Chapitre 5
Nos trois compagnons s'enfonçaient dans une partie particulièrement dense et sombre de la forêt, l'esprit encore tout occupé par leur rencontre avec Sylvain le cerf. Soudain, un rire étrange résonna entre les arbres, mi-gloussement, mi-caquètement. Intrigués, ils s'approchèrent et découvrirent une vision des plus insolites : un grand lièvre vêtu d'un costume bariolé était en train de jongler avec des champignons multicolores !
Le lièvre, apercevant nos héros, les apostropha joyeusement : « Holà, nobles voyageurs ! Que votre route soit belle et votre humeur joyeuse ! Je suis Jojo Lapatouille, troubadour et philosophe de ces bois enchantés. Que diriez-vous d'une petite pause récréative en ma compagnie ? »
Rouquin, l'œil brillant d'une lueur gourmande, s'avança : « Une pause récréative ? Ma foi, ce n'est pas de refus ! Surtout si le menu comprend du lièvre à la broche, hé hé hé !"
Jojo Lapatouille, nullement impressionné, éclata d'un rire bonhomme : « Ah, seigneur renard, je vois que vous avez le sens de l'humour... et de l'appétit ! Mais laissez-moi vous dire que je suis un bien piètre gibier. Entre nous, je suis surtout bourré de bons mots ! »
Sur ce, il entama une série de pirouettes et de cabrioles, tout en déclamant des vers loufoques :
« Je suis Jojo, le lièvre drôle,
Qui préfère la rime à la casserole.
Ma viande est coriace et mon esprit fugace,
Mieux vaut me faire de votre repas grâce ... et de votre regard, une place ! »
Le blaireau, dubitatif, grommela dans sa moustache : « Encore un olibrius qui se prend pour un poète ! On n'est pas sortis de l'auberge... »
La petite fille, absolument ravie, applaudissait avec vigueur. « Bravo, Jojo ! » lançait-elle avec une joie éclatante.
Rouquin, ne voulant pas être en reste, et aussi un brin jaloux, interjeta : « Qu'est ce qui pousse un lièvre troubadour à jouer les amuseurs dans cette forêt sauvage ? »
Le léporidé, répliqua : « Figurez-vous que dans une vie antérieure, j'étais le bouffon d'un roi dans un palais somptueux. Mon devoir ? Divertir la cour et adresser des vérités aiguisées aux nobliaux, tout en gardant ma tête bien fixée sur mes épaules, littéralement ! »
Le blaireau, piqué de curiosité, demanda : « Et comment évitais-tu de terminer en civet ? »
Le lièvre répondit avec un clin d'œil complice : « Le secret, cher blaireau, c’est d’enrober les vérités difficiles avec le sucre de l'humour. Les nobles acceptent plus facilement les critiques lorsqu’elles sont livrées avec douceur et esprit. »
Rouquin, songeur, hocha la tête : « Bien joué. Ça me rappelle comment je tempère les vantardises de mes amis chasseurs avec une touche d'humour. La taquinerie passe toujours mieux enveloppée dans la légèreté ! »
Jojo, satisfait, renchérit : « Exactement, mon noble renard ! L'humour est l'épée des sans pouvoir. C'est une façon de défier les puissants sans recourir à la violence, une manière de remettre en question l'ordre établi. »
La fillette, de plus en plus intéressée, lui posa une autre question : « Mais pourquoi as-tu choisi la forêt, Jojo ? N'appréciais-tu plus la cour ? »
Avec un sourire énigmatique, ce dernier confia : « Disons que j'étais en quête d'une autre forme de sagesse, celle que l'on découvre loin du tumulte des hommes, dans la quiétude de la nature. Et aussi, j'avais envie de partager mon art avec un public différent : les écureuils, les campagnols... et des aventuriers égarés comme toi. »
Le blaireau, toujours pragmatique, fit remarquer : « C’est bien beau, mais ça ne remplit pas l'estomac... Comment fais-tu pour vivre, Jojo ? »
Jojo rit joyeusement : « Je me délecte de baies, de racines, et de bons mots, mon ami blaireau ! Et pour le reste, la générosité des passants est suffisante. Je leur apporte un moment de bonheur, ils partagent avec moi leur gratitude. N'est-ce pas un échange équitable ? »
Rouquin, amusé, commenta : « En somme, tu es une sorte de troubadour du rire. Un ménestrel de l'absurde ! »
Le lièvre, flatté, opina du chef : « On peut dire ça, oui. Mon seul but est d'alléger le cœur des gens, l'espace d'un instant. De leur faire oublier leurs soucis et leurs tracas. »
La petite fille, songeuse, demanda : « Mais est-ce que ça suffit vraiment ? Je veux dire, le rire ne résout pas tous les problèmes... »
Jojo lui adressa un sourire bienveillant : « Bien sûr que non, petite demoiselle. Le rire n'est pas une solution miracle. Mais c'est un baume précieux pour l'âme. Une étincelle d'espoir dans la nuit. »
Il marqua une pause, cherchant ses mots : « Voyez-vous, dans ce monde, il y a tant de raisons de pleurer, de se lamenter. La maladie, la guerre, l'injustice... Alors rire, c'est une forme de résistance. C'est refuser de se laisser abattre, de capituler devant le malheur. »
Le blaireau, troublé, intervint : « Mais parfois, on n'a pas le cœur à rire. Quand on a vécu des choses trop dures, trop sombres... »
Jojo hocha la tête avec gravité : « Je comprends, seigneur blaireau. Il y a des blessures que même le rire ne peut guérir. Mais justement, dans ces moments-là, il faut s'accrocher à l'humour comme à une bouée. Se moquer de sa propre détresse, c'est déjà un début de libération. »
Rouquin, pensif, acquiesça : « C'est vrai. Quand j'ai perdu mon frère dans un piège de braconnier, j'ai cru que je ne pourrais plus jamais rire. Et puis un jour, je me suis surpris à sourire en me rappelant nos bêtises de jeunesse. Ça m'a fait un bien fou... »
La petite fille, émue, lui pressa la patte : « Tu vois, Rouquin, c'est ça la magie du rire. Ça n'efface pas la peine, mais ça l'allège un peu. »
Jojo acquiesça vivement, renchérissant : « Exactement, petite demoiselle ! Le rire est le meilleur des remèdes. Il ne guérit pas tout, certes, mais il rend la douleur plus tolérable. C'est une lumière dans les ténèbres, un soutien dans l'adversité. »
Le blaireau, visiblement ému, murmura : « Sapristi, Jojo, tu as des allures de magicien, non ? Comment parviens-tu à mettre des mots si justes sur ce qu'on ressent ? »
Jojo, avec un sourire espiègle, répondit : « Magicien, moi ? Que nenni, simplement un vieil observateur qui a beaucoup vécu. J'ai appris que le rire est le plus beau des cadeaux que la vie nous offre. »
Rouquin, intrigué, le questionna alors : « Et toi, Jojo, qu’est-ce qui te fait rire, dans la vie ? »
Jojo prit un moment pour réfléchir avant de dire : « Oh, une multitude de choses ! Les petites bêtises des écureuils, la maladresse attendrissante des jeunes faons, le ballet des feuilles dans le vent... Mais surtout, je ris de moi-même ! »
La petite fille, curieuse, demanda : « De toi-même ? Que veux-tu dire par là ? »
Le lièvre expliqua, toujours souriant : « Je veux dire que je ris de mes propres erreurs, de mes faux pas, de mes échecs. Plutôt que de me morfondre, je préfère en rire. C’est ce qu’on appelle l’autodérision. »
Rouquin, admiratif, siffla doucement : « L’autodérision ? Voilà un terme bien élégant ! Ça sonne presque comme une douceur. »
Jojo rit de bon cœur : « C'est bien une gâterie pour l'esprit ! Savoir rire de soi-même nous libère de la peur du jugement d'autrui. Cela nous rend, d’une certaine manière, invincibles ! »
Le blaireau, dubitatif, objecta : « Invincible, invincible... N'exagérons rien ! On n'est jamais à l'abri d'une vexation ou d'une blessure d'amour-propre. »
Le lièvre lui adressa un clin d'œil complice : « Certes, seigneur blaireau. Mais celui qui pratique l'autodérision est mieux armé pour y faire face. Après tout, il a déjà affronté son pire critique : lui-même ! »
La fillette, fascinée, s'exclama : « Jojo, tu es un vrai puits de sagesse ! Tu pourrais nous apprendre à rire de nous, nous aussi ? »
Jojo, ravi, s'inclina bien bas : « Mais avec plaisir, petite demoiselle ! Et si on commençait par trouver un gentil surnom à notre ami le blaireau ? Histoire de dédramatiser son air bougon ! »
Rouquin, emballé, proposa : « Que diriez-vous de... Grincheux Poilenbrous ? »
La petite fille, amusée, renchérit : « Ou alors... Ronchon des Terriers ! »
Le blaireau, d'abord vexé, ne put retenir un rictus : « Peuh ! Vous n'y êtes pas du tout. Si vous voulez un surnom qui me colle à la peau, ce serait plutôt... Blairounet le Philosophe ! »
Cette fois, ce fut au tour de Jojo d'être plié en deux : « Parfait, seigneur Blairounet ! Vous voyez, vous aussi vous pouvez jouer avec votre image. C'est ça, l'autodérision : faire de ses faiblesses une force comique ! »
Sur cette bonne parole, le lièvre reprit de plus belle ses pitreries, entraînant nos amis dans un tourbillon de rires et de chansons. Quand vint le moment de se quitter, tous avaient le cœur léger et l'esprit pétillant.
« Merci pour cette belle leçon, Jojo ! » s'exclama la fillette en l'embrassant sur la joue.
« Oui, merci l'ami ! » renchérit Rouquin. « Grâce à toi, je vais pouvoir rire de mes mésaventures de chasse. Comme la fois où j'ai voulu épater une renarde avec mes talents d'imitateur, et que je me suis retrouvé à braire comme un âne devant toute la forêt ! »
Le petit groupe éclata de rire, et même le blaireau esquissa un sourire. Jojo, ravi de voir ses enseignements porter leurs fruits, conclut malicieusement :
« N'oubliez pas, mes amis : le rire est le meilleur des remèdes, mais aussi le plus beau des cadeaux. Alors n'hésitez pas à le partager autour de vous, surtout dans les moments difficiles ! Car rire ensemble, c'est déjà résister ensemble. C'est affirmer que la vie est plus forte que tout, que la joie finira toujours par l'emporter. Même si le chemin est long et semé d'embûches... »
Sur ces mots, le lièvre les salua d'une dernière cabriole avant de s'éclipser dans les fourrés. Nos compagnons, le cœur réchauffé et l'esprit ragaillardi, reprirent leur route avec un regain d'énergie. Ils ignoraient quelles nouvelles épreuves les attendaient, mais une chose était sûre : ils les affronteraient le sourire aux lèvres. Car Jojo Lapatouille leur avait fait le plus beau des cadeaux : la certitude que le rire pouvait tout guérir, ou presque.
Longtemps, ils deviseraient de cette rencontre providentielle, se remémorant les facéties et les mots d'esprit du joyeux lièvre. Et à chaque fois, une douce chaleur envahirait leur cœur, comme une braise qui jamais ne s'éteint tout à fait. La braise de l'espoir et de la joie de vivre, que même les pires tourments ne pourraient réduire en cendres.
Rouquin, fier de son nouveau credo, en tirerait même une maxime : « Le rire, c'est comme le parfum des fleurs : ça embaume la vie et ça fait fuir les malheurs ! »
Ce trait d’esprit à la fois drôle et poétique devint rapidement le credo de la bande. Une devise qu’ils se rappelleraient dans les moments de doute ou de tristesse, un signe complice que la bonne humeur est le remède ultime.
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