2 - Le seuil

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— Je n’ai pas de frère ! je m’exclame.

— La preuve que si ! rétorque simplement l’homme.

— Mais enfin, ça n’a pas de sens !

— Pour toi, sans doute, mais moi, j’ai toujours su que tu existais. Ça m’étonne pas qu’ils t’aient cachés mon existence, remarque.

— Mais non, ce n’est même pas possible ! Je suis plus vieille que toi, j’aurais dû voir ma mère grossir.

 Je sens, à ce moment-là, la panique prendre le dessus. Quelque chose cloche avec cette histoire. Mon instinct crie que cet homme me veut du mal. Et maintenant que je lui ai dit un argument irréfutable, preuve de son mensonge, il va commencer à se montrer violent.

 Mais non. Il continue.

— Tu n’es pas plus vieille que moi. On a le même âge, Janette.

— N’importe quoi ! Tu pourrais être mon gosse !

— Houlà ! ricane Bertrand. On va se calmer, sœurette. On me dit souvent que je fais jeune, c’est vrai, mais à ce point ?

— Partez, maintenant, s’il vous plait. J’ai peur, je ne vous crois pas.

— Oh mince, vraiment ? Pardon, je voulais pas. Mais sans rire, je suis ton frère ! Pour de vrai, je le jure ! Regarde mes yeux, tu les reconnais, non ?

 Ils me disent vaguement quelque chose, c’est vrai, mais impossible de savoir sur qui je les ai vu. Sur mes gardes, je fixe ses pupilles, mais ne réponds pas. Il le fait à ma place :

— Oui, c’est bien ça. Ces yeux, ce sont les tiens.

 Cette phrase provoque un vent de panique en moi. J’ai l’impression qu’il veut me voler mes yeux, extirper mes globes oculaires de manière sadique.

— Aïe, fit-il, je n’aurais pas dû me montrer aussi direct. Pardonne-moi, pour moi c’est une évidence depuis ma naissance, mais pour toi c’est une révélation soudaine.

— Je ne veux plus vous voir, je vous en prie, partez ! je dis en commençant à fermer la porte tout doucement, paniquée, ne comptant que sur sa pitié pour m’en sortir.

— Janette, je t’en prie, tu ne peux pas me faire ça ! Je sais que ça fait gros, mais je ne fais que dire la stricte vérité. On a exactement les mêmes yeux, déjà. Ensuite, on a exactement le même âge, bien que tu aies du mal à le reconnaître. C’est que, durant toute ma vie, je me suis entraîné pour garder un corps d’athlète, j’ai pris soin de moi, et encore aujourd’hui d’ailleurs, regarde, je me suis fait une teinture. Elle te plait ?

— Partez.

 Seule ma tête dépasse maintenant de la porte mi-close.

— Allez, s’il te plait, laisse-moi rentrer, on va discuter tranquillement de tout ça autour d’un bon café, d’accord ?

 Quand je réalise pleinement que son objectif est de pénétrer dans mon domicile, je ferme brusquement la porte. Mais je n’entends pas le « clac ». Ce « clac » qui me ramène à la solitude à chaque fois que je dis aurevoir au facteur ou aux rares visiteurs. Non, je ne suis pas encore seule, et pourtant, pour la première fois depuis des années, je désire l'être plus que tout au monde. Il n’y a pas eu de « clac » parce qu’il a agrippé la poignée avant. Il était prêt depuis le début à le faire, c’est sûr, sinon il n’aurait pas eu un réflexe si rapide. Et il ne mentait pas, il s’était entraîné. Sa grande force pousse la porte et mes pieds glissent sur le sol. J’y met tout mon poids mais ça ne suffit pas.

— Tu ne peux pas me faire ça, Janette ! il rugit.

 Avant que je ne sois écrasée entre la cloison du couloir et la porte, je cours comme je peux pour me réfugier dans une cachette de ma maison, mais il m’attrape l’épaule et me force à me retourner. Alors, je tremble, craignant qu’il ne dérape. Cependant, encore une fois, il ne se montre qu’amical et me fait un câlin.

— Ma sœur, voyons, tu n’as pas de raison d’avoir peur. Je suis venu de très loin pour te voir. Il fallait que je te revoie au moins une fois. Viens, allons boire tranquillement un café, veux-tu ?

 Il me libère de son étreinte et m’indique, avec son bras, d’avancer. Je rentre dans la cuisine pendant qu’il referme l’entrée. Impuissante, je lance la bruyante machine à café. Il montre la table de la salle à manger, qui est la même pièce que la cuisine chez moi, et dit :

— Je peux ?

 Je fais oui de la tête. Il enlève alors son manteau, le pose sur le dossier de la chaise, puis s’assied sur elle. Pendant que je prépare le liquide chaud, il ne parle pas. Il attend, patiemment, regardant devant lui, tapotant la nappe de ses doigts.

— Très belle maison, il lance d’un coup. Tu en as de la chance !

— Merci.

 J’apporte les tasses d’arabica, puis le sucre.

— Merci bien ! il fait. Pas de sucre pour moi en revanche. Tu sais, en tant qu’ancien sportif…

 Je m’installe en face de lui, touille mon café, souffle un peu dessus, boit une gorgée. Une ambiance sombre règne dans la demeure. Il est 18h00, la nuit commence à tomber et je n’ai pas encore allumé les lumières. Le visage à moitié dans la pénombre, il avale quelques gouttes de sa boisson, puis, toujours énergique, il prononce ces paroles :

— C’est bon, tu te sens mieux ? Bien. Il faut que je te raconte. Et il faut que tu saches. Parce que, c’est triste de vivre seule, sans même savoir qu’on a un frère jumeau. Tu trouves pas ?

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