Chapitre 8
Nos trois compagnons cheminaient sous les frondaisons, le cœur encore tout vibrant des révélations du Miroir de Vérité. La forêt bruissait autour d'eux, comme si elle se faisait l'écho de leurs pensées profondes, de leur quête intérieure nouvellement éveillée.
Soudain, au détour d'un sentier, ils débouchèrent sur une clairière baignée d'une lumière dorée. En son centre se dressait un cottage à l'aspect ancien, presque hors du temps, entouré d'un jardin foisonnant d'herbes aromatiques et de fleurs sauvages.
« Regardez ! » s'exclama la fillette, pointant du doigt une pancarte de bois qui se balançait doucement à l'entrée du jardin. « Le Cottage du Sage... Serait-ce la demeure de ce fameux philosophe dont on nous a tant parlé ? »
Rouquin, intrigué, s'approcha pour déchiffrer l'inscription gravée sous le nom : « Entrez, vous qui cherchez la sagesse, car elle réside en ces murs », lut-il à voix haute. « Voilà qui est engageant ! Qu'en dites-vous, mes amis ? Devrions-nous tenter notre chance auprès de cet éminent penseur ? »
Blairounet, plus circonspect, frotta pensivement son museau : « Je ne sais pas, Rouquin... Il y a quelque chose d'étrange dans l'air, comme une tension sourde, une ombre sous la lumière... »
Mais la fillette, déjà conquise, s'élançait vers la porte du cottage : « Allons, Blairounet, ne sois pas si méfiant ! Imagine tout ce que nous pourrions apprendre d'un sage renommé... C'est une chance inouïe pour notre quête ! »
Les compagnons décidèrent donc de frapper au battant, le cœur partagé entre l'excitation et une inexplicable appréhension.
La porte s'ouvrit sur un homme d'âge mûr, à la barbe poivre et sel et au regard perçant. Il les accueillit avec une cordialité distante, les invitant à entrer d'un geste de la main.
L'intérieur du cottage était à l'image de son propriétaire : austère et chaleureux à la fois, avec ses murs tapissés de livres, ses instruments scientifiques d'un autre âge et son feu de cheminée crépitant doucement.
Le Sage les fit asseoir autour d'une table de chêne massif, leur servant une tisane aux senteurs entêtantes. Puis il prit place face à eux, croisant ses mains devant lui dans une attitude d'attente polie.
« Ainsi donc, vous voilà, jeunes aventuriers en quête de sagesse », commença-t-il d'une voix profonde, presque hypnotique. « Mais êtes-vous sûrs d'être prêts à entendre les vérités que j'ai à offrir ? Car la sagesse, voyez-vous, est un mets amer, qui laisse souvent un goût de cendres dans la bouche de celui qui la goûte... »
La fillette, un peu décontenancée par ce préambule énigmatique, s'empressa néanmoins de répondre : « Nous sommes prêts à tout entendre, vénérable Sage. Car c'est la soif d'apprendre et de comprendre qui guide nos pas, quelles que soient les révélations qui nous attendent. »
Le Sage eut un sourire en coin, presque imperceptible : « Voilà qui est courageux, jeune demoiselle. Mais le courage ne suffit pas toujours face aux abîmes de la connaissance... Enfin, nous verrons cela. Pour l'heure, dites-moi : que cherchez-vous donc, au juste, dans votre périple ? »
Ce fut Blairounet qui prit la parole, de sa voix grave et mesurée : « Nous cherchons le sens, Sage. Le sens de notre existence, de notre place dans le vaste monde. Nous cherchons à devenir pleinement qui nous sommes, à accomplir notre destinée profonde. »
Le philosophe l'écouta en silence, son regard semblant transpercer l'âme du blaireau.
Puis il se renversa sur sa chaise avec un petit rire sec :
« Le sens ? La destinée ? Voilà bien de grands mots, pour une bien vaine chimère ! Car je vais vous dire une chose, mes jeunes amis : il n'y a pas de sens caché à découvrir, pas de grand dessein à accomplir. L'existence est une farce cruelle, un jeu absurde auquel nous sommes condamnés à jouer, sans espoir d'en comprendre les règles ou d'en entrevoir la fin. »
Un silence glacé accueillit cette déclaration abrupte. Les compagnons se regardèrent, interdits, sentant un grand froid se répandre en eux malgré la chaleur du foyer.
Mais le Sage, implacable, poursuivait sa tirade : « J'ai longtemps été comme vous, voyez-vous. J'ai cherché la vérité avec toute la passion de ma jeunesse, persuadé que le monde devait avoir un sens, que l'existence devait avoir un but. J'ai étudié tous les savoirs, exploré tous les mystères, dans l'espoir d'arracher à l'univers ses secrets. Mais au bout du chemin, savez-vous ce que j'ai trouvé ? »
Il marqua une pause, comme pour laisser ses mots imprégner l'esprit de ses visiteurs.
« Rien. J'ai trouvé le néant, le silence absolu d'un cosmos indifférent à nos questionnements. J'ai compris que nous ne sommes que des étincelles de conscience égarées dans un océan d'obscurité, condamnés à briller un instant avant de nous éteindre à jamais. »
La fillette, bouleversée par ce nihilisme glaçant, ne put retenir sa révolte : « Mais comment pouvez-vous dire cela, Sage ? Comment pouvez-vous nier la beauté du monde, la noblesse de la quête humaine ? Même si l'univers est silencieux, il nous appartient de lui donner un sens, par nos actes, par nos rêves ! »
Le philosophe la considéra avec une sorte de pitié amusée : « Ah, l'enthousiasme aveugle de la jeunesse ! C'est touchant, vraiment. Mais tellement futile, tellement dérisoire face à l'abîme qui nous attend tous. Vous parlez de beauté, de noblesse... Mais ce ne sont que des illusions, des mirages que nous créons pour nous consoler de notre condition absurde. »
Rouquin, qui s'était tenu silencieux jusque-là, ne put contenir davantage son malaise : « Écoutez, Sage, je ne prétends pas avoir votre science ou votre expérience. Mais il y a une chose que je sais, de toute la force de mon être : la vie vaut la peine d'être vécue, avec ses joies et ses peines, ses questions et ses mystères. Et cette certitude, je ne vous laisserai pas me la voler avec vos beaux discours ! »
Le Sage le toisa d'un air narquois : « Pauvre renard, comme je vous plains ! Vous croyez tenir une certitude, mais vous ne faites qu'agripper désespérément une bouée illusoire. Tôt ou tard, vous aussi, vous devrez regarder la vérité en face. Et ce jour-là, votre belle assurance volera en éclats, balayée par le vent glacé de l'absurdité. »
Blairounet, qui était resté plongé dans une méditation silencieuse, releva soudain la tête, fixant le Sage d'un regard intense :
« Je crois comprendre ce qui vous anime, Sage. Vous avez exploré les recoins les plus sombres de la condition humaine, et cette connaissance vous a meurtri, vous a fait perdre foi en la valeur de l'existence. Mais le nihilisme n'est pas une sagesse, c'est un poison qui corrode l'âme et étouffe toute étincelle d'espoir. »
Le philosophe éclata d'un rire amer : « L'espoir ! Voilà bien le mot le plus vain et le plus creux qui soit ! L'espoir n'est qu'un leurre, une illusion que les faibles se racontent pour supporter l'insupportable absurdité de leur vie. »
Il se pencha vers le blaireau, son regard se faisant soudain brûlant, presque fiévreux :
« Vous croyez me connaître, blaireau ? Vous pensez avoir percé à jour les ressorts de ma pensée ? Mais vous ne savez rien, vous ne comprenez rien. J'ai vu au-delà du voile, j'ai contemplé le vide abyssal qui nous attend tous. Et cette vérité, je l'ai payée au prix fort, celui de mes illusions, de mes rêves, de ma foi en un monde meilleur. »
La fillette, bouleversée, tenta une dernière fois de raisonner le Sage :
« Mais à quoi bon tout ce savoir, toute cette sagesse, si c'est pour sombrer dans le désespoir et le ressentiment ? N'y a-t-il pas une voie plus haute, qui transmuerait la lucidité en compassion, la conscience de l'absurde en célébration du mystère ? »
Le philosophe lui jeta un regard chargé de pitié : « Pauvre enfant, comme je vous plains ! Vous êtes encore englués dans les illusions réconfortantes de l'innocence. Mais bientôt, très bientôt, le voile se déchirera pour vous aussi, et vous verrez le monde tel qu'il est vraiment : un lieu froid et vide, sans âme et sans but. »
Il se tourna vers les trois compagnons, et son visage n'était plus que dureté et amertume :
« Voilà ce que j'ai à vous offrir, jeunes sots. Non pas la sagesse, mais la lucidité cruelle, celle qui arrache les masques et les faux-semblants. C'est mon fardeau, et ce sera bientôt le vôtre. Car une fois que l'on a goûté à l'absurde, impossible de fermer à nouveau les yeux... »
Rouquin, écœuré, se leva brusquement : « Assez ! Je refuse d'en entendre davantage. Vos paroles sont du poison, Sage, un venin qui paralyse l'âme et éteint toute lumière. Gardez donc votre sombre lucidité, et laissez-nous poursuivre notre chemin ! »
Le Sage toisa les trois compagnons avec une lueur de défi dans le regard :
« Vous croyez pouvoir échapper à la vérité, n'est-ce pas ? Vous pensez qu'en fuyant ce cottage, vous laisserez derrière vous l'ombre du doute et de l'absurde ? Mais c'est une illusion, mes jeunes amis. Une fois que l'on a entrevu le néant, impossible de retrouver la quiétude de l'ignorance. »
La fillette, ébranlée mais refusant de céder au désespoir, répliqua d'une voix tremblante :
« Vous avez peut-être raison, Sage. Peut-être que l'existence est absurde, que nos quêtes sont vaines et nos espoirs illusoires. Mais même dans un monde sans sens, nous avons le choix. Le choix de créer notre propre sens, notre propre valeur. Le choix de faire de notre vie une œuvre d'art, une célébration de la beauté et de l'amour. »
Le philosophe ricana, un rictus amer déformant ses traits :
« L'amour, la beauté ? Fadaises que tout cela ! Des concepts creux inventés par les hommes pour masquer le vide abyssal de leur condition. Au fond, nous ne sommes que des animaux égarés sur une planète insignifiante, tournant absurdement autour d'une étoile quelconque. Toute notre prétendue grandeur n'est qu'une farce pathétique, un baroud d'honneur face à l'indifférence cosmique. »
Blairounet, sentant le désespoir s'insinuer dans le cœur de ses amis, intervint d'une voix grave :
« Je comprends votre douleur, Sage. Je comprends la blessure qui suppure en vous, et qui vous fait voir le monde à travers un voile de noirceur. Mais ne voyez-vous pas que votre nihilisme est lui aussi un choix, une interprétation parmi d'autres ? Qui vous dit que l'absurdité a le dernier mot, que la conscience lucide ne peut déboucher sur autre chose que le néant ? »
Le Sage fit un geste brusque, comme pour balayer les paroles du blaireau :
« Parce que j'ai cherché, blaireau ! J'ai cherché le sens, la transcendance, avec toute la passion et la rigueur dont j'étais capable. Mais au bout du chemin, je n'ai trouvé que le silence et la nuit. Et je refuse de me mentir à moi-même, de me bercer d'illusions consolantes. Je préfère encore regarder le gouffre en face, et en accepter toute l'horreur. »
Rouquin, qui avait écouté l'échange avec une tension croissante, ne put se contenir davantage :
« Mais à quoi bon, Sage ? À quoi bon cette lucidité stérile, qui n'engendre que souffrance et désenchantement ? Vous avez fait votre choix, soit. Mais laissez-nous faire le nôtre. Laissez-nous croire en la beauté du monde, en la noblesse de l'âme humaine. Même si c'est une illusion, c'est l'illusion qui nous permet de vivre, d'aimer, de créer. »
Le philosophe le regarda longuement, une étrange lueur dansant dans ses yeux :
« Ainsi soit-il, renard. Accrochez-vous donc à vos chimères, si cela vous aide à supporter le poids de l'existence. Mais un jour, tôt ou tard, vous aussi vous vous réveillerez de ce doux songe. Et ce jour-là, vous vous rappellerez mes paroles, et vous comprendrez que j'avais raison depuis le début. »
Un lourd silence tomba sur la pièce, chacun ruminant les paroles amères du Sage. Puis, lentement, la fillette se leva, imitée par ses deux compagnons :
« Nous partons, Sage. Non par peur de la vérité, mais par refus du désespoir. Votre sagesse est peut-être profonde, mais elle est stérile, elle ne mène nulle part. Nous préférons l'espérance à la résignation, même si c'est une folie. Car c'est cette folie qui nous maintient en vie, qui nous pousse à avancer malgré tout. »
Le philosophe les regarda se diriger vers la porte, un sourire énigmatique flottant sur ses lèvres :
« Allez donc, jeunes fous. Allez affronter le monde avec vos rêves et vos illusions. Mais n'oubliez jamais cette conversation, n'oubliez jamais le goût de cendres que mes paroles ont déposé sur votre langue. Car un jour, inéluctablement, la réalité vous rattrapera. »
Les compagnons franchirent le seuil sans un regard en arrière, le cœur lourd et l'âme troublée. Dehors, la clairière leur parut soudain terne et froide, comme si la noirceur du Sage avait déteint sur le monde alentour.
Ils marchèrent un long moment en silence, chacun essayant de digérer les paroles nihilistes du philosophe. Puis Blairounet prit la parole, d'une voix douce mais ferme :
« Nous ne devons pas laisser le désespoir du Sage contaminer notre quête, mes amis. Sa vérité est peut-être valide pour lui, mais elle n'a pas à être la nôtre. Nous avons le droit de choisir l'espoir, même si c'est un pari, même si nous risquons d'être déçus. »
La fillette hocha la tête, un fragile sourire se dessinant sur ses lèvres :
« Tu as raison, Blairounet. Le Sage a fait son choix, mais nous devons faire le nôtre. Et je choisis de croire en la beauté, en l'amour, en tous ces petits miracles qui font le sel de l'existence. Même si ce n'est qu'un réconfort illusoire, je m'y accrocherai de toutes mes forces. »
Rouquin, qui s'était tenu à l'écart, s'approcha à son tour, une lueur de défi brillant dans ses yeux :
« Et moi, je choisis l'action, l'engagement. Je refuse de me laisser paralyser par l'absurde, de me complaire dans une contemplation stérile du néant. Je veux vivre, lutter, transformer le monde à mon échelle. Car c'est cela, la vraie sagesse : non pas accepter l'absurdité, mais la transcender par notre révolte. »
Les trois amis échangèrent un long regard, scellant silencieusement leur pacte. Ils savaient que la route serait longue, semée d'embûches et de doutes. Mais ils savaient aussi qu'ensemble, unis par leur foi en la vie, ils pourraient affronter toutes les tempêtes.
Lentement, résolument, ils reprirent leur marche à travers les bois, laissant derrière eux le cottage du Sage et ses sombres augures. Le soleil perçait à nouveau à travers les frondaisons, comme un timide espoir renaissant après l'orage.
Tout en cheminant, la fillette se mit à fredonner un air enfantin, une simple mélodie qui parlait d'aube nouvelle et de promesses à venir. Peu à peu, Blairounet et Rouquin se joignirent à elle, leurs voix s'élevant dans la clairière en un chant fragile mais obstiné.
Car c'était cela, leur réponse à l'absurde : non pas les grandes théories ni les raisonnements impeccables, mais la douceur d'un chant partagé, la chaleur d'une main tendue, la beauté éphémère d'un rayon de soleil sur la mousse.
Et tandis qu'ils s'enfonçaient sous les arbres, leurs cœurs battant à l'unisson, les compagnons sentaient renaître en eux une force nouvelle, une détermination qui défiait le néant. Ils avaient plongé leur regard dans l'abîme, ils avaient écouté les prophéties du Sage, mais ils refusaient de s'y soumettre.
Leur quête ne faisait que commencer, et déjà, ils le sentaient, elle les mènerait bien au-delà des frontières de l'absurde, vers des territoires inexplorés où l'espoir, peut-être, les attendait encore.
Le Sage, resté seul dans son cottage, les regarda disparaître dans les profondeurs de la forêt. Un étrange sourire flottait sur ses lèvres, mélange d'amertume et d'une tendresse qu'il croyait avoir oubliée.
« Allez, jeunes fous », murmura-t-il. « Allez conquérir le monde avec vos rêves. Et si un jour le doute vous ronge, si la nuit vous semble trop noire, souvenez-vous du vieux Sage et de ses paroles de cendres. »
« Car qui sait ? Peut-être qu'au bout du chemin, c'est vous qui aurez raison. Peut-être que l'espoir n'est pas qu'une illusion, et que la beauté, malgré tout, aura le dernier mot. »
Lentement, le philosophe referma la porte du cottage, scellant avec elle ses sombres méditations. Dehors, le soleil brillait haut dans le ciel, indifférent aux tourments des hommes et des blaireaux.
Rouquin, s'arrêtant un instant pour regarder le chemin parcouru, ajouta avec une conviction renouvelée :
« Et souvenons-nous aussi que même dans l'ombre la plus profonde, chaque pas que nous faisons est un rayon de lumière. Car la vraie sagesse n'est pas de voir la lumière au bout du tunnel, mais de l'être dans l'obscurité. »
Et dans le grand livre du monde, une nouvelle page s'ouvrait, encore blanche, frémissante de tous les possibles. Une page où, en lettres d'or, scintillait un mot fragile et obstiné : « Espérance ».
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