Chapitre 6
Guerre courrait partout en agitant les bras : « Je m’insurge contre le fait que ça se passe chez moi ! Un barbecue dans le parc ?!? Qu’est-ce qui t’a pris, Pestilence ?
- Ben c’est sympa, un barbeuc’ ! Tu veux des chips ? Oh mince, le paquet s’est envolé…
- Mes Praxitèle ! Tachés de merguez ! Fais gaffe, c’est du marbre par terre, tu es en train de me le fissurer ! Je l’ai fait venir juste avant l’incendie de Néron, respecte un peu le matériel, vieille roture !
- C’que t’es rabat-joie, ma vieille. Famine, comment ça se fait que mon verre est vide ? Tu t’es encore sifflé la bouteille, hein, chacal ?
- Regarde-moi bien, Pesto avarié : la dernière fois que tu es venu poser ton cul à la dioxine sur mes fauteuils, t’as foutu de l’acétone sur un Raphaël, alors j’ai quelques raisons de craindre le pire. Mmamie Mortelle, pourquoi on a pas fait ça dans la salle brainstorm du coworking de Soho ?
- C’est qu’on avait du mal à te trouver ces derniers temps, répondit Mort. Comment ça se passe en Erythrée ?
- Mbl…
- Intéressante réponse. En Ukraine ?
- Ils sont déjà en guerre, ils n’ont plus de matériel, qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? Je suis allée aux USA et en Chine.
- Oh. Pour Shanghaï ?
- Hé, hé, hé…
- J’ai cru remarquer, intervint Pestilence, une augmentation significative de l’activité minière dans des bassins métamorphiques et sédimentaires.
- Ah oui ? En quoi cela concernerait les affaires martiales ?
- Il me semble que les tanks tournent au mazout et les missiles au plutonium, non ?
- Aaaaah…
- Qu’est-ce que tu nous prépares, Martiale ?
- Moi ? Rien rien rien, je ne fais que mon devoir. Bien, voyons ta prés’... »
Et elle se cala dans son fauteuil de cuir rouge sombre.
Pestilence alluma le projecteur. Les plombs sautèrent. Quelqu’un jura. En araméen. Alors il prit le tableau blanc, déboucha un marqueur et l’odeur du toluène emplit la pièce.
« Chers camarades,
- Je te défends de me parler comme ça. Bolchevik !, asséna Famine.
- Merci de m’accorder une oreille attentive. Comme vous le savez, un Messie et un Antéchrist sont prévus pour l’été. Il est bien établi par toutes les religions manichéennes qu’il s’agit là de la dernière ligne droite avant la bataille finale entre le Bien et le Mal.
- On est prêts ! On est prêts ! »
La Faucheuse soufflait dans une vuvuzela. Famine arborait un T-Shirt « The devil’s one » et brandissait un drapeau noir.
« Merci, on est entre nous. Pas la peine de faire les groupies. Rangez-moi ce bazar et écoutez-moi.
- On croyait bien faire.
- Il ne s’agit pas de croire. Il ne s’agit plus de foi. Il s’agit de notre univers. Parce que quand les champions des deux camps mèneront la bataille, ce sera la dernière. Après, plus rien. On arrête tout. Vous saviez qu’on est une version de développement ?
- Hein ? C’est quoi ?
- Notre univers n’est pas un univers de production. On est en phase de développement. On n’est pas la version finale.
- De quoi tu parles ?
- J’ai découvert le dépôt Git du Démiurge. On est la rev 216491. Or il a poussé la rev 451666 hier. On n’est pas la version définitive. On est la sandbox. La zone d’expérimentation. Vous vous rappelez Babel ?
- Oui ?
- C’était sa première tentative de formalisation du langage. Il n’était pas très bon en maths à l’époque.
- Euh…
- Le pangolin est un bug. Il va être patché.
- Dans vingt-cinq ans, on shut down le serveur. Pas de backup, on reboote la machine. Plus de Guerre, plus de Famine, plus de Mort, plus rien. Quel que soit le parti qui gagne, de toute façon la partie sera terminée. Et on ne rentrera pas au vestiaire. Parce qu’il n’y aura pas de vestiaire. On ne se rendra même pas compte qu’on n’existe plus.
- La flippe.
- La loose.
- La déprime.
- Enfoirés de patrons.
- Famine ? Tu vas bien ?
- Martiale ?
-… Martiale, tu es avec nous ?
- Oui oui. Ça va. C’est l’éclate. Je vous offre un cognac et un havane au fumoir ? »
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