra.

— Nul n’est parfait, pas même les dieux. Tu as tes faiblesses, et nos ennemis les ont utilisées, mais cela ne te rend pas coupable. Ce n’est pas toi qui m’as poignardée.

Elle le reprit dans ses bras, sans lui laisser la moindre échappatoire.

La lame noire brillait d’un éclat sombre et semblait absorber la lumière environnante. Les Créateurs l’observaient d’un air satisfait et soucieux. S’ils la savaient nécessaire à la réalisation de leur plan, ils se souvenaient que cette arme, unie à celle de Kao, avait été à la source de leur précédente défaite et le trépas de leurs enveloppes charnelles.

— Sommes-nous certains que l’utiliser soit la bonne solution ? s’enquit Raito.

— Nous n’avons pas le choix. Kao a récupéré son épée, et celle de Nakãra est la seule à même de lui résister. Évidemment j’aurais préféré un moyen de récupérer nos corps, mais il nous faut nous adapter. Ainsi, si nous ne pouvons employer notre pleine puissance, usons de celle de notre fille.

Le visage de la déesse du Mal arborait un terrible rictus alors que ses mains se saisissaient de son arme. Un frisson parcourut son corps. L’énergie affluait en elle. Avec ce regain de force, ils étaient prêts. Ils placèrent l’épée, rangée dans son fourreau, à sa taille et disparurent des Enfers.

Son regard vairon s’était perdu dans le vide du mur qui se dressait face à elle. Un rideau s’était abattu entre elle et la réalité qui l’entourait. Le manoir tout entier s’était effacé. Ne restait plus qu’elle et ses craintes. Ne restait plus qu’elle et ses angoisses. Venait-elle de condamner sa mère à une mort certaine ? Avait-elle seulement eu son mot à dire ?

Elle n’entendit pas Mya rentrer dans sa chambre et ne sentit pas sa main sur son épaule avant qu’elle ne la secoue et lui parle.

— Chizu ? Ça va ? s’inquiéta l’ancestrale.

— Hein ? Que… Qu’est-ce que tu fais là ? se braqua-t-elle.

Chizu s’empressa de rompre le contact imposé par Mya. Elle n’appréciait pas être touchée et comptait bien lui faire comprendre. Pourtant, au lieu de faire son habituel regard noir, elle éclata en sanglots.

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