Chapitre 2

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Nos deux compères, encouragés par la saveur de leurs premiers échanges, décidèrent de poursuivre leur exploration philosophique au cœur de la forêt. Rouquin, en guide aguerri, ouvrait la marche avec panache, sa queue touffue battant l'air tel un étendard fier et malicieux.

« Dis-moi, Rouquin, que penses-tu de la tristesse ? Est-ce une faiblesse qu'il faut fuir à tout prix ou une émotion qui a aussi son importance ? » demanda soudain la fillette, sautillant avec grâce par-dessus une racine espiègle.

Le renard pila net, une patte en l'air, l'air songeur.

« La tristesse ? Ah, voilà bien un sentiment qui donne du fil à retordre à nos petites cervelles ! Personnellement, je préfère l'éviter comme la peste. Ça vous mine le moral et vous coupe l'appétit. Deux choses absolument essentielles pour un renard digne de ce nom ! »

La petite philosophe esquissa un sourire en coin.

« Je comprends ton point de vue. Mais je me demande si la tristesse n'a pas aussi son utilité. Après tout, c'est elle qui donne toute leur valeur aux moments de joie, non ? Sans les larmes, le rire aurait-il la même saveur ? »

Rouquin fronça le museau, visiblement intrigué par cette perspective.

« Peut-être bien, gamine. Peut-être que la tristesse est comme le sel de l'existence : un peu amer sur le coup, mais indispensable pour relever les saveurs de la vie. Mais tout de même, si on pouvait éviter d'en abuser, ça m'arrangerait ! »

Soudain, un bruissement sourd attira leur attention. Là, au détour d'un sentier, une forme prostrée, toute de brun vêtue. Un blaireau au poil hirsute et à l'œil éteint, roulé en boule au pied d'un chêne centenaire.

« Oh, oh ! Voilà un spécimen qui m'a tout l'air d'expérimenter la tristesse à haute dose ! » chuchota le renard, mi-intrigué mi-méfiant.

La fillette, elle, n'hésita pas une seconde. D'un pas décidé, elle s'approcha de l'animal au cœur lourd.

« Bonjour, ami blaireau. Quel chagrin obscurcit donc ton regard en cette si belle journée ? »

L'animal releva péniblement la tête, dévisageant l'enfant avec un mélange de surprise et de lassitude.

« À quoi bon en parler, petite... La vie n'est que succession, sans queue ni tête, tissée de peines et de désillusions. J'ai perdu foi en l'avenir, en l'amitié, en tout ce qui donne sens à l'existence. »

Rouquin, ne pouvant réprimer un reniflement dubitatif, intervint avec sa délicatesse coutumière :

« Allons, l'ami, ne noircissez pas le tableau ! Je suis sûr qu'avec un bon repas dans le ventre et une claque amicale sur l'épaule, vous verrez la vie du bon côté. Allez hop, secouez-moi ce pelage et venez gambader avec nous ! »

Mais la petite fille, plus perspicace, posa une main douce sur la patte noueuse du blaireau abattu.

« Je crois deviner, à votre air grave, un animal rongé non par l'humeur passagère mais par une tristesse bien plus profonde, plus intime. Une blessure de l'âme que l'on n'efface pas d'une pirouette ou d'un bon mot. Voulez-vous nous confier votre peine ? Parfois, mettre des mots sur nos maux est le premier pas vers la guérison... »

Le blaireau renifla bruyamment, ému malgré lui par tant de sollicitude.

« C'est que... Je croyais avoir trouvé en ces bois un ami véritable, un compagnon à toute épreuve. Nous étions inséparables, lui et moi, unis comme les deux doigts de la main. Mais il y a peu, il m'a trahi, abandonnant notre tanière pour une belle blaireaute à la fourrure soyeuse. Depuis, je me sens si seul, si démuni... »

Une larme unique roula sur sa joue striée de noir, arrachant à Rouquin un irrépressible élan de compassion.

« Tudieu, camarade, voilà une bien sombre histoire ! Être ainsi trahi par un frère, j'imagine sans mal le déchirement... Mais de grâce, ne vous laissez pas sombrer ! La vie est encore longue devant vous, d'autres amitiés vous attendent. Et puis, vous n'êtes plus seul désormais : vous nous avez, nous ! »

La petite fille approuva avec chaleur.

« Rouquin dit vrai. Les peines de cœur sont les plus tenaces, mais elles finissent par s'adoucir avec le temps. Ne laissez pas une déception, si cruelle soit-elle, vous détourner de l'amour et de la confiance. Gardez foi en la vie, en sa capacité à surprendre et à émerveiller, envers et contre tout. »

Le blaireau, d'abord interdit, sentit un fragile sourire fleurir sous ses moustaches humides.

« Vos paroles sont un baume pour mon cœur malmené, jeunes amis. Il faudra du temps pour panser mes plaies, mais vous m'avez redonné un brin d'espoir. Peut-être tout n'est-il pas si noir, après tout... »

Rouquin, ragaillardi de voir la tristesse refluer, s'empressa de renchérir :

« Et si nous philosophions un peu, histoire de vous changer les idées ? Tenez, que diriez-vous d'une petite discussion sur la nature profonde de l'amitié ? Je suis sûr que notre chère gamine a des choses passionnantes à nous apprendre sur le sujet ! »

Le blaireau, intrigué, se redressa sur son séant.

« Ma foi, pourquoi pas ? Débattre en si charmante compagnie me distraira agréablement de mes sombres pensées... Allez-y, jeune donzelle, je suis tout ouïe ! »

Et voilà nos trois compères lancés dans une discussion enflammée, échangeant avec passion sur les mystères du cœur et les ressorts de l'âme. Le temps d'un échange, la tristesse s'était inclinée, battue en brèche par l'arme suprême des philosophes en herbe : l'amitié !

Comme le résumait Rouquin, avec sa bonhomie coutumière :

« Vous voyez, l'ami, à plusieurs on est plus fort. C'est ça la magie des vrais copains : même au cœur des pires bourrasques, ils vous maintiennent la tête hors de l'eau. Alors gardez-nous près de vous et je vous garantis que toutes les tristesses de la terre ne seront bientôt plus qu'un mauvais souvenir ! »

Message d'espoir et de résilience, qui semblait faire son chemin dans le cœurdu blaireau éprouvé. Un pâle sourire aux lèvres, il se tourna vers la fillette, une lueur de curiosité dans le regard.

« Dites-moi, jeune philosophe, vous qui semblez si sage, quelle est donc votre vision de l'amitié ? Est-ce un feu de paille, brillant mais éphémère, ou un roc qui défie les tempêtes ? »

La petite fille prit le temps de la réflexion, triturant pensivement une mèche de ses cheveux.

« Je crois que l'amitié véritable est un peu des deux, à vrai dire. Elle a la passion des grandes flammes qui réchauffent le cœur, mais aussi la solidité tranquille des pierres qui ne bougent pas. Un subtil mélange de fougue et de constance, en somme. »

Rouquin, attendri par tant de sagesse, ne put s'empêcher d'intervenir.

« Bien dit, gamine ! Une amitié qui se respecte, c'est comme un bon ragoût : ça mijote doucement, ça prend son temps, mais le résultat en vaut la chandelle ! C'est pas comme ces amitiés kleenex, là, qu'on jette après usage... »

Le blaireau, pensif, hocha lentement la tête.

« Je commence à comprendre mon erreur. J'ai pris la fièvre des premiers instants pour une promesse d'éternité. Mais l'amitié, la vraie, se construit jour après jour, n'est-ce pas ? À force de partage, de confiance, de présence... »

La fillette lui adressa un sourire lumineux.

« Exactement ! L'amitié, c'est comme un jardin secret. On y plante des graines de tendresse, on l'arrose de rires et de confidences, on le protège des intempéries. Et peu à peu, sans même qu'on s'en rende compte, il s'épanouit et embellit notre vie. »

Séduit par la comparaison, Rouquin ne put retenir un gloussement amusé.

« Eh bien, on peut dire que vous en avez dans la caboche, jeune fille ! Mais vous avez raison, mille queues de renard ! L'amitié, c'est un trésor qui se mérite. Les vrais amis, ceux sur qui on peut compter, c'est rare et précieux. Faut les chérir comme la prunelle de ses yeux ! »

Le blaireau, songeur, se gratta pensivement le museau.

« Mais comment savoir si une amitié est sincère ? Comment être sûr qu'on ne se fera pas trahir, qu'on ne finira pas le cœur en miettes ? »

La petite philosophe prit un air grave, consciente du poids de la question.

« Hélas, il n'y a pas de garantie absolue. L'amitié, comme l'amour, est un saut dans l'inconnu, un pari sur la confiance. Mais je crois qu'il y a des signes qui ne trompent pas. Un véritable ami, c'est celui qui reste à vos côtés dans les moments difficiles. Celui qui vous accepte avec vos forces et vos faiblesses. Celui qui sait vous dire la vérité, même quand elle fait mal, parce qu'il veut votre bien. »

Rouquin, ému, ne put s'empêcher de poser une patte affectueuse sur l'épaule de la fillette.

« Touché, coulé, gamine ! Vous m'avez fait monter une larme à l'œil, avec vos belles paroles. C'est tout à fait ça, l'amitié : un lien fort et doux à la fois, tissé de sincérité et d'acceptation. Un abri sûr où l'on peut être soi-même, sans fard et sans crainte. »

Le blaireau, bouleversé, sentit sa gorge se nouer d'émotion.

« Je crois que je commence à comprendre... L'amitié véritable n'a que faire des apparences ou des intérêts. Elle voit au-delà, dans le cœur même de l'être. Elle est don de soi, patience, bienveillance... Un peu comme l'amour que vous me portez en cet instant, alors même que je ne suis qu'un étranger. »

La petite fille lui pressa la patte, un sourire malicieux au coin des lèvres.

« Mais c'est tout le sens de notre discussion, cher blaireau ! En amitié comme en philosophie, l'important n'est pas d'où l'on vient, mais ce que l'on a à partager. Chaque rencontre est une chance d'apprendre, de grandir, de s'enrichir au contact de l'autre. Alors laissez la tristesse au vestiaire et ouvrez grand votre cœur : une nouvelle page s'offre à vous ! »

Ragaillardi par ces paroles pleines de sagesse, le blaireau bomba fièrement le torse.

« Ma foi, vous avez raison ! Il est grand temps pour moi de reprendre du poil de la bête. La vie est trop courte pour la gâcher à ressasser le passé. Place à l'avenir, aux nouvelles amitiés, aux rires et aux débats enflammés ! »

Rouquin, hilare, lui asséna une grande claque dans le dos.

« Voilà ce que j'aime entendre ! Allez hop, en selle ! On a une forêt à explorer et des tas de mystères philosophiques à percer. L'amitié sera notre boussole et notre force, cap sur l'aventure ! »

Et c'est bras dessus, bras dessous, le cœur gonflé d'une joie nouvelle, que nos trois compères s'enfoncèrent dans les profondeurs verdoyantes de la forêt.

La tristesse était vaincue, terrassée par la puissance conjuguée de l'amitié et de la philosophie. Car c'est là tout le pouvoir des mots quand ils sont maniés avec le cœur : panser les plaies, éclairer les âmes, redonner sens et saveur à l'existence !

Comme le chuchotait malicieusement Rouquin à ses deux acolytes :

« N'oubliez jamais, mes amis, la devise des cœurs vaillants : à plusieurs on est bien plus fort pour affronter les aléas de la vie. Alors restons soudés, quoi qu'il arrive ! Nos trois âmes de philosophes, unies par les liens sacrés de l'amitié, sauront faire front contre vents et marées. L'avenir est à nous ! »

Un manifeste de vie et d'optimisme, lancé à la cantonade dans un éclat de rire. Car tel était le credo de nos intrépides penseurs : au diable la tristesse et les idées noires ! Tant qu'il y a de la philosophie et des amis pour la partager, la vie mérite d'être croquée à pleines dents !

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