Trois heures
Trois heures du matin.
Est-ce que je rêve ? Je ne sais pas.
Le monde est encore endormi. Pas de lumière dans la maison. Grand-mère devrait être dans sa chambre. Je ne peux pas la réveiller pour lui parler. Qui voudrait en fait me parler à trois heures ?
C'est bizarre comme ça arrive plus fréquemment ces derniers jours. Je me réveille, l'haleine court et je regarde autour. Je me dis que ce n'est rien, le lendemain. Grand-mère me demande si j'ai bien dormi et je réponds : "J'ai bien dormi, t'inquiète".
Je ne compte plus les jours depuis son départ, ou bien je les compte inconsciemment. Oui, je les compte.
J'ai promis de ne pas pleurer. Je pleure à trois heures du matin. Je pleure à ce moment-là parce que personne ne m'entend. Mais personne m'entend. Personne au fond de moi, me rongeant avec ses dents pointus et ses griffes qui s'infiltrent dans ma chair.
Je me rends compte que c'est déjà sept heures et qu'une nouvelle journée s'annonce. Je reprends le train, ce train de la vie. Est-ce que ce train me dirigera vers une destination où je n'aurais pas à faire souffrir les gens avec mes conneries ?
Quelle connerie ai-je faite ?
Celle d'aimer ?
Non, pas celle-là. Celle d'aimer avec un fin savoir que ce n'est pas aussi sympa et idéaliste que dans mes rêves, que le départ sera un jour ou l'autre.
- Tu es déjà réveillée...
Je hausse les épaules.
- Je suis déjà réveillée ... Est-ce qu'on a encore des biscuits ou bien tu les as offerts aux voisins encore une fois ?
Elle est assise dans un coin de la cuisine, grignotant . Je n'ai besoin de voir pour savoir, c'est sa routine depuis des années.
- Tu es triste.
- Est-ce une question ou un constat ?
- Ce que tu voudras.
- Je veux des biscuits. J'ai faim.
Je n'ai plus l'envie de chercher quoique ce soit. Donc je vide un verre de jus dans mon estomac et je me prépare pour sortir.
- Tu vas où ?
- Cueillir des fleurs ? Oui, cueillir des fleurs.
- Maurice...
Ne tourne pas, ne tourne pas, ne tourne pas.
- Je ... souffre de l'insomnie ces derniers jours.
- C'est vrai ?
Je m'arrête pendant un instant, mon coeur cognant si fort.
- Je pourrais lire quelqu'unes de tes histoires pour s'endormir.
Je ris et puis l'envie de crier me suffoque.
- Comme tu veux, tu trouveras les manuscrits dans mes tiroirs...
Sa voix me parvient, monotone et impassible :
- J'attendrai ton retour.
*
Je ne vais pas cueillir des fleurs. Je lui ai menti.
La dernière chose que j'ai envie de faire est de cueillir des fleurs. C'est ridicule, elles ne sont belles que quand on les cueillit ensemble.
Non, ne pense pas à ceci. Pense à quelque chose d'autre. Vas-y, tu peux faire tout ce que tu voudras...
Je ne veux rien faire. Attendre ? je ne veux pas attendre.
Partir ? Je ne veux pas partir.
Rester ? Non plus.
Que devrai-je faire alors ? Toute place dans cette maudite ville porte son parfum, toute fleur me rappelle son toucher. Les cris des mouettes, ça sonne comme son rire. C'est incroyable, combien il me manque.
Je ne sais pas comment mais juste un peu de temps après, je me retrouve à trois heures du matin, encore une fois.
La chambre de grand-mère n'est plus sombre. Une vive lumière jaune m'éblouit quand je me rapproche.
Je la trouvai endormie, le manuscrit dans sa main. Je le retire doucement de sa main ferme et je m'assois sur le divan dans le balcon. Je lis et Je relis, au clair d'une Lune fantomatique. Je relis et Je lis. Dire que ces mots-là, ces doux mots, ces jolis mots sont les miens me fait rire. J'étais si heureuse. Je ne sais pas si je peux l'être un jour.
Je ne sais pas si je pourrai aimer quelqu'un d'autre.
Mais je sais que je ne me le permettrai pas.
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