Chapitre Troisième : La Traversée

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La lumière ambiante et la chaleur diminuaient enfin alors que les soleils se couchaient à l’horizon. Le vent soufflait sur les dunes de sable et les remodelaient inlassablement. Il était difficile de s’y repérer, même pour ceux qui y vivaient. Par chance Mya n’était pas seule, Mitra, son sauveur, lui servait de guide dans cette longue traversée. Il lui apportait aussi son savoir. Quand elle avait eu soif, il lui avait enseigné comment obtenir de l’eau sans faire appel à la magie. Quelques plantes poussaient sur ces terres arides. Elles en étaient imbibées. Il suffisait d’en trouver puis de les presser pour enfin pouvoir s’hydrater. Quand elle avait eu faim, il lui avait appris quelques méthodes de chasse des daityas.

Au loin, une des lunes du Marevu se levait. Elle brillait d’un étrange éclat violet, non sans rappeler la couleur du pendentif de Kao. L’ancestrale soupira longuement. Du sable était encore rentré dans ses bottes. Elle était lasse de marcher, lasse de vider ses chaussures, mais plus encore, elle était terrifiée. Elle était au beau milieu d’un monde hostile, seule avec un inconnu cornu qu’elle connaissait depuis quelques heures. L’Empire, sa salle de cours et les leçons ennuyeuses, Dévandra, Iris… Tout ça lui manquait. Mya se gifla mentalement. Elle devait rester forte, elle ne pouvait ni rentrer ni craquer. Il lui fallait rejoindre le Mereti puis trouver Kao.

Leur marche avait été longue et pénible, et la jeune femme n’en voyait toujours pas le bout. En dehors des rares enseignements de Mitra, ils n’avaient pas échangé un seul mot. Pour économiser leur salive, mais aussi car Mya restait malgré tout méfiante. Elle regarda le ciel. Les soleils s’étaient finalement volatilisés. Les étoiles régnaient désormais seules sur la voûte céleste. Le décor qui s’offrait à elle n’avait rien à envier aux constellations visibles depuis l’Empire Ancestral.

Le daitya fit signe à Mya de s’arrêter. Ils allaient camper ici pour la nuit. S’il était dangereux de rester immobile de jour dans le désert, s’y déplacer de nuit l’était encore plus. Les créatures nocturnes pouvaient repérer leurs proies à la perfection au moyen de sonars et d’une vision excellente même dans l’obscurité. Il était donc plus prudent de faire une halte jusqu’à l’aube et de se reposer.

Malgré la nuit tombée, la température restait suffisamment élevée pour ne pas avoir froid. Un feu de camp ne serait pas nécessaire. Tant mieux, en allumer un aurait simplement attiré l’attention. Mitra avait délimité leur campement de fortune avec des pierres puis s’était éloigné. Les réserves d’eau étaient à sec, encore. Il fit un geste en direction de Mya pour lui expliquer. Elle hocha la tête tandis qu’ils se croisaient.

Le daitya dut marcher plus qu’il ne l’aurait voulu. Laisser l’ancestrale seule, si loin, n’était pas prudent. Il ne l’avait pas encore vu se battre. Elle pouvait dire ce qu’elle voulait, mais rien ne prouvait l’efficacité de ses entrainements au sein de son petit paradis isolé. Aussi bien, elle peinait à soulever son épée. Il leva les yeux au ciel tout en remplissant une première gourde. Cela ne servait à rien de réfléchir à tout ça. Son dieu lui avait donné une mission et il comptait la mener à bien, peu importe ce qu’il pouvait penser des Ancestraux.

Mya s’allongea au centre des pierres déposées par Mitra. Elle ferma les yeux et laissa son esprit voguer à travers ses pensées. Cette journée avait été éprouvante et elle n’était même pas terminée ! Demain, si tout se passait comme ils avaient prévu, ils atteindraient le portail vers le Mereti. La mission de Mitra prendrait fin, et celle de Mya ne ferait que commencer. Elle allait rencontrer un dieu ! Lui aurait les réponses à toutes ses questions. Mais encore faudrait-il qu’il y réponde.

Le sable crissa. Quelqu’un marchait à proximité. Vaincue par la fatigue, la jeune mage n’ouvrit pas les yeux.

— Déjà de retour Mitra ? dit-elle.

— Qu’avons-nous là, ricana une voix qui lui était inconnue.

Mya bondit sur ses jambes, mais trop tard. Une main puissante lui avait déjà attrapé le bras gauche et une autre la tenait fermement par la gorge. La poigne était puissante. Elle serrait son cou juste assez pour l’empêcher de se débattre, sans lui faire perdre connaissance.

— Eh bien, fit son agresseur, ne serait-ce pas une ancestrale ? Te voilà bien loin de chez toi.

C’était un daitya, mais ce dernier n’avait rien d’amical. De son physique à son aura, tout n'était que violence. Il offrit son plus beau sourire à Mya, dévoilant des dents taillées en pointes, aussi tranchantes que des rasoirs.

Tant pis pour la discrétion ! pensa la mage. Elle préférait encore alerter toute la faune et Mitra par la même occasion que se laisser emporter. Elle ferma les yeux. Les souvenirs de ses cours de combats auprès d’Opalis affluèrent. Elle les rouvrit, les pupilles illuminées d’une lueur farouche. Mya se concentra sur sa respiration et les battements de son cœur ralentirent. Elle forma l’image mentale d’un feu qui la recouvrait.

— Zyr, incanta-t-elle.

Son corps tout entier s’embrasa. Elle s’était changée en torche humaine. Malheureusement le daitya comme la majorité des créatures peuplant le Marevu y était pratiquement insensible, habitué aux lacs de laves et déserts de son monde. Mais l’ancestrale ne se laissa pas abattre aussi facilement.

— Shiv, essaya-t-elle.

Les flammes disparurent aussitôt. L’air ambiant devint glacial. Mya se saisit, difficilement, du bras qui la retenait et concentra son sort dessus. La main gela rapidement. La mage utilisa une nouvelle fois l’élément de feu pour provoquer un brutal choc de température et le membre du daitya se brisa. Surprit, il ne put empêcher Mya de reculer prestement et dégainer.

— Il semblerait que je t’ai sous-estimée, cracha-t-il, tu es une manieuse de magie.

— Cela justifie ton attaque ?

— Ici il existe deux types de personnes. Les faibles et les forts. Seuls ces derniers survivent. En perdant ma main face à toi j’ai rejoint la première catégorie. À l’inverse, en te capturant j’aurais prouvé ma valeur à mon chef. Maintenant, aie la décence de m’achever.

— Quoi ? Jamais. Je ne suis pas une tueuse.

— Je suis déjà condamné. L’échec n’est pas une option. Ma défaite m’a rendu inutile. Ma vie n’a plus de valeur.

— Je refuse.

— Tu voudrais me refuser les honneurs d’une mort au combat ?

Fou de rage le daitya s’élança dans sa direction, tenant fermement un sabre de sa main valide. À plusieurs reprises il tenta de la transpercer, mais Mya parvenait à parer chacun de ses coups. Il essaya une ultime fente en avant et visa son épaule d’un coup d’estoc. La jeune femme tourna sur son pied d’appui. Elle ferma les yeux et laissa les souvenirs de ses leçons l’envahir et termine instinctivement son mouvement. Un objet lourd tomba au sol et produisit un bruit sourd alors qu’il touchait le sable. Intriguée, Mya rouvrit ses yeux. Elle vit avec effroi la tête de son ennemi, irrémédiablement séparée de son corps. Elle s’étrangla de stupeur et tomba à genoux.

Mitra s’accroupit devant l’oasis. Une des très rares étendues d’eau du Marevu. Il s’était éloigné du campement plus qu’il ne l’aurait souhaité. Le désert qu’ils tentaient de traverser renfermaient de nombreux dangers et chaque grain de sable pouvait se changer en ennemi mortel.

Le daitya soupira. Depuis qu’il avait eu la chance de rencontre Kao et se mettre à son service, ce dernier l’avait récompensé en lui rendant les souvenirs de ses vies passées. Sa vie humaine comprise. Parfois il s’interrogeait. N’était-ce pas une malédiction plus qu’un cadeau ? Tous les daityas étaient des humains réincarnés. Ils avaient vécu avant la Coalescence. Nombreux avaient même connu et combattu durant la Grande Guerre. Nombreux, furent les crimes commis. Nombreux étaient ceux que Mitra souhaitait oublier. Se racheter lui demanderait l’éternité. Mais le savoir est une force. Comprendre leurs origines, les raisons de leur existence. Tout cela permettait à Mitra d’avancer inlassablement, de suivre aveuglément les ordres de Kao.

Il remplit la dernière gourde et se leva. Il prit la direction de leur campement de fortune puis se figea. L’air était différent. Presque électrique. Comme si… de la magie ! Il en lâcha presque les outres. Mais il ne pouvait se permettre de les perdre. Elles leur étaient vitales. Mitra se contenta de courir, aussi vite que ses jambes lui permettaient, à ce que son cœur sorte de sa poitrine. Intérieurement il priait, il implorait la destinée, afin que Mya s’en sorte.

Mitra s’élançait si rapidement qu’il semblait voler. Jamais auparavant il n’avait connu une telle peur, jamais il n’avait craint pour la vie d’autrui. Pourquoi le campement était-il si loin ? Ne l’atteindrait-il donc jamais ? Sa vision se troublait. Du sable ? Non, des larmes ? Pourquoi ? Il la connaissait depuis bien trop peu de temps pour être touché de la sorte. À moins qu’il ne fût terrifié à l’idée d’échouer dans la mission que lui avait confié Kao. C’était la seule raison cohérente.

Les pierres ! Il apercevait enfin le cercle qu’il avait construit pour délimiter leur bivouac. Mais il n’y avait aucun bruit. Tout était calme. La tension était retombée. Arrivait-il trop tard ? Il huma l’air. Une odeur particulière flottait. Celle du sang. Est-ce que cela signifiait que Mya était morte ? Non, elle lui avait affirmé savoir se battre. Elle pouvait simplement avoir vaincu ses attaquants. Mitra inspira puis expira. Il était inutile de se perdre en conjectures. Il lui suffisait d’avancer encore un peu pour savoir.

Envolée. Disparue. La jeune femme n’était plus là. Seul gisait le cadavre d’un daitya. Mitra analysait attentivement la scène. Le mort était décapité en plus d’avoir perdu un bras, ce dernier reposait plus loin, encore recouvert de glace. La magie qu’il avait ressentie devait en être à l’origine. C’est donc Mya qui l’avait vaincu. D’autre part, il ne parvenait à sentir qu’un seul sang. L’ancestrale était vraisemblablement toujours vivante. Cela signifiait qu’elle avait été capturée, certainement par des compères du cadavre.

Mitra se rapprocha du sol, à la recherche d’autres indices. Il chercha des traces : de lutte, de pas. Mais il n’y avait rien, en dehors de celles de l’affrontement. Les agresseurs avaient pris soin de couvrir leur piste. Voilà qui ne l’arrangeait pas. Que faire ? Il réfléchit. La glace était encore épaisse. Vu la température ambiante et le moment où il avait senti la magie dans l’air, le combat s’était déroulé il y a peu. Cinq minutes peut-être. C’était aussi le temps qu’il lui avait fallu pour revenir ici. Mya n’avait pas pu être emportée au moment où elle combattait. C’était donc l’avance maximale qu’ils pouvaient avoir sur lui. Le mort ne semblait pas avoir été déplacé et il tournait le dos au sud. Il pouvait donc supposer que c’était de là qu’il venait. Si les ravisseurs étaient bien ses alliés, en toute logique ils étaient arrivés du même endroit. Et certainement ils y retournaient désormais. C’était sa meilleure chance.

Une lune rougeoyante éclairait le ciel tandis que le daitya faisait marche vers ce qu’il espérait être la destination des ravisseurs. Il ne pouvait en acquérir la certitude, les quelques minutes d’avance étaient suffisantes pour que les dunes empêchent Mitra de les apercevoir. Il lui fallait aussi se contenter de marcher. À la fois pour rester discret, mais aussi pour économiser ses forces. Il n’avait aucune idée du nombre d’ennemis qu’il aurait à affronter pour libérer la jeune fille. Il était déterminé à la sauver, quitte à y laisser la vie.

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