Chapitre Treizième : La Tempête

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Les rafales soulevaient la neige recouvrant la vaste plaine. Le blizzard qui en découlait, avait réduit la visibilité à néant. Le vent hurlait de rage. Comme si le Mereti lui-même cherchait à occulter le drame qui commençait à se dessiner.

Une silhouette ténébreuse marchait dans la poudreuse, les conditions météorologiques ne semblaient pas l’atteindre, son pas était volontairement lent, mais déterminé. À sa taille pendait une épée, noire comme la nuit, qu’aucune lumière ne semblait atteindre, l’épée de Nakãra.

— Nous y voilà, siffla Shidesu à travers la bouche de la déesse du Mal.

— Là où tout commença, répondit Raito.

— Là où tout finira.

— Là où tout convergeait.

— Là où l’arche se dressa.

— Là où l’arche se brisa.

Ils arrachèrent l’arme à son fourreau, et d’un geste abrupt la plantèrent dans le sol. La neige autour de la lame se volatilisa et la terre nue se craquela tandis que la puissance fusait en tous sens. La roche essaya de résister, elle gronda, se tordit et enfin se déchira entièrement pour laisser place à un large rayon d’énergie qui montait jusqu’au ciel et au-delà encore.

Le corps de Nakãra claqua des doigts. Devant son regard satisfait, des murs s’assemblaient çà et là, un sol se matérialisait, des fenêtres s’ouvraient. Ce lieu était son nouveau domaine, son manoir devait s’y dresser fièrement et protéger la faille ouverte, qui à terme provoquerait la fin, tant espérée, de ce monde abject.

Elle s’engouffra dans sa demeure. Il ne restait désormais plus qu’à amener Kao et ses protégées en ce lieu, pour les éliminer. La puissance combinée de Nakãra et des Créateurs leur permettait de forcer l’ouverture d’un portail au sein même du manoir du dieu et de lui adresser un message.

L’odeur de bergamote emplissait le salon de thé. Kao sirotait une tasse de thé, confortablement installé sur un fauteuil. Il ne pouvait qu’attendre et subir.

La tasse glissa des doigts du dieu et se brisa sur le sol. Le bruit inhabituel attira immédiatement l’attention de Votra qui se précipita dans la pièce et trouva Kao sur le sol, la tête entre ses deux mains. Il semblait être aux prises avec un ennemi puissant et invisible. La daitya ne savait pas quoi faire. Elle sortit du salon et courut chercher Mya et Chizu. Peut-être en sauraient-elles plus.

Les trois femmes rejoignirent finalement le dieu, ensemble. Celui-ci s’était relevé et époussetait calmement sa tenue.

— Que s’est-il passé ? Vous allez mieux ? s’enquit Votra.

— Ne t’en fais pas, tu peux disposer. Je dois m’entretenir avec nos hôtes.

La servante fit une courbette et s’éclipsa.

— Le moment est venu, reprit le dieu. Nos ennemis ont commencé à agir, ils ont entamé leur processus de destruction de ce monde. Ils ont aussi entrepris de nous inviter à les rejoindre. Ne vous méprenez pas, ils ont pour intention de nous tuer et ne veulent simplement pas se risquer à nous attaquer sur mon domaine.

— Pourquoi accepterions-nous leur invitation dans ce cas ? questionna Mya. N’avons-nous pas plutôt intérêt à rester à l’abri ?

— Il m’est impossible d’arrêter la catastrophe à venir d’ici. Il nous faut aller à la source du mal.

À peine eut-il fini de parler qu’une flaque noirâtre apparut au centre du salon, engloutissant au passage la table qui s’y trouvait. Il enjoignit aux filles de saisir ses mains puis entoura le groupe d’un bouclier avant de plonger à travers le portail, droit dans la gueule du loup.

Un rayon de soleil traversa le rideau et vint caresser la joue de la jeune femme. Elle se réveilla en sursaut. Où était-elle ? Mya regarda autour d’elle puis, se calma, elle se trouvait dans sa chambre, au palais. Bien qu’une sensation étrange flottât dans son esprit, elle n’avait pas de temps à perdre avec cela. Elle était attendue par Dévandra et ne pouvait se permettre d’arriver en retard. L’Ancestrale trembla en se remémorant les réprimandes de la veille.

Elle sauta hors du lit, entrainant, sans le vouloir, avec elle, draps et oreillers. Elle manqua de trébucher mais se rattrapa à la commode, in extremis. Prudemment elle entra dans la salle de bain puis s’y toiletta sans plus tarder. Fin prête, la jeune femme quitta sa chambre en trombe, direction le bureau de Dévandra.

La dirigeante de l’Empire l’attendait. La moue sur son visage ne trompait pas, Mya était en retard et la femme aux cheveux améthyste était furieuse.

— Te voilà enfin, soupira-t-elle.

— Désolée…

— Tu sais Mya, il vient un temps où les excuses ne suffisent plus. Demander pardon mais continuer à arriver en retard, ce n’est pas évoluer, c’est stagner. Qui plus est lors d’un jour aussi important que celui-ci.

Dévandra se leva et fit signe à Mya de la suivre. Elles quittèrent la pièce pour déambuler dans les méandres du palais, jusqu’à enfin atteindre la grande double porte qui menait à la cour.

Au centre de celle-ci se dressait une immense fontaine à débordement. Lorsque l’eau dépassait la hauteur du bassin, elle se déversait dans un canal à l’allure de rivière, laquelle, au bout de sa course, se jetait dans le vide, devenant cascade, et rejoignait ensuite avec tendresse le niveau principal de la cité. Le cours d’eau continuait et se divisait à travers la ville, avant de se réunir à nouveau autour de la place centrale, abreuvant les racines de l’immense chêne cristallin qui s’y tenait fièrement.

Chaque fois que Mya pouvait admirer cette vue, des larmes lui montaient aux yeux, et cette fois n’y fit pas exception. C’était la quiétude et le calme de l’Empire Ancestral tout entier qui se dessinait devant son regard ému. Seul le clapotis de l’eau, la fureur de la cascade et le chant des oiseaux, s’autorisaient à rompre le silence qui y régnait.

— Alors c’est le grand jour ?

S’exclama une voix dans le dos des deux femmes. Copédra ! Malgré son jeune âge, Mya considérait l’alchimiste comme un père de substitution, tandis que Dévandra, Opalis et Isis lui servaient, tour à tour, de mère.

Soudain, la vision tout entière de la jeune fille s’assombrit. L’Empire Ancestral avait disparu pour laisser placer à un océan de ténèbres. Seul un immense cube, drapé d’un linceul d’ombres, se tenait devant ses yeux. Une énergie dérangeante, sombre et terrifiante en émanait. La jeune Ancestrale resta paralysée devant cette vision, et bientôt l’air commença à lui manquer, elle étouffait, se noyait, comme si une force invisible compressait son diaphragme et l’empêchait de respirer. Son rythme cardiaque s’accéléra et un éclair de chaleur parcouru sa colonne vertébrale. Elle parvint tout juste à cligner des yeux.

Elle était de nouveau dans l’Empire Ancestral, entourée de Dévandra et Copédra, mais l’image du cube s’était imprimée dans son esprit, et de la sueur perlait encore sur son front. La femme aux cheveux améthyste remarqua son état et s’en inquiéta :

— Tout va bien Mya ?

— Je… je ne sais pas ? Je crois ?

— Alors viens, rejoignons Isis et Opalis.

Elle agrippa la main que lui tendait Dévandra et attrapa celle de Copédra au passage. Avec eux, elle se sentait en paix et à l’abri de tout danger.

Ses deux autres mères les attendaient à l’ombre du grand chêne, un immense sourire aux lèvres. Tous attendaient ce jour depuis tant d’années. Tous s’y étaient préparés, inlassablement. Même si Mya n’avait eu que peu d’informations à son sujet, elle était aussi excitée que les autres. Il s’agissait du jour où elle connaitrait enfin la signification de son existence, elle allait comprendre la raison de sa venue au monde et pourquoi tout le palais cherchait tant à la préserver.

Une chaise avait, semble-t-il, été installée pour elle, et Dévandra lui enjoignit de s’y installer. Elle obtempéra et s’assit. Elle en profita pour admirer les jeux de lumière, provoqués par la réfraction et la réflexion des rayons du soleil à travers les branches et le feuillage de l’arbre de cristal qui les surplombait. Par endroit des arcs-en-ciel se formaient d’une feuille à l’autre.

Émerveillée par ce spectacle de la nature de l’Empire Ancestral, Mya ne remarqua le poignard qu’Opalis tendit à Dévandra qu’une fois celui-ci profondément planté dans son cœur. Le sourire de la jeune femme se transforma en rictus d’agonie et sa vision s’assombrit une fois encore. Le cube se tenait une nouvelle fois devant elle. Son linceul d’ombres s’était mu, et lui donnait l’apparence d’un visage rieur. Puis ses yeux se fermèrent.

Un rayon de soleil traversa le rideau et vint caresser la joue de Mya. Elle se réveilla en sursaut, dégoulinante de sueur. Tremblante de peur, elle porta ses mains à son cœur. Rien, pas la moindre trace de blessure. Venait-elle simplement de vivre un cauchemar ? Cela lui avait semblé si réel. Elle s’était sentie mourir. Par réflexe elle voulut attraper un pendentif autour de son cou pour se rassurer, mais ne rencontra que le vide. Que faisait-elle ? Elle n’avait jamais porté de collier. Elle avait l’impression d’avoir oublié des détails importants, mais seul cet étrange cube lui revenait.

Elle sauta hors du lit, entrainant, sans le vouloir, avec elle, draps et oreillers. Elle s’écroula et essaya de se rattraper à la commode, mais sa main n’attrapa que de l’air. Il n’y avait pas de meuble à cet endroit. Y en avait-il jamais eu un ? Mya se releva et fila dans la salle de bain. Fin prête, elle quitta sa chambre à toute vitesse, direction le bureau de Dévandra.

Contre toute attente, la dirigeante ne l’y attendait pas. Mya s’était-elle trompée de jour ? D’heure ? Ou alors était-elle tellement en retard que, furieuse, la femme aux cheveux améthyste s’en était allée.

La jeune ancestrale se précipita dans la cour. Elle savait que Dévandra aimait la fontaine tout autant qu’elle, peut-être avait-elle décidée de l’attendre là-bas ? Mais non, sur place personne ne l’attendait. Seul résonnait le bruit de l’eau. Son chant était d’ailleurs différent d’à l’accoutumée, plus visqueux. Mya s’approcha du bassin et ne put réprimer un cri, ce n’était plus de l’eau qui s’y déversait mais une mer de sang.

Elle voulut reculer mais trébucha à cause d’une racine sur le sol et tomba sur les fesses. Elle chercha à se relever. Ses mains touchèrent quelque chose de froid et flasque. Mya y jeta un regard puis hurla à en perdre la voix. Elle avait buté sur un corps. Et la couleur de cheveux ne laissait aucun doute, il s’agissait de Dévandra.

Sa vision se troubla à nouveau, et le cube apparut, toujours drapé de son linceul, imitant un sourire carnassier, puis vint l’océan de noirceur, et Mya fut engloutie.

Une jeune fille à la chevelure de jais admirait le soleil, perchée sur la branche la plus basse d’un vieil arbre. Il se couchait lentement sur la plaine qui s’étendait à l’infini, colorant les quelques nuages d’une multitude de nuances de rouge et d’orange. Une douce brise faisait voler ses cheveux et emportait son rire par -delà l’horizon. Elle s’arrêta un instant et inspira, autant que ses poumons lui permettaient, l’air pur qui lui parvenait, puis elle se laissa tomber à la renverse et atterrit mollement sur le sol. Elle roula sur elle-même et planta ses yeux ténébreux dans ceux du jeune garçon qui l’observait.

— Tu ne veux pas grimper et profiter des dernières lueurs du crépuscule depuis la cime de l’arbre avec moi ?

— Je préfère te regarder. D’ici je peux veiller sur toi.

— À quoi bon ? Nous sommes seuls ici, rien ne peut nous arriver.

Elle bondit sur ses pieds et saisit les mains du garçon. Elle tirait de toutes ses forces dessus pour l’obliger à se lever, mais il continuait de refuser de bouger. La jeune fille arbora une mine triste sur son visage et il finit par céder, au moment où elle ne s’y attendait pas et chuta, entrainant le garçon qui se retrouva plaqué contre elle. Il soupira, gêné. Elle éclata de rire.

— Naka ?

— Oui ?

— J’ai un cadeau pour toi.

Les yeux de la jeune fille se mirent à briller. Que lui avait-il préparé ?

— Montre-moi vite ! s’impatienta-t-elle.

Il fourra ses mains dans ses poches et commença à chercher. Peinant à trouver sa surprise, il grimaçait.

— Dépêche-toi Kao !

— Oui, oui, un peu de patience.

Son visage s’illumina, victorieux il retira une chaîne de son pantalon. Un arbre en améthyste, finement travaillé, en pendait. Il ressemblait comme deux gouttes d’eau au vieux chêne. Le garçon tendit l’objet à la jeune fille, qui s’en saisit avec grande délicatesse.

— C’est magnifique… balbutia-t-elle.

— Laisse-moi t’aider à le mettre.

Il passa dans son dos et accrocha le collier autour du cou de la jeune fille. Celle-ci tourna sur elle, faisant gonfler sa robe au passage.

La vision de Kao se troubla, la plaine et la jeune fille disparurent, laissant place aux ténèbres et à un étrange cube violet, parcouru de dorures. Le dieu soupira. Le décor revint.

Le ciel s’embrasa, avalant nuages et soleil dans un océan de flammes. Des éclairs foudroyèrent le chêne qui disparut en cendres. Bientôt il ne resta plus que Kao et la jeune fille. Quelques mètres les séparaient. Elle voulut les franchir pour le rejoindre, mais le sol se déroba sous ses pieds, et les profondeurs de la terre se refermèrent sur elle.

— Il suffit, Darava, s’écria Kao.

Seul un profond silence lui répondit. Le dieu balaya l’air de sa main et le mirage se dissipa. Les ténèbres reprirent possession du lieu, et le cube drapé de son linceul d’ombres s’y dressait fièrement.

Kao chercha à s’en approcher, mais à chacun de ses pas l’objet s’éloignait de lui. Il voulut se téléporter devant le parallélépipède mais celui-ci se déroba encore à lui.

— Je n’ai pas le temps de jouer avec vous, pesta le dieu.

— Ce n’est pas un jeu, répondit une double voix métallique, si tu veux passer tu devras nous vaincre.

En traversant le portail ouvert dans son manoir par les Créateurs, jamais Kao n’aurait cru tomber sur les entités qui se tenaient désormais face à lui. Des créatures autrefois perverties par la magie de Nakãra, alors en quête de puissance. Elle avait dispersé la plupart loin de son royaume, enfermé l’une d’elles, mais le dieu ne s’était jamais douté que certaines s’étaient rangées à son service. Et cela n’augurait rien de bon. Leurs pouvoirs étaient grands et rien ne pouvait les détruire. Peut-être lui restait-il malgré tout une carte à jouer, mais si cela ne fonctionnait pas il devrait se concentrer sur libérer Mya et Chizu de leur emprise.

— Vous savez que ce n’est pas Nakãra qui vous a ordonné de me retenir ici ?

— Oui et nous n’en avons cure. Plus fort a pris possession d’elle. Et tout ce que nous désirons est de nous nourrir de rêves et de santé mentale. Ton statut divin ne t’immunise pas totalement contre nos pouvoirs. Et puis tes deux protégées courent lentement à leur fin pendant que nous parlons. Que comptes-tu faire ?

Kao s’assit en tailleur et s’entoura d’un bouclier d’énergie magique, tandis qu’il étendait son esprit afin d’étudier les environs. Il devait retrouver les filles.

— Tu ne trouveras rien, ricana la voix.

Le froid de l’acier brûlait ses poignets mais elle restait impassible. Elle avait pris l’habitude d’être attachée, pendant des semaines, par ces lourdes chaînes qui la reliaient au mur de sa cellule capitonnée.

Les murs de cette dernière n’avaient pas été rembourrés par égard pour elle, bien au contraire. Avant ce changement elle utilisait le béton pour cogner sa tête contre jusqu’à perdre conscience. Eux désiraient la garder éveillée. Pour preuve, chaque fois que ses yeux restaient fermés trop longtemps, une alarme retentissait pour l’empêcher de sombrer dans un profond sommeil.

Une intense lumière pénétra la pièce et la força à fermer les yeux. Quelqu’un venait d’ouvrir la porte. Était-ce l’heure de la torture ? Ou celle de la prochaine expérience ? C’était difficile à dire, tant il était compliqué de garder trace du temps qui passait. Mais à en croire les morceaux d’ongles qu’elle avait rongé et conservé, cela faisait autour de deux mois. Plus long que la moyenne, mais loin du record. Une fois ils l’avaient gardé ici pendant une année entière.

Mais quel était cet ici ? Elle ne l’avait jamais vraiment su et ne le saurait sûrement jamais. Elle mourrait avant. Elle espérait d’ailleurs que cela ne tarde plus trop. Pourtant elle n’avait pas vécu longtemps, elle devait avoir treize ans, tout au plus. Néanmoins, ses tortionnaires étaient parvenus à éliminer toute velléité, toute volonté de vivre qu’elle aurait pu, un jour, posséder. Le pire étant qu’elle n’en comprenait même pas les raisons. Qu’avait-elle fait pour mériter cela ? Est-ce que sa simple existence constituait un crime suffisant ? Un péché si horrible qu’elle devait être punie pour l’éternité ? Elle n’avait pas demandé à naître, elle l’avait subi, comme chaque instant de sa vie. Si on lui avait posé la question, elle aurait refusé de venir au monde.

Elle sentit des bras se refermer autour d’elle et commencer à la serrer. Ça y est ! Enfin ! Quelqu’un était venu pour la tuer, provoquer sa mort par étouffement. Quelques larmes de délivrance coulèrent de ses yeux fermés. Elle serait bientôt libre. Mais les secondes passèrent et rien ne changeait. L’étreinte n’était pas assez forte pour la faire suffoquer, cependant elle se maintenait.

La jeune fille ouvrit les yeux. De longues mèches de cheveux châtains coulaient sur ses épaules. Qui était-ce ?

— Je t’ai enfin retrouvée Chi’, pleura l’inconnue.

Chizu resta bouche bée. Aucun son ne parvint à sortir de sa gorge, mais elle reconnaissait cette voix. Elle n’aurait jamais cru pouvoir l’entendre à nouveau. Tout comme elle n’aurait jamais pensé sentir ce parfum une nouvelle fois. Que faisait-elle ici ? Comment l’avait-elle retrouvée ? Non, la vraie question était de savoir pourquoi l’avait-elle cherchée ? Il fallait être fou pour se donner tant de mal pour découvrir l’emplacement d’une personne telle qu’elle. Un être misérable qui méritait tout juste de respirer.

— On rentre à la maison, p’tite sœur, murmura la voix.

Impossible. Il n’existait plus d’endroit qu’elle pouvait appeler ainsi. Ce lieu avait été détruit. Après ça, la fuite. Puis la capture. Elle s’en souvenait comme si cela s’était produit la veille.

— Je sais que tu te dis que nous n’avons plus de chez nous Chi’, mais, pour moi en tout cas, ma maison c’est n’importe où, tant que je suis à tes côtés.

Cling ! Ses chaînes tombèrent au sol. Sa sœur venait de les lui retirer. Non, c’était trop beau pour être vrai. Il s’agissait forcément d’une nouvelle torture. Quelqu’un voulait trouver comment la briser encore plus. Lui rappeler des souvenirs heureux, lui faire entrevoir de l’espoir pour mieux lui retirer ensuite. Depuis qu’elle était totalement résignée ce devait être moins amusant pour eux.

L’étreinte se relâcha enfin et son regard pu croiser celui de sa sœur. Ses yeux verts reflétaient les yeux vairons de Chizu, tant ils étaient emplis de larmes. La jeune fille, elle, ne parvenait pas à pleurer. Elle s’était retenue si souvent depuis qu’elle était retenue ici. Elle avait appris à refouler ses pleurs, à tel point qu’elle ne savait plus comment les laisser sortir. Pourtant elle sentait qu’un torrent tout entier voulait se déverser.

— Hika’…

— Ne dis rien de plus, on y va !

Sa sœur empoigna sa main et Chizu se laissa tirer par celle-ci. Au moment de passer la porte de la cellule, elle freina, hésita un instant, puis croisa à nouveau le regard de Hikari et la suivit. Ce n’était pas la délivrance qu’elle avait espérée, mais elle s’en contenterait.

Ensemble elles traversèrent les couloirs que Chizu avait tant de fois parcouru, seule et emplie de souffrance. Ensemble elles passèrent devant les escaliers qui menaient aux salles d’expérimentations. Ensemble elles sortirent du bâtiment.

De l’air ! Cela faisait si longtemps ! Chizu inspira profondément, aspirant autant qu’elle pouvait de ce fluide si pur, si différent de l’atmosphère viciée de sa cellule. Le soleil venait réchauffer sa peau si pâle à cause du temps passé en intérieur. Le parfum des fleurs de printemps l’enivra au point qu’elle crut perdre connaissance. Elle avait été privée de tant de choses ces dernières années. Et voilà qu’elle était libre.

— Chi’ ? Je dois t’avouer quelque chose…

Avait-elle vu juste ? Tout ceci était-il donc réellement trop beau pour être vrai ?

— Je viens de te faire évader. Nous sommes en cavale désormais. J’espère que tu ne m’en veux pas.

Sa sœur lui avait annoncé la nouvelle avec un grand sourire, comme à son habitude. Il lui avait tellement manqué ce sourire, capable d’illuminer son visage ainsi que le cœur de Chizu.

Une alarme retentit. L’alerte venait d’être donnée, bientôt les gardes afflueraient de toute part. Il fallait fuir, et vite.

— Ne t’en fais pas, j’ai tout prévu, la rassura Hikari.

Elle la guida dans la cour du centre qui l’avait retenue prisonnière. Elle ouvrit le portail au bout de l’allée et le referma une fois qui Chizu l’eut traversé. Enfin elles s’enfoncèrent ensemble dans la forêt qui bordait le domaine et disparurent dans l’ombre du feuillage de la multitude d’arbres qui la formaient.

Elles coururent sans s’arrêter pendant plusieurs mètres jusqu’à ce qu’un ravin les arrête.

— Je sais que tu n’as jamais réussi à le faire auparavant, mais on va y arriver ensemble. Tu me fais confiance, non ?

Chizu hocha la tête et ensemble elles sautèrent dans le vide.

Puis Hikari déploya ses grandes ailes blanches. Chizu essaya tant bien que mal à son tour, mais rien n’y faisait, c’est comme si elle n’avait pas d’ailes, elle ne pouvait pas voler, le sol l’appelait.

— Crois en toi p’tite sœur !

— Je… Je n’y arrive pas Hika’ !

Par chance Hikari semblait assez forte pour voler tout en tenant sa sœur. Mais un coup de feu détonna et leurs mains se séparèrent. Puis ce fut la chute. Chizu put voir le monde qui défilait sous ses yeux et sa sœur qui fusait en piqué pour tenter de la rattraper. Puis le noir complet, et une chute interminable, à croire qu’elle n’allait jamais toucher le sol. Puis le choc et enfin le néant.

Elle n’était pas morte. Par malheur elle avait survécu. Elle maudit son destin et ouvrit les yeux. Elle ne vit qu’un étrange cube violet, entouré de ténèbres. Elle le connaissait. Elle l’avait déjà vu.

Elle cligna des yeux et tout disparut. Elle tourna la tête, haletante. Nakãra sa mère adoptive la regardait, inquiète.

— Que fais-tu ici mon enfant ? Tout va bien ?

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