Chapitre 3

10 minutes de lecture

Tandis que le soleil déclinait paresseusement derrière les feuillages, teintant la forêt d'une délicate lueur mordorée, nos trois compères poursuivaient leur périple initiatique. La petite fille, Rouquin le renard et leur nouvel ami le blaireau cheminaient d'un bon pas, le cœur plus léger après leurs échanges philosophiques.

Soudain, un hululement lugubre déchira le silence feutré des sous-bois. Intrigués, ils levèrent de concert la tête, scrutant la voûte végétale à la recherche de l'origine de ce cri mélancolique.

Là, perché sur une branche noueuse, se tenait un hibou à l'air sombre et pensif. Son plumage soigné contrastait avec son regard éteint, comme assombri par un voile de tristesse insondable.

« Oh, oh ! En voilà un qui a l'air d'avoir un sacré bourdon dans le ciboulot ! » s'exclama Rouquin, fidèle à sa verve malicieuse. « Si ça continue, il va finir par faire fuir toutes les souris du coin avec sa complainte ! »

La fillette, plus circonspecte, s'approcha doucement de l'oiseau taciturne.

« Bonsoir, noble hibou. Votre chant semble chargé d'une profonde mélancolie... Qu'est-ce qui assombrit ainsi vos pensées, en cette si belle soirée ? »

Le volatile, d'abord surpris par cette interruption inattendue, posa un regard empreint de lassitude sur l'enfant.

« Ah, petite... Si tu savais le poids qui pèse sur mes vieilles ailes. Je songe jour et nuit à l'inexorable fuite du temps, à la brièveté dérisoire de nos existences. À quoi bon tout ceci, puisque la mort finit toujours par avoir le dernier mot ? »

Le blaireau, encore fragile de sa récente peine de cœur, ne put retenir un soupir compatissant.

« Je comprends votre tourment, sage hibou. Moi aussi, la perspective de la fin me glace le sang. Comment trouver la force d'avancer, quand on sait que tout est éphémère ? »

Rouquin, peu enclin à se laisser gagner par la morosité ambiante, s'empressa d'intervenir.

« Holà, holà, ne nous emballons pas ! Certes, la vie est courte, mais c'est justement ce qui la rend si précieuse ! Imaginez un peu : si on vivait éternellement, plus rien n'aurait de saveur, de piquant. C'est parce que nos jours sont comptés qu'il faut les croquer à pleines dents ! »

La petite philosophe, songeuse, leva vers le ciel un regard empreint de douceur.

« Je crois que Rouquin n'a pas tort. La mort fait peur, c'est indéniable, mais elle est aussi ce qui donne tout son sel à l'existence. Sans elle, aurions-nous autant à cœur de vivre pleinement, de laisser notre empreinte ? C'est parce que le temps nous est compté qu'il nous faut chérir chaque instant, chaque rencontre... »

Le hibou, intrigué par cette perspective, pencha sa tête ronde de côté.

« Voilà un point de vue insolite, jeune humaine. Quand la mort rode, les certitudes vacillent. Je me demande bien à quoi aura rimé ma vie, tiens. Toutes ces années à observer le monde, à emmagasiner le savoir... Pour quel résultat, au final ? »

Le blaireau, touché par ce discours désenchanté, s'avança d'un pas lourd.

« Je comprends votre amertume, vénérable. Moi-même, je m'interroge souvent sur le sens de l'existence. Les déceptions, les pertes, les trahisons... Parfois je me dis que la vie n'est qu'un long tunnel obscur, sans espoir de lumière. À quoi bon s'attacher, aimer, espérer, si tout est voué à disparaître ? »

Rouquin, agacé par tant de noirceur, ne put réprimer une grimace éloquente.

« Ah, vous me fatiguez tous les deux, avec votre défaitisme ! Oui, la vie est parfois cruelle et absurde, et alors ? C'est justement là qu'il faut redoubler de panache, que diable ! Sortez-moi ces mines d'enterrement et croquez la vie à pleines dents, nom d'un mulot ! »

Le hibou, piqué au vif, se redressa de toute sa hauteur.

« Facile à dire pour toi, jeune blanc-bec ! Mais quand on a vécu autant que moi, on sait que le bonheur est éphémère et que la souffrance, elle, perdure. J'ai vu trop d'êtres chers partir, trop de rêves se briser sur l'autel de la réalité. Tout est vanité, comme disait l'autre. »

Rouquin, nullement démonté, lui renvoya un sourire carnassier.

« Vanité, vous avez dit ? Et que faites-vous de la beauté d'un soleil couchant, de l'ivresse d'une course folle dans les sous-bois, du rire d'un être aimé ? Ce sont ces petits riens qui donnent un sens à nos vies, j'en suis convaincu ! »

Le blaireau, dubitatif, secoua sa lourde tête.

« Encore faut-il avoir la force d'apprécier ces instants de grâce. Quand le cœur est lessivé par les épreuves, le regard s'éteint, vois-tu. On devient hermétique à la magie du quotidien. C'est terriblement triste, et terriblement animal. »

Le vieux hibou approuva d'un claquement de bec.

« Tout à fait, mon ami ! On a beau être sages et lettrés, on n'en reste pas moins vulnérables face à l'impermanence des choses. C'est cette épée de Damoclès qui rend dérisoires nos constructions mentales. Du vent, je vous dit, du vent ! »

Rouquin, exaspéré, fit un bond en avant.

« Du vent, ma philosophie de vie ? Ah, je ne vous permets pas ! Chaque être est une étincelle unique, un fragment d'absolu qui mérite qu'on se batte pour lui ! Renoncer sous prétexte que tout est vain, c'est insulter la vie elle-même ! »

La petite fille, qui avait écouté avec attention cet échange animé, leva soudain sa petite main.

« Et si la vérité se trouvait à la croisée de vos chemins ? Et si le sens de l'existence résidait justement dans cette tension perpétuelle entre ombre et lumière, entre doute et émerveillement ? »

Un silence méditatif accueillit ces paroles. Les trois compères dévisagèrent longuement la fillette, surpris par la profondeur de sa réflexion.

« Que veux-tu dire, mon enfant ? » s'enquit le hibou, intrigué. « Explique ta pensée, je te prie. »

La petite fille s'éclaircit la gorge, cherchant ses mots.

« Eh bien, je crois que vous avez tous raison, à votre manière. La vie est effectivement parsemée de souffrances et de désillusions, comme le soulignent le hibou et le blaireau. Mais elle est aussi riche de joies et de promesses, comme l'affirme Rouquin. »

Elle poursuivit, le regard brillant :

« Peut-être que le vrai défi, c'est d'embrasser cette complexité, sans chercher à la réduire. D'accepter que l'existence soit un mystère insondable, avec ses parts d'ombre et de lumière. Et de continuer à avancer, envers et contre tout, en sachant que chaque pas compte. »

Rouquin, ragaillardi par cette perspective, fit une cabriole enthousiaste.

« Voilà qui est joliment dit, gamine ! Vous voyez , les amis, il suffit parfois d'un changement d'angle pour que tout s'éclaire. La vie est un cadeau, quoi qu'on en dise. À nous d'en faire bon usage, avec nos forces et nos fêlures ! »

Le vieux hibou, songeur, lissa ses plumes en un geste machinal.

« Vos paroles résonnent en moi comme un souffle nouveau. Moi qui me croyais au bout du chemin, voilà que des perspectives inédites s'ouvrent à mon entendement. La quête de sens n'est peut-être pas vaine, finalement... »

La petite fille lui adressa un sourire lumineux.

« Elle ne l'est jamais, vénérable hibou. C'est le propre des chercheurs de vérité que de toujours remettre leurs certitudes en question. L'essentiel est de rester en mouvement, le cœur ouvert et l'esprit alerte. »

Le blaireau, pensif, gratta la terre de sa patte.

« C'est une belle vision des choses, assurément. Mais je ne peux m'empêcher de me demander... N'est-ce pas un peu facile, de se réfugier dans l'acceptation du mystère ? N'est-ce pas une façon de se dérober à l'angoisse existentielle qui nous taraude tous ? »

Le hibou, interloqué, dévisagea son interlocuteur.

« Que veux-tu dire, mon ami ? N'est-ce pas justement faire preuve de courage que d'embrasser l'incertitude, plutôt que de se bercer d'illusions ? »

Le blaireau secoua la tête, l'air sombre.

« Je ne sais pas, vénérable. Parfois, j'ai l'impression que nous nous raccrochons à de jolies idées pour ne pas sombrer dans le désespoir. Mais au fond, qui peut dire avec certitude que la vie a un sens ? Et si tout n'était que chaos et absurdité, malgré nos efforts pour y voir une direction ? »

Rouquin, piqué au vif, bondit devant son compagnon.

« Ah, ne commence pas à nous gâcher la fête avec tes douteuses élucubrations ! Même si la vie n'a pas de sens prédéfini, il nous appartient de lui en donner un, jour après jour, par nos choix et nos actions ! »

La petite fille, pensive, leva les yeux vers la cime des arbres.

« Je crois que vous soulevez là un débat philosophique millénaire, mes amis. Les êtres pensants se déchirent depuis la nuit des temps sur cette question du sens de l'existence. Certains y voient un plan divin, d'autres le fruit du hasard, d'autres encore une énigme à jamais irrésolue. »

Elle marqua une pause, cherchant ses mots.

« Pour ma part, je dirais que l'important n'est pas tant de trancher cette question que de trouver sa propre réponse, celle qui nous permet d'avancer et de nous épanouir. Que cette réponse soit spirituelle, rationnelle ou poétique, peu importe, au fond. L'essentiel est qu'elle nous apporte paix et clarté. »

Le hibou, impressionné, hocha la tête avec vigueur.

« Voilà qui est sagement dit, petite. Nous avons chacun notre façon d'appréhender le mystère de la vie, et c'est cette diversité qui fait la richesse de nos échanges. Peut-être est-ce là, finalement, le véritable sens de nos existences : cette quête partagée, jamais achevée mais toujours renouvelée. »

Rouquin, ému, essuya une larme au coin de son œil.

« Ah, vous me fendez le cœur, à parler ainsi ! C'est vrai que nos palabres n'ont pas de fin, mais c'est justement ce qui les rend si précieuses. Chaque jour apporte son lot de questions et de découvertes, pour peu qu'on garde l'esprit ouvert. »

Le blaireau, ébranlé dans ses certitudes, se gratta pensivement le museau.

« Vos paroles me troublent et m'apaisent à la fois, mes amis. Moi qui vivais dans la hantise du non-sens, voilà que j'entrevois une lueur au bout du tunnel. Et si la clé était simplement d'accepter humblement nos limites, tout en continuant obstinément à chercher ? »

La petite fille lui adressa un regard empli de douceur.

« C'est tout le paradoxe de notre condition, n'est-ce pas ? Nous sommes à la fois immensément fragiles et incroyablement résilients. Confrontés en permanence à nos insuffisances, mais animés d'un désir insatiable de comprendre et de progresser. C'est ce qui fait à la fois notre tragédie et notre grandeur. »

Rouquin, se planta alors devant le volatile, l'œil brillant de malice.

« Ah, mon ami, poue conclure, ouvrez grand vos mirettes et émerveillez-vous de la beauté du monde ! Bougez-vous les plumes, que diable, la vie est trop courte pour la gâcher en jérémiades ! »

Il poursuivit, une lueur espiègle au fond des yeux :

« Tenez, je vais vous dire mon secret. Quand le bourdon me guette, je pense à toutes les friandises que je n'ai pas encore goûtées, à tous les tours pendables que je n'ai pas encore joués, à tous les amis formidables que je n'ai pas encore rencontrés. Et là, comme par magie, mes idées noires s'envolent et je repars de plus belle à l'assaut de l'existence ! »

Le blaireau, amusé malgré lui, esquissa un début de sourire.

« Sacré Rouquin, tu as décidément réponse à tout. Ta philosophie est peut-être simpliste, mais force est de constater qu'elle a le mérite de rendre heureux. Alors que la mienne ne m'a apporté que tristesse et solitude... »

La petite fille, attendrie, posa une main réconfortante sur l'épaule du mustélidé.

« Vous savez, ce n'est pas une compétition. Chacun avance à son rythme sur le chemin de la vie, avec ses doutes et ses éclairs de lucidité. L'important est de ne pas s'arrêter en route et de garder son cœur ouvert aux autres. »

Elle se tourna vers le hibou, un sourire malicieux au coin des lèvres.

« Quant à vous, vénérable hibou, peut-être devriez-vous songer à quitter votre arbre de temps en temps, histoire de vous dégourdir les plumes. Qui sait, en explorant de nouveaux horizons, vous pourriez découvrir des raisons insoupçonnées de vous émerveiller ? »

Le vieil oiseau, interloqué, en resta sans voix. Puis, lentement, un sourire naquit sur son bec édenté.

« Hmm... Tu n'as peut-être pas tort, petite effrontée. À force de ressasser mes vieux griefs, j'ai fini par me scléroser dans mon amertume. Il est grand temps que je prenne un peu l'air, en effet. »

Il ébouriffa affectueusement ses plumes et conclut, une étincelle nouvelle au fond des yeux :

« Allez, filez, jeunes gens. Et merci pour cette bouffée d'air frais. Grâce à vous, je crois que je vais enfin pouvoir retrouver le sommeil. »

Nos trois amis prirent congé du hibou, le cœur léger et l'esprit en ébullition. Rouquin, guilleret, ne put s'empêcher de lancer une dernière facétie :

« Eh bien, en voilà un qui va faire de beaux rêves ! Je suis sûr qu'il va rêver de moi en train de dérober un succulent fromage sous le nez d'un paysan. Ha, ha, sacré moi, même endormi je reste le roi des filous ! »

Le blaireau et la petite fille éclatèrent de rire, habitués aux fanfaronnades de leur malicieux compagnon.

Rouquin, fidèle à lui-même, ne put s'empêcher de ponctuer cette rencontre d'une de ses maximes savoureuses :

"Vous voyez, mes amis, la vie est une comédie qui se joue sur une scène bancale, éclairée par une lune capricieuse. Plutôt que de chercher à tout prix un sens caché derrière chaque rideau, apprenons à apprécier la beauté baroque du spectacle ! Dansons, chantons, rions, et soyons simplement reconnaissants d'avoir notre place sur les planches. Car au final, c'est dans l'émerveillement et le partage que se nichent les véritables trésors de l'existence."

Sur cette tirade, le facétieux renard effectua une révérence théâtrale, arrachant un sourire à ses compagnons. Bras dessus bras dessous, ils s'éloignèrent d'un bon pas, pressés de découvrir quels nouveaux mystères philosophiques les attendaient au prochain détour du chemin.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Noureddine Qadiri ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0