Saint Guillaume
Jamais Saint-Guillaume n’avait pensé la guerre capable de mettre fin aux jours heureux de ces habitants, ivre d'insouciance. Seules certaines âmes consciencieuses faisaient défaut à ce sentiment d’invincibilité. Vincent appartenait à cette catégorie d’esprits anxieux. Après tout, il n'était qu'un humble père de famille lui aussi victime des chamboulements de ce monde comme l’est la fourmie à l'arrivée du pic vert affamé. Son physique imposant ne permettrait jamais d'empêcher le cri des bombes si celui devait se faire entendre dans le ciel du Vercors, ni son tempérament de nature prévoyant et soucieux d’anticiper l’horreur des balles et les larmes des épouses.
En tachant de boucler sa vielle redingote bien abimée, il ne pouvait s'empêcher de penser que, bientôt, la guerre hisserait ces malheurs au plus haut des montagnes enneigées qui abritaient Saint-Guillaume.
Depuis le début du conflit, Vincent n'avait encore que très peu eu l’occasion de combattre. Il n'avait jamais fait partie des appelés mais avait toujours été avare de service patriotique. Son pays, il l’aimait, bien que malgré tout, l’essentiel pour lui fût de s’occuper de ces moutons et de prendre soin de sa femme, Thérése et de son fils, Rémi. Un sentiment de peur noyait de douleurs son estomac depuis qu’un télégramme lui fut adressé. Celui-ci était signé de la main de Pythagore et lui signalait qu’aux pieds de la colline, deux véhicules de la Gestapo furent aperçus pour la première fois. De quoi nourir ces constantes inquiétudes. D’un pas décidé, alors que la France n'était plus qu’idée lointaine et la collaboration loisir coutumier, l’homme, armé de ces affaires, alla trouver Thérèse, assise sur le lit, inquiète.
- Thérèse ? Ah ! Te voilà, je te cherchais.
Thérèse était une femme d’une beauté n’ayant point d’égale. Il se disait au village que la méditerrané puisait son bleu azur dans ces yeux. Elle considérait son rôle de mère et d'épouse avec plus de conviction que n'importe qui et aimait d'un amour infinit son homme et son petit garçon. Elle puisait également son courage et sa force dans une foi qu'elle avait à toute épreuve. Dieu était son appui.
- Tu t’en vas vraiment ? dit-elle.
Dans sa voix résonnait la terreur en personne et ses yeux étaient presque déjà noyés de larmes. Comme toutes les épouses, la peur se lisait sur chaque trait de son visage chaque fois que Vincent semblait prendre des risques. Il parlait peu, elle savait donc la situation grave . Elle avait pourtant déjà vu Vincent partir pour des missions clandestines après que Pythagore l'eût contacter. Mais, au monde, elle n’avait que Vincent et son Rémi. Elle offrit, par amour, d'accepter de ne jamais poser de question sur ce que des membres de la résistance pouvaient demander à Vincent - c'était la règle ultime - mais espérait, en échange, ne jamais voir la résistance lui prendre son homme.
Vincent s’approcha d’elle et l'enlaça dans ses bras. Après d’interminables secondes, il lui dit dit enfin
- Tu es inquiète ?
- C’est quoi l'opération de ce soir ?
- Pas grand chose, je te promets. Le petit des Martin dit avoir aperçu deux voitures de la gestapo aux trois gloires, je pars juste avec son père voir s'ils y sont toujours pour confirmer l’info. Si ils montent, ils faudra cacher nos fusils
S' il mentait, le mari savait qu’il le faisait davantage pour épargner sa bien aimée que pour respecter les consignes données par le chef du réseau. “Si tu parles, tue toi toi-même, ça nous évitera à tous de mourir pour rien” lui avait t-il lancé lors de leur première rencontre.
- Mr Martin ne peut pas s'y rendre seul ? interroga Thérèse,
Il déposa délicatement un baiser sur ses longs cheveux bruns avant de s’approcher de la fenêtre de la chambre conjugale, la plus petite pièce de la bergerie.
- Écoute, je peux pas t’en dire plus, mais je t’assure que je pars simplement me balader, je rentre, je leur transmets une info et terminé.
Thérèse peinait à le croire. Elle lui faisait confiance mais le connaissait trop pour savoir qu’il s’essayait au mensonge, ce qui, d’ailleurs, lui allait très mal.
- Et que faisait le petit des Martin si haut ? Et en plein hiver ? Il dit n'importe quoi.
Les Martin étaient des amis de Thérèse et Vincent. Apprécié de la commune, Mr Martin était également maire du village. Rondelet, il pouvait se vanter de son important score le jour de sa première élection 25 ans auparavant obtenu en offrant apéritif et repas régulier lors de sa campagne : les 97 électeurs l'avaient choisi comme maire. L’une des raisons de cette victoire fût, concède t-il, l’absence de concurrents. Quant à Mme Martin, elle tenait la boulangerie du village. c’était une femme très chic, mais à caractère compliqué. Les responsabilités de son mari la rendait parfois hautaine et difficile mais l’esprit fêtard de Mr Martin justifiait cette complémentarité : Derrière chaque épicurien se cache une femme qui se charge d’arrondir les angles. Elle était dur, mais il en avait bien besoin.
- Le petit des Martin partirait jusqu'à New York tout seul s' il le voulait il n’est jamais surveillé, s’agaça t-il. Ecoute, arrête de t'inquiéter.
- Tu vas tuer ? demanda Thérèse.
- Mais qu'est-ce que tu va t'imaginer. Thérèse, ne t’inquiète pas. Fais moi confiance et ne t'inquiète pas, tout se passera bien.
- Vincent, je n'y arrive plus ici. Les moutons crèvent un à un, on croule sous les dettes et je n'arrive même plus à donner cours au petit. Je suis fatigué. J'ai besoin de toi moi.
De discrète larmes ruisselaient sur son doux visage. Ce tableau était l’un des pires au monde, une image que nul n’aurait voulu s’infliger. De tous ceux qui connaissaient Thérèse d’aucun savaient qu’une mort lente et douloureuse était plus supportable que de voir de la misère et des larmes sur ce si beau visage plein d’amour et de bonté. L’une des premières victimes que ce terrible supplice fût Rémi. Il s’était, en effet, caché derrière la porte. Si faible devant cet odieux spectacle, il ne put résister à la tentation de dévoiler sa présence en courant dans les bras de sa mère.
- Qu'est-ce qui ne va pas maman ?
Thérèse elle-même se posait cette question. Pourquoi pleurait-elle ? Aprés tout, Vincent ne partait que quelque jours avec un groupe d’homme de Saint-Guillaume pour mettre en place une opération de sabotage. Ce n'était pas la premiere fois que son homme partait et sans doutes cela ne durerait que quelques jours. Pourtant elle pleurait.
Reprenant son calme, elle prit Rémy dans ces bras et lui dit :
- On va encore devoir passer quelques jours tous les deux, Papa doit s’absenter.
Rémy, se retournant vers son père :
- Ah bon, tu va oû ?
- Faire des choses de grandes personnes, Rémy.
Seulement âgé de 6 ans, il était difficile d'expliquer au petit garçon ces enfants tués, ces balles sifflant et cette France réduite à néant. Mais il obtiendrait sa réponse.
- Rémy tu sais, la France à perdu la guerre. Mais les ennemis continuent de vouloir nous faire du mal.
- Mais tu me disais que la guerre était finit et que les méchants avaient gagné !
Cette expression enfantine et maladroite toucha le cœur de Vincent. Si seulement tout était si simple : Un monde binaire, avec des méchants pour unir les gentils. Que son petit garçon n'eut encore l'âge d'avoir conscience du conflit prouvait sans doute que l'enfance possédait cette force de ne percevoir les souffrances du monde, et donc ces propres souffrances. En période de guerre, la naïveté était un trésor.
C’était en tout cas l’espoir de Vincent. Il mit fin à son explication et le serra dans ces bras.
- Allez mon petit soldat, prends bien soin de maman ! Tu es l'homme de a maison pour quelques jours ! Je suis de retour trés vite, d'ici là, n'oublie pas d'aller nourir les bêtes et tâche d'avancer ton travail.
- Papa ?
- Oui ?
- François, son papa est aussi parti en disant comme toi, il n’est jamais revenu.
Ce furent les derniers mots que s'échangèrent Vincent et Rémy avant le départ. Terrifié par le témoignage de François, un camarade du groupe des enfants de la paroisse, le petit garçon au cheveux brun s'était enfui dans l’une de ces cachettes coutumières sur les hauteurs du vercors pour pleurer toutes les larmes du monde, convaincu que le même sort pouvait attendre son héros paternel. Il aimait la montagne pour ce qui pouvait lui confier, c'est-à-dire tout, jusqu'à lui-même. Alors, lorsque le monde lui portait de nouveau un coup qu'il peinait à supporter, il partait en parler aux cimes et aux oiseaux. C'était son école.
- Je vais devoir y aller, ils m'attendent sur la place de l'église, on fait un point là bas avant de partir !
- Sois prudent, tu me le jure ?
- Je te le jure ! Mais ne t'inquiète pas, je serai vite de retour de toute façon !
- Tiens, je t'avais préparé un peu de gâteau au citron ! J'ai des torchons propres dans le meubles pour l'emballer !
Cette intention toucha l’homme malgré son inquiétude sur la place disponible de son sac ! La solution était vite trouvé : il le gardera a la main et le mangera sur la route, ne croyant nullement en ces chances de résister a l'odeur de celui-ci !
- Merci ma petite Thérèse ! Tu pensera bien à prier pour moi !
- Plus que jamais !
Ils s'embrassèrent une dernière fois. Thérèse avait retrouvé le sourire. La sérénité de son mari l'avait convaincu. Après tout ce n’est qu'une simple opération de quelques jours, sans combats direct. Il risquait moins que le village si personne ne faisait rien. Pourquoi diable s'inquiéter ainsi ?
Les hommes s'étaient rassemblés sur la place. Le soir couvrait de son grand manteau la vallée, et la bonne humeur ne se trouvait freinée par l'angoisse de ceux que l'ont pourrait désormais appeler des résistants. Il faut dire que les quelques mets préparé des épouses et les bouteilles de vin clandestinement caché par le patron du café prenaient autant de place et d'importance que les munitions, les fusils de chasses de chacuns et les quelques kilos d’explosif qui permettraient de mener à bien le projet.
Mr Martin prenait la tête du peloton et expliqua :
- Nous marcherons jusqu'au petit matin. L'idée est de faire en sorte que les allemands contournent Saint Guillaume en faisant disparaître le village. Ils ne chercheront pas à remonter jusqu'ici si nos pont ne leur permettent plus de suivre cet itinéraire.
- Comment ça, “disparaître” ? demanda l'un d’entre eux, comment vas t-on s’y prendre ?
- Un jeu d'enfant, explique t-il ! En changeant les panneaux d’indication, tout simplement. Nous allons redescendre toute la vallée pour effacer toute trace de saint Guillaume puis remonter en faisant sauter le pont des chevreuils derrière nous pour ne pas que les allemands ne tombent sur nous
- Mais donc, nous risquons de nous retrouver nez-à-nez avec eux ?
- Ça, je n’en sais rien. Nous ne sommes plus trop sûr de leurs positions. A vrai dire, les allemands n'avaient pas encore mis les pieds en zone libre jusqu'à présent. Nous ne sommes plus sûrs de rien. Attendons-nous donc à tous y compris au pire.
La réponse de Mr Martin avait installé une atmosphère pesante dans le groupe et les rires et les chants avaient laissés place à la crainte. Jusqu'à présent, l'invasion de la zone libre ne constituait qu’un cauchemar pour les habitants du village. Aucun d'entre eux n’imaginait, un jour, le vivre éveillé. Et si cette opération devenait plus qu’un simple détournement ?
La nuit était désormais totale et Rémy rentrait seulement à la bergerie. Les jambes égratignées, et le visage plein de boues permirent à Thérèse de comprendre que Rémy avait également profité de cette fugue pour jouer dans les rochers et les rivières qui jalonnaient le décor de Saint Guillaume. Elle prit le parti de ne pas se mettre en colère. Après tout, peut-être que son ami avait raison.
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