Chapitre 8

4 minutes de lecture

L’hôpital est le début et la fin de notre existence moderne. Notre vie n’est qu’une permission de sortie entre deux doses d’antiseptique. On naît dans la bétadine, on meurt avec. Entre les deux on s’infecte, on s’affecte.

Mort vécu sa délivrance comme telle. Fatima vécut son travail comme son contraire. Et deux fillettes naquirent ce jour, en plein midi. Élodie choisit comme prénom Emmanuelle. Mort choisit Ève.

Pestilence avait prétexté une sainte horreur des fluides organiques pour fuir à la première occasion. C’était se foutre de la gueule du monde, mais Mort savait bien qu’il manquait d’imagination. Famine était maintenant connu pour sniffer des antidépresseurs par rails entiers, d’ailleurs Mort l’appelait : la loco des labos. Il traînait donc son blues entre son baldaquin et les réseaux sociaux. Guerre leur avait faussé compagnie depuis la garden-party qui s’était achevée par la chute malencontreuse d’un piano Stenway sur le dernier œuf Fabergé, celui posthume. Oui, Perséphone est coquette. Quant au piano, Pestilence était persuadé que le domaine de Martiale était construit sur un faux plat, car comment pouvait-on tomber du rez-de-chaussée sur un bibelot du premier étage, simplement parce qu’il avait voulut rendre service en dégrippant le frein ? Comment ça on ne dégrippe pas un frein ?

La sage-femme qui avait accouché Fatima enleva son masque, éreintée. La matinée avait été longue, et la patiente de la salle deux avait beuglé à s’en percer les tympans. Ça arrive, mais c’est fatigant. En plus, un type qui s’était présenté comme le papa s’était pointé comme une fleur en plein travail, et il avait attaché un point d’importance à écrire le prénom de sa fille lui-même sur le bracelet. C’était Hector, l’autre sage-femme de service, qui le lui avait raconté. D’habitude les mecs ont déjà bien du mal à couper le cordon. Là le type il voulait juste jouer du stylo. Un comptable, paraît-il. La sage-femme regarda la nurserie : elle avait mal fixé un bracelet de l’un des nouveaux-nés, elle alla le remettre. Vraiment, il fallait qu’elle se repose : ça n’arrive pratiquement jamais. Ah tiens, c’est étonnant, il en a déjà un : Eve. Ça venait en fait de son voisin, qui s’appelle donc : « Emmanuelle. Les parents feraient mieux de l’appeler directement Manue… Ah tiens, le bracelet a un défaut de fabrication, c’est pour ça qu’il ne tient pas. Encore une cochonnerie chinoise, si vous voulez mon avis... »

Derrière la vitre, deux papas, masqués, sourirent. L’un était noir, l’autre était blême.

Et une heure plus tard, deux moines bouddhistes vinrent chercher un bébé abandonné, né sous X. L’un des deux, pâle comme la javel, marchait dans une traînée de sacs plastiques virevoltant dans l’air chaud de l’été. Son habit était marqué de sueur et de taches de gras. Le second était grave, émacié et peau d’ébène. Son habit était de couleur plus sombre et plus serré sur sa silhouette. « Nous n’avons pas de bébé abandonné, leur répondit-on.

- Nous en serions très heureux, répondirent les sages, mais alors : où sont les parents d’Ève ?

- Hé bien, la maman est dans la chambre 26.

- Êtes-vous superstitieuse, madame ?

- Un peu, pourquoi ?

- Chambre 26. Nous sommes 2. Ça fait 13 chacun. »

Le réceptionniste blêmit. Et songea, parallèlement, à se laisser pousser la barbe.

Après vérification, il apparut bien que la dame de la chambre 26, qui deux heures auparavant paraissait être à l’article de la mort, s’était volatilisée. Elle avait même refait son lit. Bon, visiblement elle ne connaissait pas l’usage d’un oreiller, mais elle avait déserté en laissant les draps tendus comme un suaire sur un lit déjà froid.

Les deux hommes repartirent donc avec Ève. Ils la conduisirent, piétons, dans un taxi, dans lequel ils montèrent également. Taxi qui partit délicatement vers une banlieue chic. Ève devait, selon un plan infernal, être élevée dans une famille de très haute ascendance, qui avait donné des dirigeants à de nombreux pays. Elle y serait heureuse, choyée, et assurée d’une position dans un conseil d’administration d’une entreprise cotée.

Sauf que le taxi eut une trajectoire un peu hésitante.

Il prit une bretelle de sortie.

Puis la bretelle d’entrée. Dans l’autre sens.

Son pot d’échappement se mit à fumer noir. Ce qui surprit le conducteur, sa voiture étant électrique. D’ailleurs la batterie était vide. Pourtant, à l’hôpital, elle indiquait 643,567 km d’autonomie. Or il n’avaient fait que 20 bornes à tout casser. Une erreur de calcul de l’ordinateur, probablement.

Ils s’arrêtèrent au pied d’un immeuble populaire d’une banlieue ouvrière. Sortirent de la voiture deux individus. L’un vêtu de noir, tiré à quatre épingles, sec comme une rivière de Gobi. L’autre en short vert et sandales de plastique, mâchouillant un chewing-gum aux relents de menthol synthétique. Ils prirent le couffin et montèrent dans l’immeuble. L’homme en noir bipa à une porte d’appartement. Elle s’ouvrit. Il entra, ôta ses chaussures. « Je vais préparer un biberon, dit-il. Pestilence, tu sais changer une couche ? »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Stéphane Wilde ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0