3 - Tout un programme !

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— Jumeau ? je dis, surprise. Je ne suis pas au courant.

— J’avais bien compris, à en juger par tes réactions !

 Il se marre un bon coup, un rire de bon vivant communicatif, qui ne tarde pas, d’ailleurs, à me faire lâcher un sourire.

— Bref, je t’explique. Tu vois, il y en a certains qui naissent avec plus ou moins de chance que d’autres. Ben nous, on n’a pas de chance. Hé non ! On est sorti de notre mère par césarienne, et devine quoi, nos parents ont dû se débarrasser d’un de leurs mômes. Et donc, il y en a aussi qui ont plus ou moins de chance après la naissance. Et là, c’est toi qui a eu de la chance. Je sais pas pourquoi, mais ils ont préféré se débarrasser de moi.

— J’ignorais tout ça.

— Oui. Et ça me fait enrager, tu vois, parce que, pourquoi toi et pas moi ? Je me pose la question tous les jours. Pourquoi choisir une ratée, incapable de réussir sa vie, qui finit seule au fin fond de la cambrousse, plutôt qu’un garçon plein de motivation qui aurait pu faire de grandes choses.

 Bordel, qu’est-ce qu’il raconte ? C’est certain, une forme de folie l’habite. Pourquoi il devient méchant d’un coup ? Je n'y comprends rien ! Il doit sans doute remarquer l’incompréhension dans mes yeux, parce qu'il réplique :

— Attention, que ce soit bien clair, je ne t’en veux pas. Tu n’y es pour rien, je le sais, tu n’as rien décidé, toi. Mais nos parents si. Et à eux, je leur en ai voulu. Jusqu’après leur mort, même.

— Arrête Bertrand, s’il te plait.

— Mais maintenant, ça va, je peux plus trop rester fâché contre eux de toute façon. Il n’y a juste plus que toi qui représente tout ça. Alors, excuse-moi, ça me met dans des états, mais je t’en veux pas, comprends bien.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? je demande, poussée par la curiosité, mais aussi quelque part pour combler le vide qui me compose.

— Quand ça ?

— Je ne saisis pas, pourquoi avoir dû t’abandonner ?

— Ce n’est rien, ne te pose pas ce genre de questions.

— Que t’est-il arrivé après, alors ?

— Je ne peux pas vraiment t’en parler non plus. Quand j’en ai parlé aux parents, et au médecin qui s’est occupé de nous, ils n’ont pas voulu m’écouter. J’aurais pu leur pardonner sinon, mais ils ne m’aidaient pas. Ils refusaient d’entendre mes explications.

— Je suis sûre que je peux comprendre.

— Je suis sûr également que c’est ce que tu penses, mais j’y ai bien réfléchi, et je ne devrais pas t’en dire davantage.

— Comme tu voudras.

— Oui.

 Il pousse un soupir de tristesse, pose ses coudes contre la table, prend ses cheveux entre ses doigts, les paumes appuyées contre ses tempes. Je distingue à ce moment-là une large cicatrice sur le haut de son crâne. Elle n’est pas très belle à voir et recouvre toute la largeur de son front. Soudain, il sort de sa léthargie et s’écrit, avec un regain d’entrain :

— Enfin bon ! Je suis pas venu voir ma sœurette adorée pour déprimer ! Je suis venu rattraper le temps perdu comme on peut. Bon alors, on fait quoi ?

— Euh, je ne sais pas.

— Tu as bien des trucs que tu fais pour t’occuper ?

— Oh, oui, mais bon, rien d’excitant.

— Trouvons des activités à faire ensemble alors. Des idées ?

— Je ne sais pas trop…

— Bon, pas grave. Mais j’ai l’impression que tu n’y mets pas du tien. Les retrouvailles, ça se fête, pas vrai ?

— Exact ! j'essaye de mettre un peu d'entrain dans ma voix, par peur qu'il ne me le reproche.

— Tu as du champagne, peut-être ? On pourrait commencer par boire une coupe.

— Il me reste une bouteille dans le tiroir là-bas.

— Parfait, ça fera l’affaire !

 Il se lève et récupère l’alcool là où je lui ai indiqué, pendant que je ramène deux verres.

— Finissons notre café d’abord, je propose.

— Oui, bonne idée, ça nous remettra d’aplomb !

 Malgré tout, je me dis qu’il n’est pas si terrible que ça. Il a dû souffrir dans sa jeunesse, et peut-être même toute sa vie, ça explique qu’il semble instable. Mais à part ça, il n’a pas l’air d’un mauvais bougre.

— Je nous ferais un bon petit plat après ! Tu as de quoi cuisiner ici ?

— J’ai tout ce qu’il faut.

 Je lui détaille la liste des ingrédients dont je dispose, et il propose alors un poulet-frites-salade. Pourquoi pas après tout ? Ce n’est pas le repas le plus festif, mais c’est très bon et ça se prépare assez rapidement.

— Ensuite, il poursuit, on pourra par exemple se regarder un bon petit film, tu en penses quoi ?

— Ça me convient.

— Tu as quoi ?

 Je lui énonce la liste des dvd dont je dispose, puis, comme frappée par un éclair, je lui propose une vieille comédie qui m’a beaucoup plu et que je n’ai pas regardé depuis un bon moment.

— Jamais vu, il dit.

— Vraiment ? Il faut absolument, c’est un classique !

— On fera ça alors, ça me convient !

 Enfin un peu de compagnie dans ma vie morose ! Comme s’il représentait un miracle venu m’éclairer, il dit :

— On n’y voit rien ici.

 Et il actionne l’interrupteur, colorant l’intérieur gris d’un beau jaune lumineux. Il éjecte le bouchon qui faillit me crever un œil, et la mousse jaillit. Il se dépêche de servir nos verres, puis récupère une lavette pour éponger le liquide renversé sur la table.

 On trinque, je bois une gorgée. Quand je pose mon verre, je vois qu’il a déjà englouti le sien. Il se ressert déjà un verre, et il s’exclame, en retenant un rot :

— Super bon ce champagne !

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