Chapitre 1
La petite fille s'enfonça sous les frondaisons avec la tranquille assurance des âmes sages, ces êtres que la quête de vérité habite comme une seconde nature. Au détour d'un sentier bordé de fougères, une silhouette fauve et malicieuse se dressa soudain devant elle.
« Hé là, jeune philosophe ! Quel bon vent t'amène sur mes terres ? Tu t'es perdue en cherchant le sens de la vie ? »
La petite fille dévisagea le renard d'un œil amusé. Voilà un spécimen interessant... Un brin de folie, une pincée de ruse et ce je-ne-sais-quoi dans le regard, cet éclat vif de l'intelligence qui n'a pas peur de se moquer d'elle-même.
« Perdue, moi ? Jamais de la vie ! Je sais toujours exactement où je vais. C'est le privilège des enfants et des sages. »
Le renard éclata d'un rire qui ressemblait à s'y méprendre à un aboiement.
« Ha ! Les sages ! Ces vieux bavards qui se gargarisent de grands mots vides ! Moi je ne crois que ce que je vois. Et là, ce que je vois, c'est une gamine bien trop futée pour son âge. »
Un sourire énigmatique flotta sur les lèvres de la fillette.
« L'âge ne fait rien à l'affaire, quand on a l'éternité dans l'âme. Mais dis-moi, maître renard, toi qui as tant bourlingué dans cette forêt, aurais-tu déjà croisé le chemin du grand amour ? »
Le renard se figea, saisi par la question. Ses moustaches frémirent imperceptiblement.
« L'amour ? Oh, tu sais, dans le règne animal, on ne s'embarrasse pas de ce genre de concept abstrait. Manger, dormir, courir, c'est déjà bien assez compliqué ! »
La petite fille lui lança un regard pénétrant, un brin réprobateur.
« En es-tu si sûr ? Moi je crois que l'amour est le souffle vital qui anime chaque créature. Du plus petit mulot à la plus grande des baleines. Sans amour, la vie n'a pas de sens, pas de saveur. »
Le renard se gratta pensivement l'oreille, troublé malgré lui.
« Peut-être bien, fillette. Peut-être que sous ma fourrure de vieux brigand bat un cœur de feu, qui sait ? Après tout, j'ai toujours eu un faible pour les histoires d'amour... quand elles finissent bien et avec un festin à la clé ! »
La petite fille pouffa devant tant de mauvaise foi.
« Ah, je te reconnais bien là, beau parleur ! Mais ne t'en fais pas, ton secret est bien gardé avec moi. J'emporterai dans la tombe l'image d'un renard philosophe et romantique ! »
Le renard gonfla le torse, faussement indigné.
« Romantique, moi ? Ne confondons pas douceur de vivre et mièvrerie, jeune demoiselle ! Je suis un renard d'action, un aventurier au poil acéré ! »
La fillette leva les yeux au ciel, un demi-sourire aux lèvres.
« C'est ça, et moi je suis la reine d'Angleterre ! Allez, trêve de bavardages, si nous philosophions un peu ? J'ai dans l'idée que tu as des choses fascinantes à m'apprendre, et moi des réflexions à te soumettre qui pourraient bien te surprendre. »
Le renard plissa les yeux, tenté malgré lui par la proposition. Après tout, quoi de plus délectable que de jouter verbalement avec un esprit affûté, fût-il logé dans une enveloppe juvénile ?
« Tope-là, ma mignonne ! Mais gare à toi, je ne suis pas un adversaire facile à désarçonner. J'ai plus d'un tour philosophique dans mon sac ! »
La fillette, avec son agilité coutumière, se hissa sur un tronc moussu et lança à son compagnon :
« Dis-moi Rouquin, à ton avis, est-ce qu'on reste le même toute sa vie ou bien change-t-on au fil du temps ? »
Le renard, intrigué par cette question inattendue, inclina la tête et réfléchit un instant avant de répondre.
« Hum, quelle colle tu me poses là, gamine ! Je dirais que l'on est un peu comme ces arbres qui nous entourent : avec les saisons qui passent, on perd nos feuilles, on se pare de nouvelles couleurs, mais au fond, on garde toujours la même sève qui coule en nous. L'essentiel, c'est de ne jamais trahir ses racines, tu ne crois pas ? »
La petite philosophe hocha pensivement la tête.
« Oui, mais parfois, la vie nous malmène tellement qu'on a l'impression de se perdre en chemin. Comment savoir qui est-on vraiment, derrière tous ces masques que l'on doit porter ? »
Rouquin se gratta l'oreille, signe chez lui d'une intense réflexion.
« Ah ça, c'est toute la question, ma bichette ! Moi je crois que c'est justement dans les moments difficiles que notre véritable nature se révèle. C'est quand tout s'écroule autour de nous qu'on découvre l'étoffe dont on est fait. Un peu comme lorsque je suis pris en chasse par les chiens : soit je m'enfuis la queue entre les jambes, soit je retrousse mes babines et je me bats comme un beau diable ! »
Cette comparaison canine arracha un sourire à la fillette.
« Je vois ce que tu veux dire. Ce sont nos choix qui nous définissent, bien plus que nos beaux discours. Mais alors, comment être sûr de bien décider ? Comment savoir ce qui est juste et ce qui ne l'est pas ? »
Le renard, soudain très sérieux, s'assit sur son arrière-train.
« Ça, mon ange, c'est la question à un million de noisettes ! Si tu veux mon humble avis, le secret c'est d'écouter son instinct. Cette petite voix intérieure qui nous souffle à l'oreille quand on est à la croisée des chemins. Elle ne nous égare jamais, même si parfois, par commodité, on préfère faire la sourde oreille... »
La petite fille médita ces paroles, le front plissé par une concentration intense.
« L'instinct, le cœur... Oui, je crois que tu vises juste. Mais comment faire quand notre cœur balance, quand on se sent écartelé entre deux envies contradictoires ? »
Le renard laissa échapper un petit rire plein de sagesse.
« Oh, crois-moi, ce dilemme je le connais par cœur ! C'est comme quand je dois choisir entre un poulailler bien dodu et ma tranquillité : mon estomac me hurle de foncer, mon instinct me dit de me méfier ! Eh bien figure-toi qu'avec les années, j'ai découvert une astuce toute simple. »
La fillette se pencha vers lui, captivée par la promesse d'une révélation.
« Ah oui ? Et quelle est donc cette mystérieuse astuce ? Dis-moi tout, ô sage à la queue touffue ! »
Le renard, amusé, pris une pose de conspirateur.
« Eh bien, quand je n'arrive pas à trancher, je me demande toujours : quelle option me permettra d'avancer avec le cœur léger ? Laquelle m'encombrera le moins et me laissera libre d'être moi-même ? Et comme par magie, la réponse s'impose à moi ! »
La petite fille, d'abord interdite, sentit un sourire éclairer progressivement son visage.
« Mais oui, c'est brillant ! Choisir le chemin le plus lumineux, celui qui nous aide à rester fidèle à notre nature profonde... Tu es décidément un grand sage, Rouquin ! »
Le renard, flatté, ne pût s'empêcher de bomber le torse.
« Ah, que veux-tu, la sagesse et moi, on ne se quitte plus depuis belle lurette ! Mais méfie-toi, ça ne signifie pas pour autant qu'il faut foncer tête baissée. Parfois, les choix les plus séduisants sont aussi les plus trompeurs... Un peu comme ces belles renarde qui me font de l'œil. Je me demande toujours si elles en ont après mon cœur ou après mes restes de festin ! »
Cette allusion à sa paranoïa amoureuse fit éclater de rire la fillette.
« Ah Rouquin, tu es terrible avec tes histoires de cœur ! Mais tu n'as pas tort sur le fond : il faut savoir garder les pieds sur terre, même quand nos émotions s'emballent. C'est ça aussi, la sagesse : être capable de trouver cet équilibre subtil entre ce que nous souffle la raison et ce que nous hurle le cœur. »
Le renard, touché de voir sa jeune amie raisonner avec autant de finesse, approuva avec vigueur.
« Tout juste, Auguste ! Tu vois, quand tu veux, tu réfléchis presque aussi bien qu'un vieux renard ! Continue comme ça et bientôt, tu me damerasle pion sur l'échiquier des grandes interrogations existentielles ! »
La petite fille, malicieuse, lui tira effrontément la langue.
«Méfie-toi Rouquin ! Il se pourrait bien qu'un jour, l'élève finisse par dépasser le maître... Et alors, tes précieuses moustaches n'auront qu'à bien se tenir ! »
Changement, fidélité à soi-même, questionnements existentiels... Nos deux compères arpentèrent avec délice les chemins sinueux de la réflexion philosophique, oubliant le temps qui passe et le monde qui les entoure.
Comme le résume Rouquin, avec son sens de la formule :
«Finalement, le plus important dans la vie, c'est de ne jamais se prendre trop au sérieux. Sinon, c'est la porte ouverte à toutes les angoisses ! Alors qu'avec un peu de perspective et de légèreté, même les tempêtes les plus noires peuvent devenir de formidables aventures. Le truc, c'est de ne jamais laisser s'éteindre notre âme d'enfant et notre capacité à nous émerveiller du monde. »
Et si d'aventure un promeneur égaré surprenait leur manège, nul doute qu'il n'en croirait pas ses yeux. Une petite fille et un renard, philosophant joyeusement sur le sens de la vie et les mystères de l'amour ? Allons donc, impossible !
Et pourtant... pourtant, dans les tréfonds de la forêt millénaire, ce miracle avait bien lieu, moquerie narquoise de l'existence aux certitudes des hommes.
Comme le murmurait Rouquin à l'oreille de sa jeune amie, ponctuant sa confidence d'un clin d'œil fripon :
« L'amour, vois-tu, c'est comme un bon mot : ça illumine la vie de ceux qui savent l'attraper au vol. Alors ouvre grand ton cœur, petite, et laisse sa magie opérer ! »
Message reçu, maître renard, message reçu. Leçon de vie et de malice, dispensée avec l'art enchanteur des conteurs sous les frondaisons complices.
Car après tout, n'est-ce pas là la plus belle des philosophies : celle qui se rit d'elle-même et se nourrit de l'imprévu des rencontres ?
Annotations
Versions