Chapitre Dixième : Mitra

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La rapière de son ancêtre cognait contre sa jambe, elle en avait ceinturé le fourreau à sa taille dès leur départ de l’armurerie. Elle ne connaissait rien de cette Ilayda, fondatrice de l’Empire Ancestral. Mya n’avait certes jamais été très assidue et attentive aux cours d’histoire divulgués par Isis et Dévandra, mais une telle information se serait imprimée dans son esprit.

Elle ne comprenait pas pourquoi on lui avait caché une telle chose. Était-ce par crainte qu’elle ne développe un sentiment de supériorité vis-à-vis des autres ancestraux ? Non, cela n’avait pas de sens. Inlassablement on lui avait répété à quel point elle était particulière, unique. À cause de cela elle s’était toujours sentie différente.

La jeune femme se reprit. Kao leur avait donné rendez-vous dans la tour sud, et c’est là qu’elle se dirigeait. Il désirait observer ses capacités, ainsi que celles de Chizu. Cette dernière l’avait fuie toute la journée, rendant impossible toute discussion. Mya ne comprenait pas le comportement de l’adolescente, ni pourquoi elle l’avait espionnée la veille.

Être adoptée par la déesse du Mal, voilà qui une pensée qui la terrifiait. La fille aux yeux vairons vivait-elle réellement par choix avec Nakãra ? Mya ne parvenait à concevoir une telle chose, elle tremblait encore de la démonstration de puissance de la déesse lors de son attaque, alors qu’elle ne l’avait même pas vue. Et les démons ! Les enfers devaient pulluler de créatures similaires à Zaefan. Elle frissonna en repensant à ses griffes.

L’image de Mitra lui traversa l’esprit. Lui aussi possédait une apparence assez repoussante. Pourtant il s’était avéré être un allié de taille, avant de périr aux mains de la faucheuse afin de la protéger. Il avait traversé le désert pour la retrouver et venir à son secours, sans une once d’hésitation.

Suite à cela Maria avait néanmoins tenu parole. Mya ne se l’expliquait toujours pas. Ses croyances se retrouvaient chamboulées et les gens ne semblaient pas être aussi manichéens qu’elle ne l’imaginait. Cela signifiait aussi que la femme rousse espérerait certainement quelque chose d’elle en retour, un jour.

Leur séparation avait été encore plus étrange que leur alliance hétéroclite. Maria lui avait caressé le visage avant de lui arracher un baiser et de la jeter à travers le portail. Mya s’en était presque étouffée.

Votra déposa la robe de la jeune Tamashi sur la table que Kao lui avait indiquée. Le regard du dieu ne laissait aucun doute, il ne fallait pas poser de question. Elle cogna contre le meuble en voulant s’éclipser, l’habit laissa s’échapper un curieux cristal dans sa chute. La daitya voulut le ramasser mais se retrouva téléportée dans ses quartiers, sans autre forme de procès.

Kao fit léviter le quartz jusqu’à lui. Son éclat variait, comme s’il respirait ou battait tel un cœur. Aucun doute n’était possible, c’était un cristal d’âme. Le dieu l’analysa avec attention. Il avait ressenti sa présence dès que Mya était entrée dans le manoir. Il ne s’expliquait pas comment un tel objet se retrouvait dans ses possessions.

Il claqua des doigts et extrayit l’esprit qui s’y trouvait enfermé et lui donna consistance. Il s’étonna de voir Mitra prendre forme devant lui.

— Eh bien, je te croyais aux mains de la faucheuse.

Le daitya porta ses mains à son cœur, il y cherchait la blessure laissée par la faux. Il se calma, s’agenouilla et répondit :

— J’ai échoué dans ma mission, j’ai surestimé mes capacités et par orgueil j’ai affronté un ennemi dont j’ignorais tout…

— Il suffit, le coupa Kao. Ces excuses n’apportent rien. Mya est sauve.

— Mais…

— N’insiste pas Mitra. Cependant les agissements de cette Maria me laissent perplexe. Comment savait-elle pour la fresque ?

Le dieu marqua une pause, pensif.

— Je vais te renvoyer sur le Marevu, reprit-il, afin que tu te réincarnes. Je n’ai pas le temps de te réincarner moi-même. Ensuite tu recevras tes instructions.

— S’il vous plaît…

— Cesse donc de discuter. Réalises-tu dans quelle situation nous sommes ?

— Bien maître, accepta Mitra à contrecœur.

Kao le chassa d’un geste las. L’âme du daitya s’évapora, renvoyée aux Eaux de l’Oubli. Le dieu se volatilisa à son tour. Il était attendu ailleurs, dans la tour sud.

Quand Chizu arriva en haut des escaliers, elle s’arrêta brusquement. Mya était déjà là. Elle paniqua et voulu faire demi-tour, fuir jusqu’à sa chambre. Elle refusait de se retrouver seule avec cette inconnue.

L’ancestrale la saisit par le bras. Sa retraite était coupée. Mais il n’y avait pas une once d’animosité sur le visage de Mya, elle souriait, dévoilant des dents parfaites.

— N’aie pas peur Chizu ! Je ne t’en veux pas de…

Mya ne put terminer sa phrase, la jeune fille aux yeux vairons venait de se dégager de son étreinte et s'était murée dans son esprit, non sans lui avoir jeté un regard noir avant. Elle soupira et s’assit sur les marches.

Alors que la jeune Tamashi s’interrogeait sur ce qui pouvait prendre autant de temps à Kao, une intense lumière blanche jaillit de derrière la porte. Cette dernière s’ouvrit, dévoilant le dieu dans toute sa splendeur. Il se décala et les invita à entrer dans la tour.

Elle avait été aménagée en un immense terrain d’entrainement. Si grand qu’il disposât même d’un ciel et d’un horizon. Les pouvoirs divins paraissaient infinis en contemplant ce décor.

Plusieurs mannequins se dressaient, éparpillés, prêts à recevoir coups et sorts. Mya ne comprenait pas l’utilité de combattre de tels pantins inanimés. Comment des objets inertes pourraient les préparer à affronter des dieux ?

Kao sembla lire dans son esprit, il claqua des doigts et les mannequins s’animèrent. Certains changèrent même d’apparence, revêtant parfois celle de Nakãra, parfois celle de démons ou encore de golems.

Rien ne troublait la vaste étendue couleur sang, rien ne perturbait la quiétude de ce lieu si sacré pour les daityas. Les Eaux de l’Oubli, une mer rougeoyante, infinie. Là où toute vie prenait fin sur le Marevu. Là où toute vie recommençait sur le Marevu.

Les ténèbres recouvraient l’endroit de leur sombre manteau. Un orbe lumineux le déchira. Il fusait à travers cieux. Il brillait de mille feux.

La sphère arrêta sa course, elle survolait les Eaux de l’Oubli. Elle plongea. Son éclat se volatilisa, englouti par la mare de sang. Le calme absolu reprit possession des lieux.

Une silhouette s’extirpa de l’étendue sanguine et s’éloigna dans l’obscurité de la nuit.

La rapière fendait l’air avec précision et rapidité, pourtant Mya continuait de manquer sa cible. Elle n’avait eu aucun mal contre les mannequins, les journées passées à s’entrainer avec Opalis montraient enfin leur utilité. Néanmoins elle ne parvenait pas à atteindre Kao.

Lorsqu’il avait constaté avec plaisir — ce n’était qu’une simple supposition de Mya tant il était complexe de lire les expressions du dieu – que la jeune femme parvenait à défaire ses opposants avec tant d’aisance, il lui avait proposé un duel. Peu importait l’apparence réaliste des pantins, ils n’égaleraient jamais le talent de véritables sabreurs ni la dangerosité de véritables ennemis.

Surprise de ses propres capacités, Mya avait accepté avec plaisir. Désormais elle regrettait, elle se sentait totalement impuissante. S’était-elle réellement imaginée vaincre Kao au cours de ce duel ?

Il ne lui laissait aucun répit. À chaque coup d’estoc qu’elle manquait, il contrattaquait aussitôt. Tant bien que mal elle était parvenue à parer, de justesse, ses ripostes incessantes.

— Tu es trop prévisible. Tes appuis sont rigides et non souples. Tes attaques se lisent dans ton regard, décocha-t-il en même temps qu’il effectuait une attaque de tranche.

Opalis lui avait souvent répété ces mêmes remarques, elle pensait, depuis, avoir corrigé ces défauts ; mais le stress la faisait retomber dans ses vieux travers.

Elle se concentra sur sa respiration et vida son esprit. Elle devait laisser s’envoler ses craintes et ses doutes si elle souhaitait réussir ce duel. Elle devait ne faire plus qu’un avec sa lame, devenir la rapière et danser au rythme de la musique.

Elle expira et se laissa portée par la mélodie qui émanait de Kao. Une complainte envoûtante, parsemée de pleurs et de peurs. Elle ne subissait plus les coups du dieu, elle les suivait et se laissait entrainer. Puis elle devint la meneuse, la valse était sienne, elle décidait.

La lame vola dans les airs et se planta dans le sol. Il l’avait désarmée en un éclair, et menaçait la gorge de Mya de la pointe de son épée.

— C’était mieux sur la fin. Mais lorsque tu as cru prendre le dessus tu t’es déconcentrée et tu as commencé à me sous-estimer. Dans un vrai combat tu serais morte.

L’arme du dieu s’écrasa par terre ; il l’avait lâchée, stupéfié parce qui venait de se produire. Chizu se tenait derrière lui, la mine satisfaite. Elle admirait ses dagues plantées dans le dos de Kao.

— Rare sont les combats à la loyale, dit-elle. Mère m’a toujours enseigné l’importance de la ruse et de la sournoiserie. La beauté d’un duel importe moins que la survie.

Le dieu du Bien claqua des doigts et les armes ainsi que ses blessures disparurent. Alors que sa tenue se reconstituait Chizu pu constater la présence des minuscules larmes blanches ici aussi. Celles sous ses yeux semblaient loin d’être les seules.

Kao se tourna vers la fille aux yeux vairons. Il ne s’expliquait toujours pas comment il n’avait pas ressenti sa présence avant qu’elle ne parvienne à l’atteindre.

— Tu as parfaitement raison. Et face aux Créateurs cette mentalité sera une nécessité. Eux n’hésiteront pas à user de coups bas. Alors n’hésitez pas à attaquer à plusieurs ou dans le dos. Il en va de votre survie.

Chizu leva les yeux au ciel. Son petit discours ne l’intéressait pas. Elle n’appréciait pas cet homme. Il était au moins aussi froid et distant que Nakãra et se cachait derrière un prétendu masque de bonté et de bienveillance. Elle n’y croyait pas. Il cachait trop de choses. Elle n’avait pas oublié ses réactions lorsque Mya posait ses questions. Et les larmes qui paraissaient recouvrir son corps ne faisaient qu’épaissir le mystère.

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