Le noir

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Je ferme et j'ouvre mes paupières, sans qu'il y ait de différences. Il fait noir, autour de moi comme dans ma tête. Un noir qu'on ne peut pas chasser avec la lumière. Un noir maudit, qui tâche tout, qui engloutit toutes les autres jolies couleurs comme le bleu cyan, le jaune flamboyant ou le rouge vermeille.

- Paul.. Paul, tu dors déjà ?

Je fais sembler de respirer lourdement.

- Allô ?

Encore de l'air qui me brûle les poumons. J'essaie de les vider jusqu'au bouts.

- Ça se passe comment avec Maurice ?

Je trébuche et en se retournant dans mon lit grincheux, je murmure :

- Je croyais que j'étais mort pour toi y a longtemps... Pourquoi la question ?

- Je veux juste savoir comment vas mon petit frérot et que fait-il de sa vie amoureuse.

Je hais qu'on nous a mit dans la même chambre, avec des lits superposés. Mais au moins, je n'ai pas à voir sa figurine disloquée. Il me fait peur avec ses moues dérangées, comme s'il était sur le point de commettre un crime. Tout comme le cubisme de Picasso, des dessins fragmentées.

- C'est fini...

- C'est fini quoi ? Comment ça, qu'est-ce que tu dis ?

Je me mets sur mon séan et je rétorque :

- Maurice... C'est fini avec elle, je ne la vois plus.. Je ne la verrai plus.

Je l'entends descendre doucement vers moi et il prend une place dans le noir. Je ne sais pas vraiment où mais je sais que ses yeux de félin me scrutent avec déni.

- Ce n'est pas vrai, putain. Tu l'aimes, tu me l'as dit !

Je veux absurdement rire et je sens ma gorge se nouer.

- Je ne t'ai jamais dit la moindre chose sur aucun de mes sentiments.

- Ton visage est un canevas, je peus très bien lire tes émotions dessus. Et puis, tu rêvais d'elle. Je t'ai entendu dire un jour un truc comme : "Maurice, jolie Maurice. J'aime ton rire, Maurice. Laisse-moi jusqu'à mon dernier souffle."

Je me rapproche de lui et je lui siffle :

- Merde, arrête de m'énerver et laisse moi dormir.

- Tu l'aimes.

- Et puis ? Cela a-t-il d'importance maintenant ?

Mathieu me regarde comme si j'ai perdu la tête.

- Tu es si con. Ça, je le savais pas.

Je fonce sous les draps et il continue :

- Que s'est-il passé entre vous ?

- Rien.

Je reçois une gifle sur ma nuque.

- Espèce de chien..

- Est-ce que tu te rends compte que tu es sur le point de perdre la seule personne qui va te tolérer, espèce de con ?

- Perdue, je l'ai déjà perdue.

Mathieu a vingt ans et il se croit philosophe.

- Et puis elle est plutôt vieille, tu devrais tenter ta chance toi.

- Tu t'entends, là-bas ? Tu entends les conneries que tu es en train de dire ? Tu as juste appelé la fille qui t'a fait perdre la tête pendant deux ans vieille.

Je racle ma gorge :

- Je ne l'ai pas dit ça, elle est plus jeune que la rosée.

Mathieu reconnait dans ma voix brisée son signe pour se taire.

- Dors. Demain, tu vas la retrouver, tu l'embrasses et tu lui dis que tu l'aimes.

- Tu es fou.

- Je ne suis pas fou. Et je serai là pour que tu me regardes avec cette expression de "merci, tu m'as sauvé".

Cette discussion qui a duré quelques minutes a fait remonté cette nausée que j'essayai de contenir. Une semaine. Une semaine ? Une semaine. Je compte bien les jours. Des pétales fanées d'une marguerite, tombant inéluctablement sur la route alors que je fraie mon chemin, seul. Ma main est encore moite de son toucher, et mon visage dégouline de ses larmes. Maurice, Maurice, Maurice.

Que fait-elle maintenant ?

Pourquoi n'a-t-elle pas révolté contre ma décision ?

Je suis un abruti. Je veux qu'elle me laisse seul mais je veux aussi qu'elle crie au-dessus des toits des maison qu'elle m'aime. Et je lui ai dit que je ne l'aime pas.

- Elle ne sait pas ...

Mathieu se remue dans sa place.

- Quoi ?

- Elle ne sait pas que je l'aime.

Mon esprit refuse de me laisser contempler son image. J'essaie de se rappeler ses traits. Visage, était-il rond ? Ou un peu long ? Avait-elle des tâches de rousseur ? Je ne le crois pas. Euh, avec des yeux... bruns ? Peut-être noir. Et des cheveux dans l'air, parfois dans deux tresses commodes.

J'entends le tumulte de la cohue dans ma tête. Les Paul sont debous devant un canevas noir. Il savent très bien que derrière cette teinte maudite se trouve Maurice. Il essayent de gratter la toile, rien ne se passe. Ils regardent le noir. Ils essaient de penser à d'autres couleurs. De plus gaies couleurs. Rien ne se passe.

Pendant ce temps, quelqu'un quitte la pièce chaotique, avec des mains ensanglantés de peinture et un sourire démoniaque.

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