Chapitre Vingtième : Séparation
Son cœur continuait de battre. Quel soulagement ! songea Mya. Elle peinait à croire que le combat était fini. Pourtant la quiétude régnait de nouveau. Pas un faux silence, comme celui imposé plus tôt par Nihil. Non, une véritable nuit paisible, fourmillant de vie et des bruits qui l’accompagnaient. La lune les baignait toujours de sa douce lumière. Mya ferma les yeux. Elle s’allongea sur le sol froid, à côté de son amie. Était-ce de la joie qu’elle ressentait ? L’alégresse de la victoire ? Non, elle était simplement heureuse parce qu’elle était en vie. Et Chizu aussi.
Zaefan la sortit de sa torpeur. Il avait retrouvé son apparence quasi humaine. Heureusement, car sa forme libérée vaudrait de nombreux cauchemars à Mya. Et même ainsi, son apparence restait terrifiante. Démon un jour, démon toujours. Il la dévisageait. Il semblait vouloir lui parler, mais ne pas parvenir à trouver ses mots. Son regard insistant, ainsi que l’absence de paroles, angoissèrent Mya. Que désirait-il ? À l’observer à son tour, sa gorge s’était nouée. Les souvenirs remontaient.
Avec la violence et le désordre du combat qu’elle avait mené, elle avait failli oublier. Il avait beau leur avoir permis de l’emporter face à Raito et Shidesu, il n’en restait pas moins un ennemi ! C’est lui qui avait attaqué l’Empire Ancestral. C’est à cause de lui qu’elle avait été séparée de sa famille de cœur, forcée de fuir. Elle se redressa en hâte, la main sur le pommeau, prête à dégainer.
— Que veux-tu, Zaefan ? Maintenant que les Créateurs sont vaincus, tu veux finir le travail que tu avais commencé ?
— Ne sois pas stupide, Ancestrale, dit-il avec fureur. Ma maîtresse est morte, je n’ai plus aucune raison de t’enlever. Pour l’instant.
— Ah ! Je le savais.
Elle recula de trois pas et sortit sa lame de son fourreau.
— Je ne me laisserai pas vaincre facilement, démon.
Zaefan soupira et vint s’asseoir à côté de Chizu. Celle-ci continuait de dormir d’un sommeil profond, que rien ne parvenait à troubler. Il plaça une main protectrice sur sa tête Il caressa ses cheveux.
— Cesse donc tes bêtises, Mya. Te méfier de tout n’est pas moins idiot que croire le premier venu. À l’avenir, apprends à mieux analyser tes interlocuteurs, sinon tu finiras par t’en mordre les doigts.
Il enchaina en pointant le cou de Mya.
— Surtout maintenant que l’amulette de Kao ne te protège plus. Bref, si j’avais voulu t’éliminer ou te capturer, ce serait déjà fait. Tu ne m’arrives toujours pas à la cheville.
— Alors ?
— Alors je veux simplement, m’entretenir avec toi à propos de Chizu.
— Pourquoi ?
— Nakãra est morte. Elle ne le sait pas encore, mais elle n’a plus de mère, plus de famille.
— Tu dis ça, mais tu sembles prendre soin d’elle comme de ton propre enfant. Elle m’a beaucoup parlé de toi. Ça ne date pas d’aujourd’hui ! Tu tiens énormément à elle.
— Justement. Je suis un démon. Je ne suis pas fait pour élever une jeune fille. Elle mérite mieux que moi et un vieux manoir vide. Et surtout, lui comme moi, sommes enchainés aux Enfers. Sans Nakãra, nous finirons par y être rappelés, tôt ou tard. Et Chizu ne doit pas y retourner. Jamais.
Sa voix tremblait. Mya ne comprenait pas bien pourquoi, mais le démon semblait réellement terrifié à l’idée que Chizu retourne chez-elle.
— Mais, n’est-ce pas son monde ? N’a-t-elle pas tous ses souvenirs là-bas ? Tu voudrais l’en priver ? Et de ta présence aussi ? Justement alors qu’elle en aura besoin plus que jamais, maintenant que Nakãra n’est plus ? Explique-toi, Zaefan !
— C’est bien parce qu’elle est morte que Chizu doit fuir ! Les Enfers vont se déchainer afin de trouver quelqu’un capable de les diriger. Un véritable carnage. Chizu y serait, au mieux, un pantin, servant à asseoir les ambitions d’un autre. Mais, elle risquerait surtout d’être tuée. Tuer la fille de Nakãra, voilà qui rendrait digne n’importe qui de trôner sur les Enfers. Aussi éphémère que cela puisse-t-être. Tu imagines bien que je ne te parle pas de ça par gaieté de cœur, Mya ! Nous restons des ennemis.
— Dans ce cas, où veux-tu en venir ?
— Tout nous oppose, mais j’ai vu comment tu t’inquiétais pour elle pendant le combat. J’ai aussi entendu ta souffrance, lorsqu’elle est morte. Je ne t’en veux pas. En bref, Mya, je veux te confier Chizu. Je veux que tu la prennes avec toi, dans l’Empire Ancestral. Là, et seulement là, elle sera à l’abri du danger. Peu importe qui dirigera les Enfers, aucun n’aura la puissance de traverser votre barrière.
— Et toi, Zaefan ? Pourquoi ne viendrais-tu pas aussi ?
— Ne me fais pas rire, Mya. Tu sais très bien que c’est impossible. J’ai tué bien trop des vôtres. Ta chère Isis fait peut-être partie de mes victimes. J’ignore si Copédra est parvenu à la sauver. Mais, Mya, accueillir Chizu sera peut-être plus complexe que tu ne l’imagines. Alors moi !?
Il avait raison et Mya le savait. Elle voulait quand même rêver de ce monde où Chizu n’aurait pas à perdre Zaefan en plus de Nakãra. Le démon attendait sa réponse ; elle ne faisait aucun doute.
— C’est d’accord. La destinée m’a offert une deuxième chance en la ramenant à la vie. Je ne faillirai plus. Je dédierai ma vie pour elle.
— Ne fais pas de promesses impossibles à tenir. Mais je te remercie du fond du cœur, que je n’ai plus.
Il marqua une pause, fronça les sourcils et soupira.
— Tu n’as aucun moyen de repartir d’ici, je me trompe ? dit-il.
— Kao…
Mya réalisait, avec effroi, que le dieu avait disparu, pour de bon. En plus de la téléporter contre son grès quand elle ne le voulait pas, il partait sans prévenir quand elle en avait besoin !
— Décidément, maugréa Zaefan, il y a des choses qui ne changeront jamais avec les dieux.
— Je fais comment moi maintenant ?
— Ce manoir dispose de plusieurs portails. L’un de ceux-ci permet de rejoindre la demeure de Kao.
— Co…
— Il fut un temps où ils étaient alliés. Ce portail en était un symbole, réduit à l’état de souvenir. Mais il est fonctionnel ! Ils s’en servaient encore, à l’occasion.
Alors que la lune se couchait, les premiers rayons du soleil prirent le relai et illuminèrent la serre et teignirent le ciel de couleurs chatoyantes. Zaefan souleva avec tendresse Chizu ; il était temps de partir. Il fit signe à Mya de le suivre, alors qu’il demandait au manoir de les guider jusqu’au portail. Celui-ci ne se fit pas prier. Au prix de quelques réagencements, il positionna la pièce juste à la sortie de l’aile Ouest. À l’intérieur, averti par le bâtiment vivant, Bobby le grobelin attendait, fidèle au poste.
— Bo-bby, con-tent ! Mya vivante ! Survécu aux Enfers !
— Oui, je viens bien, sourit-elle. Et toi ?
S’il en avait eu les capacités physiologiques, le grobelin aurait rougi. Personne ne lui posait ce genre de question habituellement.
— Bi-en aussi !
— Je crois encore avoir besoin de tes services Bobby, dit-elle en s’agenouillant. J’ai besoin de rentrer chez moi
Bobby gonfla sa poitrine et s’avança fièrement vers le portail.
— Toi pas avoir peur. Bo-bby, expert.
Mya eut à peine le temps de cligner des yeux que le portail prit vie. Son chant l’apaisa. Il était familier. L’odeur de bergamote lui emplissait déjà les narines. Elle s’imaginait sirotant le thé, dans le petit salon, aux côtés de Kao et Chizu. Si seulement, se dit-elle, si seulement. Le dieu s’était volatilisé. Le reverrait-elle un jour ? Tant pis. Le manoir blanc ne serait qu’une brève étape. C’est chez elle qu’elle rentrait. L’Empire Ancestral ! Dévandra, Opalis, Copédra et Isis ! Elle préférait ignorer les sombres paroles de Zaefan, elle avait foi dans les compétences de l’alchimiste. Isis vivait. Son cœur s’emplit de joie à l’idée de les revoir. Cette fois, c’est elle qui narrerait les histoires ! Ils boiraient ses paroles. Trembleraient devant les défis qu’elle a affronté. Riraient de ses maladresses. Elle leur présenterait Chizu aussi. Ils l’accueilleraient à bras ouverts, car ils étaient ainsi. Elle n’en doutait pas. Mais alors, quelle était cette crainte qui se terrait dans son esprit ?
— Bo-bby, fini !
— Merci !
Elle enlaça le grobelin de toutes ses forces et déposa un baiser sur son front. Ce petit être lui avait sauvé la mise à deux reprises. Un jour elle lui revaudrait cela. En attendant, elle ne pouvait que lui exprimer sa gratitude. Elle n’avait rien à lui offrir. Et puis, quel genre de chose pouvait bien intéresser un grobelin ? Écouter ses leçons lui aurait apporté la réponse.
— C’est ici que nos routes se séparent, Ancestrale.
— Adieu, Zaefan, souffla Mya.
Alors que le démon déposait Chizu dans les bras de Mya, la main de la jeune fille s’agrippa à la sienne. Toujours endormie, elle refusait pourtant de le lâcher. Sa prise était ferme. Des larmes, qu’il avait réussi à retenir jusqu’ici, coulèrent sur ses joues ; lui aussi désirait rester à ses côtés, mais c’était impossible.
— Zae… murmura Chizu.
— Pardonne-moi, Chi. Je n’ai pas pu sauver ta mère. J’ai échoué à protéger ma maitresse. Tout est de ma faute.
Ses paroles se perdirent dans le vent. Elle dormait. Elle finit par lâcher sa prise. Il intima à Mya de traverser le portail rapidement. Il fallait à tout pris éviter qu’elle ne se réveille avant d’avoir rejoindre l’Empire. Elle était bien trop bornée. Il leur deviendrait impossible de l’y emmener.
— Je te le propose une dernière fois, Zaefan. Tu es certain de ne pas vouloir venir avec nous ? Ne serait-ce qu’essayer !
— Je te remercie de ta considération, mais c’est peine perdue. Et j’ai encore des choses à accomplir.
Il la poussa à travers le portail. Elle disparut à travers la membrane magique. Zaefan donna l’ordre de sceller le portail et quitta la pièce.
∞
Quand elle entendit le murmure du portail, Votra se précipita jusqu’à lui. Elle masqua sa déception avec peine, esquissant une légère grimace, lorsqu’elle réalisa l’absence de Kao. Mya ne lui laissa pas le temps de parler. Elle lui raconta brièvement leur victoire, suivie de la disparition du dieu. Elle était pressée. Elle devait rejoindre l’Empire Ancestral en hâte, pour y conduire Chizu. Petite effrontée, pensa Votra. Qu’était-il advenu du respect des ainées. D’ailleurs, cela ne lui ressemblait guère de se comporter de la sorte, elle qui se montrait toujours si polie d’ordinaire. Et il était vraie que la jeune Chizu ne semblait guère en forme, endormie dans les bras de Mya. La servante en conclut qu’il valait mieux obtempérer. Elle en toucherait tout de même quelques mots à Kao, à son retour. Elle pointa du doigt le portail couleur lavande qui se dressait juste à côté de celui dont Mya venait d’émerger.
Pas besoin de parcourir le manoir en long et en large. La visite s’avérait encore plus brève que Mya ne l’avait imaginée. Elle inspira une grande bouffée d’air. Elle voulait s’imprégner de la douce odeur de bergamote avant de partir. Il n’y avait pas de tel thé dans l’Empire. Elle en parlerait à Dévandra, peut-être serait-il possible de trouver un moyen d’en importer. Sinon Copédra pourrait sûrement inventer une quelconque décoction dont les saveurs seraient assez proches. Mya rit — laissant Votra dubitative sur son état mental. Il l’avait à coup sûr déjà fait ! Mya traversa avec hâte le second portail.
Des larmes coulèrent sur ses joues. Enfin ! Elle faillit s’écrouler. Elle se retint in-extremis, mieux valait ne pas s’étaler au sol avec Chizu dans les bras. À la place elle tourna sur elle-même. Cette fois, le portail conduisait au milieu des jardins du palais. Les effluves des fleurs flottaient dans l’air, charmant les narines à chaque inspiration. Le ciel violet était resplendissant ! Son reflet dans le cours d’eau aussi. Et le rugissement de la cascade qui se jetait en contrebas, puis traversait la ville et sa myriade de canaux. D’ici elle parvenait même à apercevoir le grand chêne cristallin !
— Je suis rentrée ! s’écria-t-elle en continuant de tournoyer.
Les portes du palais s’ouvrirent avec fracas. Une tête blonde, que Mya pouvait reconnaitre entre mille, déboula à toute vitesse, les lunettes complètement embuées, les bras écartés, hurlant comme une armée entière.
— Isis !
— Myaaaaaaaa ! continuait-elle de crier. Te voilà rentrée. Si tu savais, j’étais tellement inquiète de te savoir si loin de nous. Je sais que Kao était là pour veiller sur toi, mais tout de même !
Elle plissa les yeux à la vue de Chizu.
— Qu’avons-nous…
Elle s’interrompit quand elle réalisa l’identité de la personne que portait Mya.
— Mya ? Tu veux bien m’expliquer ce que tu fais avec la fille adoptive de Nakãra dans les bras ?
— Bien sûr, mais j’aimerais le faire devant vous tous, pour ne pas me répéter, et surtout après l’avoir déposée dans un lit ! Elle pèse son poids, peina-t-elle.
Isis éclata de rire à la vue du visage de Mya. L’effort y creusait un rictus terriblement ridicule, sans même parler de sa couleur virant à l’aubergine. Sans plus attendre elle l’invita à rentrer dans le palais.
Une fois Chizu déposée sur le lit de Mya, Isis s’activa à réunir le reste du quatuorvirat dans les appartements de Dévandra. Pour une réunion officieuse, ils étaient les plus adaptées. Dévandra les y attendait déjà. Elle se précipita sur Mya et l’enlaça de toutes ses forces. Elle n’avait pas eu l’occasion de lui dire correctement au revoir lorsque l’Empire avait été attaqué. Cela avait profondément entaché son moral et depuis lors, elle avait compté les heures à attendre le retour de la jeune Ancestrale. Autant que son emploi du temps le lui permit.
Opalis fut la deuxième à les rejoindre. Malgré les sentiments qui bouillonnaient en elle, elle resta, presque, de marbre à la vue de Mya. Le capitaine de la garde impériale ne peut pas fondre en larmes. Mais sa moue la trahissait. Personne ne dit rien ; tous savaient.
Enfin, Copédra arriva, en retard comme toujours. Lorsque Mya avait fui, il était encore prisonnier des Enfers. Pendant tout son trajet du Marevu, elle le pensait même mort ! Quel soulagement cela avait été de l’apercevoir, un très bref instant, chez Kao. Il lui fit un clin d’œil et s’assit en silence.
— Bien, commença Isis. Nous voilà tous réunis, d’une part pour chaleureusement accueillir notre chère Mya, pour son retour à la maison. D’autre part car elle a toute une aventure à nous conter. Néanmoins, j’aimerais avant toute chose vous révéler la présence de Chizu au sein du palais et demander des explications à Mya à ce sujet.
Au nom de la fille adoptive de Nakãra, les yeux de tous s’arrondirent de stupéfaction. C’est Dévandra qui prit la parole la première, avant que Mya ne puisse se justifier :
— J’espère que tu as de très bonnes raisons. En l’amenant ici, tu nous mets tous en danger.
— Afin de vaincre les Créateurs, Kao a dû se résoudre à tuer sa sœur, expliqua Mya. Nakãra, la déesse du Mal, n’est plus. Je l’ai vue périr, de mes propres yeux ! Son corps s’est totalement désagrégé. Puis Kao a disparu.
— Donc tu nous affirmes que la déesse ne viendra pas s’en prendre à l’Empire afin de récupérer son enfant ? s’enquit Opalis.
— Oui.
— Mais cela n’explique pas pourquoi tu l’as ramenée ici, enchaîna Copédra. Sa place est aux Enfers. Pas ici.
— C’est Zaefan qui me l’a demandé. Elle ne doit jamais retourner aux Enfers.
— Le démon ? s’écria Isis. Et pourquoi ne devrait-elle jamais rentrer chez elle ? C’est louche, surtout venant de lui.
— Elle y serait tuée par un quelconque prétendant au trône. L’endroit est tout bonnement trop dangereux.
— Cela fait sens. Mais si je te comprends bien, dit Dévandra, tu veux que nous lui offrions asile, sur les demandes d’un démon ?
— Non, c’est aussi mon souhait. J’ai une dette envers elle. C’est mon amie, et je l’ai tuée.
— Pourtant, elle respire.
— Je n’ai pas compris tout ce qu’il s’est passé à partir de cet instant. Je sais juste qu’elle est revenue à la vie et qu’une entité du nom de Nihil l’a temporairement possédée. Je reviendrai plus en détails sur elle plus tard. Il faut aussi que vous sachiez que Kao a appelée Chizu, l’Élue.
Tous marquèrent un long silence. Ils s’échangeaient des regards qui en disaient long. Ils parlaient par télépathie, sans que Mya ne puisse participer. Elle ignorait tout ce qu’ils pouvaient se dire et elle n’appréciait pas cela. Mais elle ne dit rien. Elle resta à sa place. Le sort de Chizu était entre leurs mains.
— Je propose que nous passions au vote, reprit Dévandra à voix haute. Que ceux qui sont pour accorder l’asile à Chizu, fille de Nakãra, lèvent la main.
— J’ai fui les Enfers à ses côtés, elle me semble torturée mais pas mauvaise. Et puis si c’est à la demande de Mya, je suis pour, dit Copédra en levant sa main.
— Je n’ai pas confiance dans les paroles d’un démon, mais je crois en toi, Mya, déclara Isis en levant la main.
— J’ai exprimé mes craintes, tant que des mesures pour assurer notre sécurité sont mise en place, je ne m’y oppose pas, enchaina Opalis en levant la main.
— Alors, à l’unanimité, termina Dévandra en levant la main, nous acceptons d’accorder l’asile à Chizu, fille de Nakãra. Se faisant, à compter d’aujourd’hui, elle devient une citoyenne de l’Empire Ancestral. Néanmoins, Mya, elle sera soumise, jusqu’à nouvel ordre, à un couvre-feu strict. Et elle n’aura pas non plus l’autorisation de quitter le palais seule. En cas de manquement, tu seras jugée responsable. Est-ce que cela te convient ?
— Oui, Dévandra.
∞
Quelqu’un lui caressait la joue. Elle s’enroula encore plus dans sa couette. C’était agréable. La chaleur de la main sur sa peau. Le moelleux de la literie. Elle aurait pu rester ainsi pour toujours, dans ce confort douillet. Elle s’enivrait de l’odeur de lavande emplissant les draps.
— Chi ?
C’était la voix de Mya. Était-elle en retard pour un entrainement et son amie était venue la chercher ? Des bribes de souvenirs défilèrent devant ses yeux. Les ténèbres profondes. Murkhata. Le froid de l’acier qui pénétrait son cœur. Le regard de Mya. Puis le vide. La chaleur. Et le néant. Non, elle ne venait pas la chercher pour s’entrainer, le combat avait déjà eu lieu ; elle y était morte. Alors que faisait Mya ici ?
— Est-ce le Para…
Elle s’interrompit. Le mot restait coincé en travers de sa gorge. Il déchirait ses entrailles, lacérait son esprit. Pourquoi ? La sueur ruisselait de son front. Elle ouvrit grand les yeux et croisa la mine inquiète de son amie. Celle-ci lui serrait désormais la main avec douceur et fermeté.
— Un souci, Chi ?
— J-je… Où suis-je, Mya ? Nous sommes mortes ?
— Non, tout va bien, tout est fini. Nous avons gagné. Et nous vivons ! Tu es à l’abri dans l’Empire Ancestral.
Chizu se releva presque instantanément. Cela n’allait pas. Elle n’avait rien à faire ici. Si les Créateurs avaient été vaincus, sa place était aux Enfers, aux côtés de Nakãra et de Zaefan. Pas ici, au milieu des Ancestraux que sa mère lui avait appris à mépriser. Elle dévisagea Mya. C’est vrai, elle était parvenue à se lier d’amitié avec elle. Pourtant cela ne changeait rien. Elle devait rentrer chez elle.
— Je dois retrouver Mère.
— Chi, attends !
Les yeux de Mya brillaient, trahissant une vérité que Chizu souhaitait ignorer. Elle détourna ses prunelles vairons et planta son regard dans le mur qui lui faisait face. Elle serra les poings si fort que ses onglets marquèrent sa peau, jusqu’au sang.
— Ne dis rien… j’ai compris, souffla-t-elle. Nakãra est morte.
L’Ancestrale resta silencieuse, elle ignorait comment soulager la souffrance de son amie.
— Dans ce cas, je rejoindrai Zaefan. Il va avoir besoin de moi.
— Non, Chi…
— Ne me dis pas qu’il est mort lui aussi. Je t’en supplie.
Elle retenait ses larmes, Mya le voyait bien. La jeune fille se mordait les lèvres et ses yeux déborderaient bientôt. Alors, le torrent d’eau salée se déverserait, son tumulte se déchaineraient sur ses joues roses, avant de se jeter sur les draps. Pour lors, le barrage tenait bon.
— Il est vivant, la rassura Mya. Mais c’est lui qui m’a demandé de prendre soin de toi.
— Pourquoi ne le fait-il pas lui-même... dit-elle en étouffant un sanglot.
— Il craint pour ta sécurité, maintenant que Nakãra n’est plus. Il aurait voulu rester à tes côtés, mais selon lui, le risque est trop grand. Les Enfers vont se transformer en champ de bataille, Chi !
— Pas grave ! C’est le premier démon, le bras droit de Mère, il vaincra tous nos ennemis !
Mya la prit dans ses bras. Elle colla sa joue contre son crâne et lui tapota le dos. C’en était trop, Chizu se laissa aller. Un véritable déluge s’abattit dans la chambre, déchiré, çà et là, par ses cris de rage, de désespoir, de peine… Elle voulait se blottir dans les bras de Nakãra, mais elle ne le pouvait pas. Elle n’avait même pas pu lui dire adieu. Pourquoi ? Pourquoi la déesse n’avait-elle pas attendu de voir Chizu pour mourir ?
— Ça va aller, Chizu, tout va bien se passer. Je suis là, avec toi. Tu n’es pas seule. On va traverser ça ensemble. Ok ?
La tristesse était trop grande, trop profonde, pour qu’elle ne lui réponde. Mais ses mots l’atteignirent malgré tout. Ils ne pouvaient pas effacer sa douleur ; tout au plus l’apaiser. Seul le temps pourrait refermer les plaies qui s’étaient ouvertes. Et pour la première fois, Chizu enlaça Mya à son tour, enfouissant son visage dans sa robe. Elles restèrent ainsi jusqu’au coucher du soleil, sans un mot, sans un bruit. L’étreinte leur suffisait pour communiquer leurs sentiments. Les paroles auraient été superflues, malvenues.
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