L'amour a du chien
de Stradivarius
L'amour a du chien
Sous un soleil brulant.
La peau se hâle, la chaleur se heurte à une peau nacrée et rebondit en quelques réflexion sur une eau qui coule et se découle devant un regard d’un bleu profond. Sous les immondices de ce monde, le jardin d’Eden se démarque d’une ville et d’une foule criarde et vociférante. Seuls les cygnes osent se baigner et quelques cris d’enfants jouant à l’arrière me font bondir par quelques soubresauts évidents. J’aime ce parc. J’aime cette nature construite, pourtant, par l’homme. Ce lieu non naturel qui offre, toutefois, un calme et une méditation parfaite. Surtout pour le chien qui m’accompagne fidèlement. Ce compagnon de vie que je me suis offert lors de ma séparation avec une femme que je pensais digne. Digne de confiance et loin de toutes fourberies. Mais je ressasse. Dans ma tête résonnent des choses du passé, dans le présent, pour un futur peu confiant. Tout ceci est imparfait, et je le sens au plus profond de moi. Malgré toutes les belles choses qui s’offrent à moi, je ne vois qu’un voile noir et brumeux. Une ombre ténébreuse d’une défunte vie d’amertumes et d’un total désert social. Un reg, si je puis dire.
Et mon chien se barre, comme toujours.
Sans aucun rappel, il fait sa vie tandis que je me trouve allongé sur l’herbe, un brin entre les dents d’un bonheur qui n’existe plus au fond de moi. Je ne pensais pas que de me retrouver en cette forêt, devant ce lac, je pourrais ainsi me retrouver encore plus seul, au plus profond de mon être et dans la solitude environnante. Un nouveau cri d’enfant me fait sursauter et sortir un instant de ma torpeur. Je souris tout de même. D’un sourire las. Je me dis, sans doute, que l’insouciance de l’enfance fait rêver et offre de ces choses de la vie que nous, adultes, ne pourrions plus jamais connaître. Non, il est impossible que nous puissions de nouveau faire dans l’insouciance, dans l’innocence, dans les jeux d’enfants. Jouer un rôle et fabuler sur l’existence même de notre propre vie. Pourtant, oui, certains y parviennent et fabulent encore et encore. Se raconte des histoires à eux-mêmes mais aussi à leur entourage. De façon nocive. Toxique. Combien d’êtres se disent en couple et vont voir ailleurs dans le plus grand des secrets, faisant fonctionner la machine administrative d’un travail trop prenant ou d’un pot de départ plus ou moins traînant en longueur. Minuit, toujours personne. Et on ne se doute de rien, jusqu’à ce qu’elle dise, en rentrant, qu’elle a mal à la tête et que seul mon oreiller ne se retrouve serré à moi en guise de consolation. Point de sourire, point d’appartenance. Double jeu, double vie. Peut-être que si j’avais le permis de tuer, tel James Bond… non, ce ne sont que des idées nocives amenées par des êtres vicieux. Par Satan lui-même.
Et mon chien revient enfin.
Je ne sais combien de temps s’est déroulé depuis sa fugue. Du moins, je ne peux vraiment parler de fugue. Je lui fais une totale confiance. Absolue. Les animaux sont les plus loyaux, les plus beaux et les êtres les plus agréables que les humains eux-mêmes. Ils ne mentent jamais, sont toujours dans la vérité. Même à la moindre connerie faite à la maison, ils assument sans réellement se cacher si ce n’est plus éviter une claque monumentale. Je ne frappe jamais mes animaux. Ce serait néfaste pour moi et ma relation avec mon chien. De son pelage blanc et de son allure de renard, soyeux, doucereux, je lui caresse son museau humide. Je ne sais même pas où il est allé.
- « Jones, où vas-tu tout les jours? Regarde ton pelage, tu es sale. »
- « Waf! »
- « Je sais, tout cela ne me regarde pas. Tu es une brave bête, tu vas où tu veux tant que tu reviens. »
Je lui caresse le haut du crâne.
Il en profite pour taper de la patte au sol. Il adore ça. Il adore que je le gargouille. C’est le seul être sur terre qui me donne encore de l’espérance. Cette chose qui n’existe plus réellement en ce monde et qui ne laisse que profiler des indélicatesses à venir et à subir encore et encore. Nous ne sommes pas dans un conte de fée, loin de là. Alors je me relève, m’étire légèrement. Le soleil commence à se coucher et nous traversons le bois. Mon chien tire un peu sur sa laisse. Il veut retourner là-bas. Il ne veut pas rentrer dans mon 15M2 insalubre et affreux. Il veut juste être dans la nature, mais je n’ai pas les moyens de me payer mieux. Je n’ai pas les moyens de lui offrir un jardin, une vaste étendue, une cour majestueuse. Et pourtant, pour ce qui ressemble le plus à un loup, c’est bien ce qu’il faudrait. Je suis pauvre, je suis usé par la vie. Le travail en usine ne maintien même pas mon train de vie, ni même ma santé. Je suis las, complètement éreinté. Seules les promenades dans cette forêt, dans ce grand parc, le calme et la mélodie de l’eau qui s’écoule en une belle mélodie mélancolique, seules ces choses de la vie me maintiennent encore dans l’humeur et la bonté d’âme. Autrement, aucun sourire ne s’échappe de mon faciès grippé par les inconvenances de ce monde. Aucun regard levé, aucun oeil croisant l’iris d’un voisin.
J’ouvre la porte de mon immeuble.
Doucement. Lentement. Sans tenter le moindre bruit. Mais mon chien aboie. Je le maudis intérieurement. Mais personne, rien. Je m’avance et passe devant l’écriteau affiché depuis à présent 4 ans sur lequel est inscrit « ascenseur en panne, veuillez emprunter les escaliers ». Évidemment, je ne vais certainement pas user de mes pouvoirs de lévitation pour tenter de grimper jusqu’au dernier étage. Le dixième. C’est long, c’est haut, c’est usant. Mais les songes d’imaginer une personne qui tenterait d’user de l’ascenseur et d’attendre des lustres coincé dans la cage métallique en tentant vainement d’appuyer sur tous les boutons pour que celui-ci avance, fonctionne. Ces songes là me font doucement rire. J’émets un gloussement étrange. Et une porte frétille fortement et s’abat sur le mur d’à côté.
- « Monsieur Jack, merci de faire taire votre animal lorsque vous entrez dans l’établissement. Autrement, je me verrais contraint d’en informer le syndicat, et vous aurez chaud au cul! »
- « Je… pardonnez-moi »
La vulgarité.
Toujours la vulgarité. Je cache mon regard un instant. Dans ma tête de vilaines phrases circulent sans que je ne puisse les dire. Je ne le fixe pas, je n’assume rien. Et pourtant, il a usé d’une mauvaise phrase à laquelle j’aurai du rétorquer. Faire le nécessaire afin de m’affirmer et montrer mon désaccord. Je me dois de faire en sorte qu’il me montre du respect, qu’il m’en témoigne, et qui n’agisse point comme si j’étais le dernier imbécile. Pourtant, je ne l’embête jamais. Je fais le moins de bruit possible. Je sors mes poubelles pour lui éviter de le faire et je nettoie même l’escalier sans jamais le moindre remerciement. Ou si, entendre dire que cela est mal fait, que l’on est toujours mieux servi que par soit même. J’ai vraiment envie de lui répondre, lui rentrer dedans. J’en suis incapable. Et cela ne sert à rien, vraiment à rien. Même si je rêve, durant la nuit, de l’égorger. De l’attaquer sauvagement. Même, parfois, l’étriper directement. Des idées malsaines qui me sont données par le simple fait que ces gens exercent sur moi une injustice profonde sans qu’aucune justice ne soit présente. Et je reste planté là, avec mon chien qui remue de la queue sans comprendre ce qui se déroule.
- « Et ses poils. Il y en a partout. Je dois toujours passer l’aspirateur derrière vous. Vous vous rendez compte, à mon âge. J’ai 65 ans, je suis encore loin de ma retraite, et je dois réparer vos conneries. Je n’ai pas que cela à faire monsieur Jack. J’ai aussi ma maison à assumer. Je ne travaille pas pour des broutilles, des pécadilles. Vous ne me donnez même jamais d’étrennes pour me remercier de mon travail. J’aimerais vous y voir, vous. Et je crois même que votre propriétaire est venu voir pour que lui versiez son loyer. Vous ne payez rien. Vous n’êtes qu’un déchet monsieur Jack. Je vous le dis franchement. De mon temps, ça ne se serait pas passé comme ça. Un jeune con comme vous, je le mettrais à la rue un coup de pied au cul et on en parle plus. Vous avez de la chance qu’il soit aimable votre propriétaire. C’est un homme bon monsieur Haurel. Trop bon, trop con je crois. Il a travaillé dur, lui, pour pouvoir s’offrir des appartements et les louer à des couards comme vous et…. »
Et là, je n’entends plus rien.
Je suis toujours présent dans la pièce, me faisant engueuler comme un poisson pourri. Les injures pleuvent et mon dos me faire légèrement souffrir. Certainement le poids de tous ces colis que je porte chaque jour à l’usine. Des tonnes et des tonnes à porter de façon répétitive et terrible. Mais là, je suis dans mes pensées. Je rêve de mon lac, de ma forêt, de mon chien qui court avec sa truffe humide. Je réfléchis encore où il va pendant cette demi-heure durant laquelle je ne le croise plus. Je souris à cette pensée. Je me dis qu’il va certainement chasser les chevreuils, les écureuils, les oiseaux. Ou qu’il est tombé amoureux d’une jeune chienne. Ça se trouve il joue au super-héros, comme Superman mais version chien. Dogman contre Batman! Bon, à l’inverse d’une chauve-souris, c’est qu’un chien n’a pas d’ailes pour pouvoir voler. Mais ça a des crocs d’enfer! Allez, il se la joue à la Cerbère, gardien des portes des Enfers, protégeant Hadès et les Moires. Mais il n’a qu’une tête… Peut-être qu’il les camoufles, comme une Hydre. Ouais, ça doit être ça. Non, non, je ne vais certainement pas lui couper la tête pour voir si deux autres vont repousser. Dans tous les cas, je suis loin d’être aussi baraqué qu’Hercule. Je suis plutôt Herc le nul. Un zéro plutôt qu’un héros. Au moins, j’ai un chien avec de super pouvoirs, et ça, c’est génial. D’ailleurs, je lâche un léger rire à cette pensée. À cette idée supplémentaire que mon chien pourrait d’un seul coup mettre un coup de boule au concierge qui continuer de déblatérer sans que je ne sache réellement ce qu’il dit.
- « Et ça vous fait rire! Ah! Elle est belle la France! De mon temps, ça ne se serait pas passé comme ça. Fusillé sur le champs d’honneur! »
- « Pardonnez-moi, monsieur Maurice. Je… pensais à autre chose. »
- « Incapable! »
- « Je… je dois y aller, j’attends un appel de… enfin, nous nous reverrons. Au revoir monsieur Maurice. »
Non, j’espère que je le reverrais plus.
Alors je grimpe la dizaine d’étages pour enfin arriver à mon appartement miteux. Je croise une souris en ouvrant la porte, elle se carapate avec une croute de fromage que j’avais laissé sur la table pour mon chien. Le pauvre, il n’aura pas sa récompense. Néanmoins, je lui ai acheté un poulet que je lui donne après l’avoir détaché. Il peut manger à satiété. Moi, je ne mange pas. Je n’ai plus d’argent sur mon compte. Mon patron a décalé la date du versement de salaire, et je n’ai plus rien. Même plus de quoi prendre un paquet de pâtes. Juste ce qu’il fallait pour le poulet de mon chien. J’espère que demain tout ira mieux. Il faut garder l’espoir, il paraît, mais j’en ai très peu. Trop peu. Là, je me regarde dans la glace. Je me trouve laid, affreux. Je me souviens que ma mère me disait à quel point j’étais beau. Peut-être que depuis qu’elle n’est plus là, j’ai perdu cette confiance qu’elle m’avait donné. Comme une partie de mon âme complètement déchirée. Je repense à toutes ces choses de la vie, ces vicissitudes, ces affres. Tout ce que j’ai pu endurer, traverser. Je ne pensais pas tomber si bas, et pourtant, je suis tout au fond. J’ai des idées noires qui me traversent l’esprit, sans que je ne puisse les contrôler.
Mes mains des deux côtés du lavabo.
Je scrute les détails pudibonds de mon visage harassé, éreinté. Mes cernes qui dessinent un coeur qui n’existe plus au fond de moi. Je ne peux même pas sourire. Ou alors en me forçant. Je suis laid. Je comprends donc que je ne peux attirer personne. Que je ne peux même pas avoir une personne qui m’aime pour ce qui je suis au plus profond de moi. Je suis vraiment laid. Je n’ai jamais vu un monstre pareil. Même Quasimodo est bien mieux. Je pleure. D’une larme qui nait de mon oeil, grandit sur ma joue et meurt entre mes lèvres sèches. Mon chien, Jones, vient et monte ses pattes avant sur le rebord du lavabo. D’un coup de truffe, il me soulève un bras afin que je le caresse. Mine de rien, ça me fait sourire et oublier mes peines à l’instant. Comme si tout cela n’était qu’un mauvais rêve.
- « Allons nous coucher, demain sera un autre jour. Nous irons de nouveau en forêt, mais attention, je reprends le travail lundi, nous irons de moins en moins! Prend ton mal en patience mon toutou. »
Je m’endors.
Toujours difficilement. Je rumine. Mais le lendemain sera mieux. C’est ce que je me dis. Il ne peut pas être pire. Il ne sera jamais pire. Impossible qu’il puisse être pire. Si, en fait, c’est totalement possible. Tout peut arriver. Je peux me faire virer de mon appartement du jour au lendemain. Je peux me faire jeter dehors par le syndicat par la faute de mon chien qui dort actuellement à côté de mon lit, calmement. Je peux me faire virer de l’usine, perdre mon emploi et ne pas toucher le chômage. Je peux avoir un accident de voiture. Je peux tuer quelqu’un par inadvertance et finir ma vie en prison. Faire surgir le monstre qui est enfermé en moi, comme on enferme ces Titans. Zeus fait du bon travail, mais je suis incapable de manier les éclairs de la même façon que lui. Et je n’arrive pas à dormir. Je pense à tout cela. J’ai l’impression d’être un Prométhée qui se fait manger le foie tous les jours, encore et encore. Il repousse, et continue de se le faire bouffer. De difficulté en difficulté, de souffrance en souffrance. Il endure. Enchaîné sur son rocher. Enflures de Dieux.
5h.
Le réveil sonne. Je n’ai pas dormis. Je n’ai pas envie de me lever. Mais il le faut. Tant pis. Je dois promener le chien avant de devoir. On est dimanche, pourtant. Je pourrais rester au lit. Mais j’aime à garder le rythme de mes journées de travail. Mon chien s’étend, toujours fatigué lui aussi. Je me dirige dans la cuisine, me prend ma boîte à café. Une souris surgit d’en-dedans, sautant presque à ma face. J’ai eu le temps de me reculer au bon moment afin d’éviter quelques lacérations. Mon chien court derrière et se frappe contre un mur lorsqu’elle entre dans un petit trou étroit. J’éclate de rire et le caresse. Je trie le café pour enlever les probables crottes de souris. Je sais, c’est peu ragoûtant. Je n’ai plus d’argent, plus rien, et j’ai besoin de mon café au réveil. Je ne peux m’en passer. Je ne peux même pas aller dans un bar pour m’en commander un. Je fais avec, tant pis, je suis bien obligé.
Je montre la laisse à Jones.
Il s’agite, tourne en rond, tout heureux de pouvoir sortir. Je lui enfile, je fais grand silence en descendant les escaliers. Je passe devant la porte du concierge et je porte la plus grande attention à faire le moindre bruit possible. Mais ce dernier ouvrir à nouveau la porte.
- « Encore vous! Je m’en doutais! Vous en faites du boucan! Vous êtes vraiment irrespectueux, je dormais profondément et vous osez me réveiller! Saloperie! »
- « Pardon… Je dois promener mon chien. »
- « C’est ça, cassez-vous. Ne me réveillez plus ».
Tu parles.
Il ne dormait pas. Il devait regarder la télé ou passer son temps sur des sites pornos comme il a l’habitude de le faire. Je le sais, car j’entends souvent des cris éloquents venants de son appartement. Il n’est pas discret. Il est sale, affreux. C’est un homme de ce monde, un homme seul et pervers. Il m’écoeure au plus point. Je ne reste donc pas là à me faire sermonner de nouveau et je sors mon chien. Je me promène dans la ville nocturne, auréolée de ces lumières paillardes. Je préfère le noir profond. Je préfère admirer les étoiles, voir les belles choses que la nature nous offre. Mais ici, dans cette ville, tout est impossible. Alors je marche. Je croise quelques hommes sortants de boîtes, de bars, de ces endroits où les ivrognes vont pour donner un sens à leur vie minable et ramener des femmes tout autant ivres qu’eux. Des femmes qui ne se comportent que comme des morceaux de viande offertes à des chasseurs émérites. De beaux gosses, musclés et bien vêtu. Moi j’ai l’air idiot avec mon t-shirt « Robert Industrie ». Le nom de mon usine. Je n’ai plus rien de propre. Je n’ai pas de machine à laver. Je n’ai rien pour pouvoir aller à la laverie. Je m’en fous, on ne me regarde jamais dans tous les cas. Je suis discret, je me fond dans la masse. Ou alors on me vois car mon chien est beau. Alors on le caresse. Et moi je n’ai pas le droit à une sucrerie, rien. Pas même un sourire. Lorsque l’on fait cela, mon chien est heureux. Moi je suis malheureux. C’est ainsi.
Je rentre.
Je regarde un peu la télé. Arte. Il n’y a rien d’intéressant à cette heure. Mais je regarde un tracteur qui passe, sans qu’aucune voix ne se fasse entendre pour commenter l’instant. Ce n’est vraiment pas jovial, je suis pourtant subjugué. Incroyable. Au bout de quelques heures, je me lève afin de prendre une douche. Je croise mon visage à travers le miroir. Je m’écoeure. Je devrais être indifférent. Mais je m’écoeure. C’est ainsi que le monde est, au travers de mon faciès. Dégueulasse. Je me brosse les dents en tentant de regarder ailleurs. Je regarde mes pieds. Je regarde les vêtements que je vais devoir me mettre. Je crache dans le lavabo. Je regarde mes dents rapidement. Je suis propre. Cependant toujours aussi sale intérieurement.
La journée passe.
Et il est l’heure de se rendre en forêt, au lac, au parc avec mon chien tout fou et heureux de pouvoir aller fouiner partout tandis que je me repose devant l’eau. Un brin d’herbe toujours coincé entre les dents. Il part, me laissant seul avec moi-même. Je ne me pose aucune question, c’est le plus gentil des chiens, il reviendra. Moi je me repose. Je sais que la semaine va être dure et chargée d’émotions diverses et variées. Souvent contraignantes. Souvent pénibles. Insupportables. Il me faudra porter ce sac misérable qui pèse sur mon dos. Qui pèse lourd et qui m’agace, qui me tue à petit feu. Qui me détruit le coeur. Je préfère néanmoins admirer les cygnes, puis le ciel bleu. Quelques nuages me font penser à des lapins, ou à des licornes. Paysage fantasque. Pourquoi suis-je tombé si bas alors que je ne suis certainement pas le dernier des imbéciles? J’entends mon chien aboyer au loin. Je ne fais pas attention, trop absorbé par mes émotions de l’instant. Il revient. Me tire la manche. Je le caresse et lui souris. Puis, je me dis qu’il est temps de rentrer. Il me tire la cheville, le bas du pantalon. Je le gronde. Je ne comprends pas, mais il continue encore et toujours. Jusqu’au moment où nous quittons le parc. Il a l’air contrarié. Il tente toutefois quelques mouvements en arrière, jusqu’à tenter de se retirer le collier. Mais je tiens ferme, je l’en empêche. Et nous arrivons jusqu’à l’appartement.
Un dimanche qui se termine.
Et je me dois de reprendre mon travail. J’arrive à l’heure. J’oeuvre corps et âme pour une entreprise qui ne me sied guère. Je fais avec, cela me nourris et paie mon loyer. Même si je suis en découvert au milieu du mois. Le train de la vie n’est pas donné, on fait avec, on ne peut pas changer la société à notre niveau du jour au lendemain. Alors on subit. On endure. Et puis tant pis. Il faudrait pourtant pouvoir garder le sourire, mais je l’ai perdu depuis fort longtemps. Depuis trop longtemps. Je ne suis qu’un homme célibataire avec son chien pour seule compagnie. Avec cette impression d’oppression sur la peau, sur la chair, sur les os que notre monde nous fait subir à chacun. Je sens qu’à chaque fois que je quitte mon appartement, ou que je quitte mon jardin d’Eden, toutes les maladies me frappent, et tout le malaise de la Terre s’abat sur moi. Comme si j’entendais des voix hurler de partout, des morts, ou des vivants qui subissent le martyr au bord du Styx flamboyant, de ceux qui n’ont pas de pièces pour payer le passeur et naviguer sur les flots des fantômes de nos aïeux. Pour oublier tout cela, je travaille. Je tente de ne penser à rien. Seulement, je le vois, on me prend rapidement pour un ouvrier lambda, stupide et sans esprit. Lorsque le patron vient, c’est souvent pour m’engueuler sur ma vitesse et mon rendement, mais jamais pour me féliciter de mon organisation et de ma technique.
- « Vous tirez au flanc, de nouveau monsieur Jack. Je ne sais ce qui me retient de vous mettre à la porte directement. »
Certainement le fait que j’ai des années de loyaux services derrière moi et que je coûterais bien trop cher à l’entreprise lors d’un licenciement qui n’est d’aucuns faits de mes qualités. Mais je réponds d’une voix rauque et presque inaudible.
- « Je m’excuse… je… ferais mieux. »
Alors je m’acharne.
J’ai de la sueur qui coule sur le front, se mêlant à mes larmes et à mes envies d’hurler. Je ne sais pas répondre, rétorquer face aux humeurs de ces mauvaises gens. Je subis, et puis voilà. Une fois le travail terminé, je rentre à mon appartement, je sors mon chien qui est heureux de me voir. Et nous nous promenons. Mais pas au parc, comme à notre habitude. Je n’ai pas le temps. Je ne veux pas me prélasser, je suis trop tendu. Ce serait affreux de se laisser aller vagabonder, errer, alors que ma frustration est extrême.
Les journées passent et se ressemblent.
Jusqu’à ce que cette journée du vendredi. Je m’approche du parc, sans compter m’y rendre. Mon chien tire sur sa laisse, fermement. Je résiste en l’engueulant. Je crois que c’est le seul être vivant que je peux engueuler, mais je lui témoigne tant d’amour autrement qu’il ne peux m’en vouloir d’essayer de le protéger.
- « Calme Jones! Nous irons demain. Pour le moment, nous ferons le tour du pâté de maison. T’en fais pas, nous arrivons au week-end. »
Mais le chien continua de tirer.
Tant et si bien que le collier céda et qu’il s’en alla en trombe, moi lui courant derrière sans plus savoir où aller précisément. Je le cherche, je l’appelle. Mais je ne le vois plus. Un chien est trop rapide pour les petites jambes peu solides qui sont miennes. Les minutes passent et ma voix déraille à force de l’appeler. Je panique. J’ai une montée de chaleur. Je me dis qu’il est peut-être mort, écrasé par une voiture. Qu’il a été kidnappé. Qu’il s’est fait mal et qu’il ne peut plus communiquer. J’imagine le pire. Et les heures passent. La nuit commence à tomber, je n’y vois plus rien. Je tremble fortement. J’appelle le vétérinaire de garde. J’appelle la police. J’appelle la fourrière. J’appelle tout le monde. Tout le monde, sauf mes amis. Car je n’en ai guère. Personne n’a entendu parlé de mon chien. Ils feront le nécessaire. Heureusement, il est pucé. Je ne veux pas le perdre. Je veux qu’il soit avec moi. Imaginer un seul instant que je devrais passer la nuit sans lui, seul, me rempli d’effroi.
Je rebrousse chemin.
Je regarde partout, mais ne vois rien. Il est peut-être à l’appartement. Je m’en approche, je ne vois rien. Je soupire longuement en poussant la porte d’entrée. Je vois que le concierge a laissé la sienne entrouverte. Je fais doucement pour ne pas le déranger et je grimpe l’escalier.
- « Monsieur? »
Une voix féminine qui résonne dans la cage d’escalier.
Que… comment… qui? Je prends mon temps avant de me retourner. Pourtant, personne ne me suivait. Personne n’était là à connaître le code de l’immeuble. Pourquoi me parler à moi? Que me dire si ce ne sont des sermons encore? Ma tête tourne et mes yeux se posent sur une jeune femme plutôt charmante. En fait, d’une beauté incroyable et des yeux perçants qui me bouleversent aussitôt. Je suis comme un guerrier qui tombe sur le champ de Mars. Je regarde mes pieds afin de ne pas croiser ses jolies boucles dorées qui fondent sur un front si bien marié au reste du visage. Elle, pourtant, m’octroie un grand et large sourire. C’est étonnant. Je ne réponds pas. Je suis bouche bée, muet.
- « Je crois que j’ai retrouvé votre chien. Jones, c’est ça? Tous les week-end il vient jouer avec nous et mon enfant ainsi que ma chienne pendant que vous dormez paisiblement sur la berge. »
- « Oh! Je… »
La truffe de mon chien apparait.
Il me fait la fête et je pleure dans ses bras, toute l’inquiétude s’en allant de moi par la force de tant de sentiments mêlés. La jeune femme sourit d’autant plus. Et le concierge arrive. Souriant aussi devant le spectacle.
- « Ah! Vous avez retrouvé votre adorable bête! Je suis content pour vous monsieur Jack. Je me doute que sans lui vous devez être désemparé et seul. Saviez-vous qu’Adeline est votre voisine de l’étage inférieur au votre? »
- « Je… non, je n’en savais rien »
Je suis tellement oppressé que je ne remarque rien aux alentours.
Je n’ai envie de ne vois que mon chien qui me calme dans ce monde de brutes. Et la jolie demoiselle poursuivit la conversation.
- « Je n’ai jamais osé venir vous parler au parc, tous ces week-ends. Nous nous croisions quelques-fois, je vous souriais en vous disant bonjour, mais vous ne répondiez pas. »
- « Excusez-moi… je ne savais pas… »
- « Vous, vous avez l’air timide! Mais vous êtes charmant. Et votre chien aussi! Cela vous dirait que nous allions nous promener demain au parc et que nous prenions de quoi faire un pique-nique? »
- « Vous… c’est à moi que vous demandez cela? »
- « À qui d’autre, voyons! »
- « Je ne me permettrais de m’immiscer! »
Cette dernière provint du concierge qui appuya ses dires d’un léger sourire tout particulier que je ne lui connaissais pas. Il poursuivit.
- « Allez-y, profitez donc des belles journées à venir. »
Et bien.
Vous savez quoi? Mon chien était tellement attaché à ce que je rencontre cette charmante voisine, Adeline, qu’il n’avait eu de cesse d’essayer de me tirer jusqu’à elle afin de nous présenter. Aujourd’hui, après seulement quelques mois d’idylle incroyable, j’ai emménagé chez elle, avec son enfant et sa chienne. Nous avons acheté une belle maison, avec un jardin. Sans concierge. J’ai quitté mon travail pour un autre moins stressant et plus rémunérateur. Je vais me marier dans les mois qui suivent. Et cette force là, cet équilibre là, je l’ai trouvé grâce à Adeline. Aujourd’hui, je marche la tête haute et je remarque les sourires qui se présentent à moi. Je ris, je souris, je m’amuse comme jamais. Car j’ai trouvé la moitié, mon équilibre, ma stabilité. Ce qui me manquait pour avancer. Cette force intérieure, cette force brute, cette virilité mêlé à cette part de féminité qui se marient si bien ensemble.
En définitive, il faut parfois simplement savoir regarder ce qui nous entoure, sans jamais devoir s’enfermer dans sa bulle par peur du jugement des autres. Car on passerait à côté de choses formidables par simples mauvaises habitudes et renfermement sur soi. Sourions donc à la vie et passons outre les étapes qui nous déstabilisent. Nous trouverons toujours le juste milieu de la balance pour se revaloriser et s’affirmer. Moi j’ai Adeline, Jones, Gina sa chienne, et Marcus son fils.
Peut-être aurions-nous un venir Mister Hyde, qui sait?
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Commentaires & Discussions
L'amour a du chien | Chapitre | 1 message | 4 ans |
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